Edito

La Réserve Fédérale redéfinit ses priorités

11/07/2024
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La croissance de l'économie américaine a connu un net ralentissement au premier semestre et les derniers chiffres des prix des dépenses de consommation, l'indicateur préféré de la Réserve fédérale pour mesurer l'inflation, ont été bien accueillis par la Fed et par les marchés, lesquels tablent désormais sur une première baisse des taux en septembre. Face à un taux de chômage encore faible, mais en augmentation, la Réserve fédérale a entrepris de redéfinir ses priorités. Au lieu de s'intéresser exclusivement à l'inflation, elle accorde désormais une importance accrue à l'activité économique et à l'emploi, d'autant plus que le processus de désinflation a récemment repris.

TAUX DE CHÔMAGE AUX ÉTATS-UNIS : RÈGLE DE SAHM

Les indicateurs économiques nationaux publiés récemment par la Banque de Réserve fédérale de Richmond (un ensemble de graphiques hebdomadaire qui brosse un tableau complet de la situation de l’économie américaine), montrent que l'économie américaine donne clairement des signes de ralentissement[1]. Si l'on s'intéresse à la tendance qui se dessine depuis quelques mois, on observe une perte de régime des ventes au détail, du revenu disponible réel, des ventes de logements, des mises en chantier de logements et des permis de construire. En juin, l'indice ISM des directeurs d'achats américains est resté à peu près stable pour l'industrie manufacturière (à 48,5 contre 48,7 en mai), demeurant à un niveau indiquant une contraction de l'économie. Dans le même temps, l'indice non manufacturier a enregistré une très forte baisse, tombant de 53,8 à 48,8, sous l'effet d'une détérioration très marquée des entrées de commandes. Le niveau des entrées de commandes de l'industrie manufacturière n'indique aucune direction claire depuis le début de 2022 et ce phénomène s'applique également aux biens d’équipement hors défense (aéronautique exclue), ce qui est de mauvais augure pour l'investissement des entreprises. Les investissements dans les actifs de propriété intellectuelle, portés par une accélération de la croissance depuis quelques trimestres, continuent à faire exception à cette règle. Le ratio stocks/chiffre d'affaires des entreprises reste orienté à la hausse dans le secteur de la distribution, mais demeure très inférieur aux niveaux pré-Covid. Le rythme mensuel des créations d'emplois reste vigoureux (220?000 nouveaux emplois par mois en moyenne depuis le début de l'année), mais connaît un ralentissement. Le taux de postes vacants a chuté après avoir atteint un niveau exceptionnellement élevé (malgré cette baisse, il demeure proche du niveau très élevé de 2018, c'est-à-dire avant le Covid), et les taux de recrutement et de démission sont orientés à la baisse, tombant en deçà de leur niveau d'avant le début de la récession en décembre 2007. Enfin, le taux de chômage s'est accru au cours des derniers mois, pour atteindre 4,1 % en juin, ce qui demeure tout de même faible.

L'indicateur GDPNow de la Réserve fédérale d'Atlanta (estimation en temps réel de la croissance du PIB réel fondée sur les indicateurs économiques disponibles), permet d'y voir plus clair. Pour le deuxième trimestre, cet indicateur indique un taux de croissance, en rythme annuel ajusté des variations saisonnières, de 2,0 % par rapport au trimestre précédent. Ce chiffre était tombé à 1,5 %, notamment sous l'effet de la publication de l'ISM au début de juin et de juillet, avant de connaître un rebond après la publication du dernier rapport sur le marché du travail. Lors de son audition devant le Sénat américain, Jerome Powell paraissait confiant dans son état des lieux des dernières évolutions cycliques. «?Les récents indicateurs semblent montrer que l'économie américaine continue à progresser à un rythme soutenu. La croissance du produit intérieur brut semble avoir connu un ralentissement au premier semestre de cette année?», ajoutant que le marché du travail restait dynamique, mais qu'il n'était plus en situation de surchauffe.[2] Il importe de souligner qu'en termes d'inflation, «?la publication de nouvelles données satisfaisantes renforcerait notre conviction que l'inflation se rapproche durablement des 2 %?». Il ne fait pas de doute que c’est l’évolution récente des prix des dépenses de consommation (‘core PCE’), 'indicateur préféré de la Réserve fédérale pour mesurer l'inflation, qui a inspiré le qualificatif de « satisfaisantes ». Or, cet indice est ressorti en mai à 2,6 % en glissement annuel et à 1,0 % en rythme annuel par rapport au mois précédent.

Les marchés obligataires n'ont pas manqué de réagir à cette évolution. Le rendement des Treasuries à 2 ans, qui est très sensible aux prévisions de politique monétaire, a chuté d'environ 35 points de base depuis la fin mai et les contrats à terme sur les Fed funds intègrent à présent la probabilité de 75 % d'une baisse des taux lors de la réunion de septembre du FOMC.[3] Les investisseurs pensent sans doute que de nouveaux progrès en termes de désinflation pousseront la Réserve fédérale à commencer à abaisser ses taux pour éviter de les maintenir trop longtemps à un niveau élevé. À cet égard, la hausse du taux de chômage doit être suivie de près en appliquant la règle dite de Sahm. Selon cette règle, l’économie américaine entre en récession «?lorsque la moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage national (U3) augmente d’au moins un demi-point de pourcentage par rapport à son niveau le plus bas des douze derniers mois?».[4] Le graphique 1, qui illustre cette relation, montre que nous approchons de ce niveau critique de 0,5 %. Le franchissement de ce seuil alimenterait la crainte d'un risque croissant de récession. Dans ce contexte, les mots employés par Jerome Powell lors de son discours montrent que la Fed a entrepris de redéfinir ses priorités et qu'elle accorde désormais une plus grande importance à la gestion du risque : «?Une inflation élevée ne constitue pas le seul risque auquel nous sommes confrontés. Une réduction trop tardive ou trop limitée de la politique de restriction monétaire pourrait peser inutilement sur l'activité économique et sur l'emploi?».


[1] National Economic Indicators | Richmond Fed

[2] Source : Réserve Fédérale, discours de Jerome H. Powell, président de la Réserve Fédérale, devant le Committee on Banking, Housing, and Urban Affairs du Sénat américain, 9 juillet 2024.

[3] Source : site web du CME Group (CME FedWatch - CME Group).

[4] Source : FRED, «?Federal Reserve Economic Data?», base de données en ligne de la Réserve Fédérale de Saint-Louis.

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