Préféreriez-vous courir à toutes jambes vers un précipice ou marcher sur une pente glissante ? La réponse semble évidente. La première situation se termine généralement par des traumatismes multiples, la seconde, au pire, par des ecchymoses, même si persister dans cette voie mène immanquablement tout en bas. Les décideurs politiques européens ont fait preuve de talent, au fil des ans, pour faire volte-face au bord du précipice. Ils doivent maintenant apprendre à se sortir des pentes glissantes. Cela pourrait se révéler encore plus difficile.
L’Union européenne (UE), selon le récent rapport de l'ancien président de la BCE et Premier ministre italien, Mario Draghi, est sur une pente glissante de déclin démographique, sous-investissement et ralentissement de la productivité, qui mettent en jeu rien de moins que son « auto-préservation ». Le monde de l'entreprise et les analystes de la société civile applaudissent dans l'ensemble ces messages fondamentaux, notamment la nécessité d'une réglementation moins contraignante et le fait de pouvoir jouer à armes égales avec la Chine et les États-Unis. Mais les réactions à Bruxelles et dans les capitales de l'UE ont été limitées à ce jour. Les ordres de mission des nouveaux commissaires européens désignés ne tiennent que modérément compte des principales recommandations du rapport. Les décideurs politiques nationaux ne cachent pas d'importants désaccords avec celui-ci, notamment en ce qui concerne son sentiment d'urgence. Pourtant, en l'absence d'action décisive, la voie tracée par Mario Draghi est celle d'un déclin inexorable du poids économique et de l'autonomie stratégique de l’UE par rapport aux États-Unis et à la Chine remettant en question les préférences sociétales les plus essentielles de l'Europe.
Le Conseil de l'UE doit procéder à un « premier échange de vues » sur ce rapport lors de sa réunion des 17 et 18 octobre. Ce sera de loin la réunion la plus importante de la semaine à venir, et non celle du Conseil des gouverneurs de la BCE du 18 octobre sur laquelle se concentre l'attention des médias et des acteurs du marché. Celle-ci devrait être un non-événement car la plupart des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE ont compris que l'activité et l’inflation sont toutes les deux plus faibles qu'ils ne l'avaient prévu lors de leur réunion de septembre. Par conséquent, ils ont eu la sagesse de signaler qu’en définitive, ils réduiraient à nouveau les taux directeurs de 25 points de base maintenant plutôt que d'attendre décembre. Cette décision sera utile pour les perspectives de croissance à court terme, mais pour éviter le déclin final il faut que les membres du Conseil de l'UE entendent le signal d'alarme de Mario Draghi.
La France, pour sa part, est sur une pente glissante budgétaire depuis un certain temps, son ratio dette/PIB est dépassé seulement par deux membres de l'UE – la Grèce et l'Italie – qui ont été tous deux confrontés à un précipice budgétaire au cours de la dernière décennie. Contrairement à la France, ces deux pays ont réussi à réduire significativement ce ratio, passant respectivement de 207 % à 159 % et de 156 % à 139 % depuis 2020. Sur la même période, celui de la France est seulement passé de 115 % à 112 %, et il est maintenant prévu qu'il reparte à la hausse. Le Premier ministre, Michel Barnier, a présenté la semaine dernière un projet de budget qui cherche à redresser le cap, avec un ajustement du déficit primaire de 1,3% du PIB. L’Assemblée nationale, où il n'a pas de majorité, commencera à en débattre cette semaine. Si les détails de la répartition du poids de l'ajustement (entre impôts et dépenses, ménages et entreprises, etc.) évolueront sans aucun doute, la question clé est de savoir si l'ampleur et la pérennité de l'ajustement seront préservées.
Pourquoi ? Non pas en raison de l’imminence d’une crise de financement. La prime de risque sur la dette française a augmenté d'environ 50 % depuis le début de l'année, mais à 70-80 points de base, elle reste une fraction de ce que la Grèce, l'Italie et d'autres économies d'Europe du Sud ont subi en période de crise de la dette souveraine. De plus, le taux des obligations d'État françaises à 10 ans est comparable à celui de l’Espagne, où le ratio dette/PIB est de 106 %, et inférieur de plus de 100 points de base à ce que le Trésor britannique doit payer aux investisseurs (malgré un ratio dette/PIB de « seulement » 92 % du PIB).
Mais la facture des intérêts augmente, passant de 1,8 % du PIB en 2024 à 2 % en 2025, soit 55 milliards d'euros, ce qui en fait la 3e ligne budgétaire derrière la défense et l'éducation. Plus elle augmente, moins il reste de place pour les autres dépenses. Et à ceux qui rêveraient d’une bonne crise pour insuffler de la discipline politique, rappelons que si la performance des économies de la Grèce et de l'Italie a dépassé celle du cœur de la zone euro ces dernières années, l'Italie n'a que récemment retrouvé son niveau de PIB de 2007, et la Grèce est toujours 20 % en dessous, comme l’illustre notre dernier graphique de la semaine. Méfiez-vous donc de vos souhaits !