Eco Perspectives

Pays émergents | Panoramas régionaux

13/11/2025
PDF

Europe centrale : Résilience

En Europe centrale, l'activité économique a bien résisté au S1 2025. Elle devrait accélérer en 2025 et en 2026 après deux années de croissance molle, principalement grâce à la bonne tenue de la consommation et au rebond de l’investissement (soutenu par les fonds européens). Le redressement de la demande extérieure sera probablement plus lent. Nos prévisions de croissance pour l’Europe centrale (Bulgarie, République tchèque, Hongrie, Pologne Roumanie, Slovaquie) s’élèvent à 2,4% pour 2025 et 2,7% pour 2026 (après 1,9% en 2024).

Il existe de fortes divergences entre les pays. La Pologne se démarque très nettement : sa surperformance des années passées devrait lui permettre de faire partie des vingt plus grandes puissances économiques mondiales dès 2025. La Roumanie et la Hongrie restent, en revanche, à la traîne. En Roumanie, les mesures d’austérité budgétaire pèseront sur la croissance à court terme. La Hongrie, quant à elle, subit un recul très marqué de l’investissement depuis 2022 et les perspectives de rebond sont limitées. Les fonds européens qui devaient lui revenir sont toujours bloqués par l’Union européenne. Enfin, la Slovaquie et la République tchèque s’en sortent relativement bien malgré leur forte dépendance au secteur automobile.

Le reflux graduel de l’inflation devrait se poursuivre en 2026. L’appréciation des devises (notamment contre le dollar) et la progression plus lente des salaires sur la période récente contribuent au processus de désinflation. L’inflation est déjà revenue à l'objectif cible de la Banque centrale en Pologne. La Roumanie, en revanche, fait face à une forte remontée temporaire de l’inflation en raison de mesures budgétaires récemment entrées en vigueur.

Les banques centrales de la région ont poursuivi l’assouplissement prudent de leur politique monétaire en 2025 – à l’exception de la Hongrie, où les taux directeurs sont inchangés depuis août 2024. La marge de manœuvre des autorités monétaires de la plupart des pays d’Europe centrale s’est élargie avec la poursuite de la désinflation ; de nouvelles baisses de taux sont, par conséquent, attendues à court terme. En Roumanie, les autorités monétaires devraient opter pour le statu quo jusqu’à l’été prochain, en attendant que les pressions inflationnistes se dissipent, puis reprendre leur cycle d’assouplissement. Dans le cas de la Slovaquie, pays membre de la zone euro, un recalibrage de la BCE est attendu pour le T4 2026 (avec une hausse de 25 pb à 2,25% pour le taux de la facilité de dépôt).

Concernant la politique budgétaire, la marge de manœuvre est généralement limitée. En effet, les pays d'Europe centrale, à l’exception de la République tchèque, ont été placés en procédure de déficit excessif et doivent, par conséquent, consolider leurs comptes publics.

Asie : Des exportations toujours dynamiques

Depuis le début de l’année, la croissance économique est restée robuste, tirée principalement par les exportations. Les effets du choc tarifaire américain ont été beaucoup moins importants qu’attendu, et les exportations de biens manufacturés ont bénéficié de la forte demande mondiale de produits technologiques et des achats anticipés liés à la perspective de la hausse des droits de douane américains. La demande intérieure, en particulier la consommation privée, est restée plus molle, et le secteur touristique n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant-Covid. La croissance devrait ralentir à court terme, sous l’effet des barrières protectionnistes et d’une demande mondiale moins vigoureuse. Selon nos prévisions, la croissance en Asie (y compris Singapour, Hong Kong, Taïwan et la Corée du Sud) devrait s’établir à 5,1% en 2025 et 4,7% en 2026 (après 5,1% en 2024).

En Chine, les exportations sont un puissant moteur de la croissance tandis que la demande intérieure reste fragile. Après avoir atteint la cible officielle de 5% en 2025, la croissance économique devrait ralentir en 2026. Le moteur exportateur demeure une arme stratégique de Pékin dans sa rivalité avec les États-Unis et dans sa quête de leadership mondial. Il devrait néanmoins s’essouffler à court terme et la consommation privée ne pourra se redresser que si les autorités lancent des mesures ambitieuses pour renforcer la confiance et la demande des ménages. Les politiques budgétaire et monétaire restent modérément accommodantes.

En Inde, la croissance a été dynamique au printemps, mais la consommation des ménages est restée molle et la hausse des tarifs américains menace de pénaliser l’activité s’ils sont maintenus à des niveaux supérieurs à ceux imposés aux autres pays de la région. Face aux risques qui pèsent sur la croissance, les autorités ont baissé les taux d’intérêt (-100 pb) et réduit les taux de TVA pour soutenir la demande intérieure.

En Asie du Sud-Est, l’activité a très bien résisté sur les trois premiers trimestres de 2025 grâce aux exportations. La consommation des ménages a également été solide, soutenue par un marché du travail dynamique, la désinflation et des politiques économiques accommodantes. Cependant, la croissance devrait ralentir à court terme. Pour l’ASEAN-6 (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam), elle devrait passer d’une moyenne de 5% en 2024 à 4,7% en 2025 et 4,3% en 2026. En dehors de l’Indonésie, dont l’activité repose surtout sur la demande intérieure, les économies de l’ASEAN ont un degré d’ouverture élevé et sont donc vulnérables à la hausse des droits de douane américains. Les marges de manœuvre des autorités pour soutenir la croissance se réduisent. Sur le plan monétaire, depuis début 2025 les baisses de taux ont varié entre 25 pb en Malaisie et 125 pb en Indonésie. Si certaines banques centrales pourraient encore abaisser leurs taux directeurs de 25 pb, aucune ne devrait aller au-delà en raison du risque de pressions sur les devises et de la volatilité des flux de capitaux. Sur le plan budgétaire, l’augmentation des dépenses publiques reste maîtrisée. Les gouvernements se sont plutôt engagés dans un processus de consolidation des finances publiques, qui restent dégradées par rapport à l’avant-Covid. Au sein de l’ASEAN-6, l’Indonésie est le pays dont les marges de manœuvre budgétaires sont les plus limitées.

Afrique du Nord / Moyen-Orient : Optimisme prudent

La performance de la région Afrique du Nord/ Moyen-Orient s’est avérée plus solide que prévu. Malgré les troubles au Proche-Orient et l’instabilité de l’environnement international, les prévisions de croissance des économies de la région n’ont cessé d’être révisées à la hausse depuis le début de l’année. La croissance moyenne du PIB réel est désormais attendue à 3,2% en 2025 contre 2,5% en 2024. Le rebond devrait se poursuivre en 2026 (à +3,8%). Dans l’ensemble, la région est peu impactée par le durcissement de la politique douanière américaine. La croissance est notamment tirée par les pays du Golfe, qui bénéficient à la fois de la levée des restrictions relatives à la production pétrolière, dans le cadre des accords OPEP+ et de la poursuite des programmes de diversification économique. Pour les pays du Conseil de coopération du golfe (CCG), la croissance économique devrait passer de 2,1% en 2024 à 3,7% en 2025 et 4,3% en 2026.

Hors CCG, en revanche, les performances sont moins homogènes. Dans les pays importateurs de pétrole, la bonne tenue du secteur agricole et du tourisme, ainsi que le redressement de la consommation privée dans un contexte de baisse de l’inflation ont contribué à renforcer l’activité. La croissance pourrait dépasser 4% en 2025-2026 après deux années de contre-performance. Mais les perspectives sont dans l’ensemble plus fragiles en raison de la persistance de déséquilibres macro-financiers élevés. Le Maroc et, dans une moindre mesure, l’Égypte font figure d’exception même si pour cette dernière la poursuite de réformes (notamment budgétaires) demeure indispensable. Les conséquences de la baisse des cours mondiaux du pétrole sont également à surveiller pour des pays comme l’Algérie, où l’envolée des dépenses publiques ces dernières années a contribué à fragiliser dangeureusement les équilibres macroéconomiques.

Les signaux de reprise dans la région sont encourageants. Cependant, si les fondamentaux macroéconomiques des pays du Golfe restent solides, de nombreuses économies hors CCG restent vulnérables aux chocs exogènes (conjoncture en Europe, variations des termes de l’échange, risque climatique) et leurs filets de sécurité sont insuffisants. En particulier, la dette gouvernementale des pays importateurs de pétrole demeure toujours à un niveau préoccupant, estimé à plus de 77% du PIB en moyenne malgré sa baisse depuis 2023, et le déficit budgétaire devrait à nouveau se dégrader pour atteindre 6% du PIB en 2025 et 2026. L’accès aux marchés financiers internationaux est limité pour la plupart de ces pays, ce qui accentue les contraintes de financement qui pèsent autant sur les finances publiques que sur les comptes extérieurs. À 4% du PIB en moyenne, le déficit courant des pays importateurs de pétrole n’augmente plus mais il reste élevé. Enfin, la situation géopolitique est loin d’être stabilisée malgré l’accord de cessez-le-feu à Gaza et la levée des sanctions en Syrie. L’ensemble de la région reste donc exposée à de nouvelles escalades de tensions, même si les répercussions sur les pays non directement affectés par le conflit ont été jusqu’à présent limitées.

Amérique Latine : Peu impactée par le choc tarifaire américain mais des finances publiques fragiles

La solidité des exportations de matières premières et de produits manufacturés (Colombie, Chili, Mexique) et la bonne performance des secteurs agricole et touristique ont permis de soutenir la croissance au premier semestre 2025 (à l’exception de l’Argentine). Hormis le Mexique (premier partenaire commercial des États-Unis), les pays d’Amérique latine sont généralement moins pénalisés par l’augmentation des tarifs douaniers américains que les autres pays émergents. Le Brésil constitue une autre exception : les tarifs sont actuellement de 50%, mais les effets directs sur l'économie brésilienne seront très limités. En effet, seulement 12% du total des exportations brésiliennes sont à destination des États-Unis, et de nombreux biens sont exemptés.

La croissance des six principaux pays de la région (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Mexique, Pérou) est attendue à seulement 2,1% en 2025 et 1,6%% en 2026 (après 2,0% en 2024). La croissance mexicaine resterait inférieure à 1% et elle continuerait de ralentir au Brésil. En Argentine, le maintien d’une politique budgétaire très restrictive, des taux d’intérêts réels élevés et l’appréciation réelle du taux de change devraient entraîner un fort ralentissement en 2026. À l'exception de la Colombie et du Chili, la faiblesse de la demande interne (consommation des ménages et investissement) sera le principal facteur de modération de l'activité.

On s’attend à une décélération graduelle de l’inflation au niveau régional, mais là encore de façon inégale. Les pressions inflationnistes subsistent notamment au Mexique, au Brésil et en Colombie. Les cycles d'assouplissement des banques centrales se sont poursuivis en 2025 (Mexique) ou ont repris après une période de pause (Chili, Colombie, Pérou, Uruguay). Seul le Brésil a durci sa politique monétaire au premier semestre 2025. On s'attend à une grande prudence de la part des banques centrales de la région dans les mois à venir. Les anticipations d'inflation sont stables mais restent supérieures à l'objectif. Dans certains pays (Brésil, Colombie, Mexique), les conditions monétaires restent restrictives.

Un nouveau cycle électoral débutera fin novembre avec l’élection générale au Chili, et s’achevera en octobre 2026 avec les élections au Brésil. Entre temps, des élections présidentielles et législatives seront organisées en Colombie et au Pérou. Les finances publiques constituent une source de fragilité importante pour la région et seront au cœur des débats électoraux. La plupart des gouvernements ont annoncé des politiques de consolidation budgétaire au cours des cinq dernières années, mais les ratios de dette publique sur PIB continuent d’augmenter. Les soldes budgétaires primaires se sont légèrement améliorés dans l’ensemble (à l’exception notable de la Colombie) grâce à une modeste augmentation des recettes et, dans certains pays, à une baisse des dépenses, mais le plus souvent ces évolutions ne permettent pas de stabiliser la dette. En outre, bien que les pays d’Amérique latine aient considérablement amélioré la composition de leur dette publique (réduction de la part de la dette en devises, allongement des maturités moyennes), le montant de la dette à taux variable ou indexée reste important dans certains pays. Dans l’ensemble, les gouvernements restent très sensibles à une hausse des taux d’intérêt et à un retournement du sentiment des investisseurs.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Éditorial | Pays émergents : la croissance résiste mais ne suffit pas à stabiliser l’endettement public

Éditorial | Pays émergents : la croissance résiste mais ne suffit pas à stabiliser l’endettement public

La croissance des économies émergentes reste solide depuis le début de l’année, grâce notamment au dynamisme des exportations et à l’assouplissement des conditions financières [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Pays émergents | Indicateurs économiques

Pays émergents | Indicateurs économiques

Les indicateurs clés des principaux pays émergents et ceux de leur endettement public et de leur vulnérabilité aux conditions financières extérieures. [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Chine | Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré

Chine | Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré

Après un début d’année solide, la croissance économique chinoise a ralenti progressivement. Grâce à une réorientation rapide, les exportations ont bien résisté au choc tarifaire américain [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Inde | Soutien budgétaire à la croissance

Inde | Soutien budgétaire à la croissance

La croissance économique indienne a surpris à la hausse entre avril et juin 2025 (+7,8% en g.a.). Mais l’activité est moins dynamique qu’il n’y paraît et les risques baissiers sur la croissance sont élevés. La consommation des ménages reste molle [...]

LIRE L'ARTICLE
Indonésie
Indonésie | Pressions sur les finances publiques et les comptes extérieurs

Indonésie | Pressions sur les finances publiques et les comptes extérieurs

L’Indonésie est moins exposée aux conséquences de la hausse des tarifs douaniers américains que les autres pays de l’ASEAN, mais les risques baissiers sont importants [...]

LIRE L'ARTICLE
Turquie
Turquie | Ralentissement sur fond d'instabilité financière

Turquie | Ralentissement sur fond d'instabilité financière

La croissance économique turque marque le pas. Hors restockage, la demande finale s’est contractée au T2 2025, après avoir nettement ralenti au T1. Ce faisant, elle s’est rééquilibrée avec moins de consommation et plus d’investissement [...]

LIRE L'ARTICLE
Pologne
Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

La Pologne devrait faire son entrée, dès 2025, dans le cercle des 20 plus grandes puissances économiques mondiales. Son PIB en valeur dépasserait les 1000 milliards de dollars cette année [...]

LIRE L'ARTICLE
Roumanie
Roumanie | Cure d'austérité budgétaire

Roumanie | Cure d'austérité budgétaire

Les incertitudes électorales ont fortement pesé sur l’activité économique de la Roumanie l’an dernier. En 2025 et 2026, la croissance économique ne devrait s’améliorer que légèrement [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
Brésil | Face au ralentissement : un État contraint mais pas impuissant

Brésil | Face au ralentissement : un État contraint mais pas impuissant

Sous l’effet du resserrement monétaire, la croissance économique du Brésil s’essouffle depuis deux trimestres [...]

LIRE L'ARTICLE
Mexique
Mexique | Marges de manœuvre limitées

Mexique | Marges de manœuvre limitées

La croissance économique mexicaine a bien résisté au premier semestre 2025 [...]

LIRE L'ARTICLE
Argentine
Argentine | Dilemmes

Argentine | Dilemmes

Depuis le printemps, la situation macroéconomique et financière s’est fortement détériorée. La stabilisation pourtant réussie de 2024 a finalement été de courte durée. L’économie devrait avoir formellement basculé en récession au troisième trimestre [...]

LIRE L'ARTICLE
Colombie
Colombie | Dans l’attente des élections

Colombie | Dans l’attente des élections

En Colombie, la croissance économique rebondit après deux années de mauvaises performances, mais plusieurs secteurs d’activité sont encore à la traîne et l’investissement reste faible [...]

LIRE L'ARTICLE
Egypte
Égypte | Perspectives favorables à court terme

Égypte | Perspectives favorables à court terme

La stabilisation progressive de l’économie égyptienne se confirme, portée par le rétablissement de la liquidité en devises, et ce malgré le rythme inégal des réformes [...]

LIRE L'ARTICLE
Maroc
Maroc | Les voyants économiques sont au vert

Maroc | Les voyants économiques sont au vert

L’économie marocaine poursuit sur sa lancée. Peu impactée par le resserrement de la politique douanière américaine, elle enregistre une croissance du PIB soutenue depuis le début de l’année [...]

LIRE L'ARTICLE