Depuis le printemps, la situation macroéconomique et financière s’est fortement détériorée. La stabilisation pourtant réussie de 2024[1] a finalement été de courte durée. L’économie devrait avoir formellement basculé en récession au troisième trimestre. Le compte courant est de nouveau en déficit malgré la budgétaire très restrictive et, en dépit du soutien massif du FMI depuis avril, les réserves de change restent très insuffisantes au regard des tombées de dette extérieure à venir. Depuis septembre, le gouvernement bénéficie du soutien du Trésor américain et le parti du président Milei est sorti grand vainqueur des élections de mi-mandat, ce qui a permis de rassurer les investisseurs. Pour l’instant, la solvabilité des finances publiques n’est pas menacée, même en cas de dérapage modéré du solde budgétaire. Mais le gouvernement va faire face à deux dilemmes. D’une part, le renforcement nécessaire de la liquidité extérieure via une politique budgétaire toujours restrictive risque d’accentuer les pressions politiques et sociales. D’autre part, en l’absence d’amélioration durable du compte courant et des réserves de change, les pressions pour une dévaluation seront fortes. Une dépréciation réelle du change restaurerait peut-être les comptes extérieurs mais au prix d’une récession plus sévère, du moins à CT, et entraînerait un dérapage mécanique du ratio de dette publique, majoritairement libellée en USD.
Croissance : passage à videAprès un net rebond au S2 2024[1] , la croissance économique a fortement ralenti au cours du T1 2025, pour finalement s’interrompre au T2 (-0,1% t/t). En volume, la consommation, les exportations et, dans une moindre mesure, l’investissement, ont tous contribué négativement à la croissance du PIB réel. La baisse du PIB aurait été plus marquée sans la baisse des importations, plus forte que celle des exportations. Pour autant, la contribution positive des échanges extérieurs reflète plus un excédent de récession qu’une amélioration de la compétitivité. Par secteur, le maintien de l’activité dans la construction (+2,2%) n’a pas suffi à compenser la baisse de la production industrielle (-1,7%).
Prévisions
Les indicateurs disponibles au T3 suggèrent une retombée dans la récession ; la production industrielle a continué de se contracter (-1,5% en juillet-août par rapport au T2) et l’activité dans la construction s’est retournée (-1,4% sur les mêmes périodes de comparaison). Seules les exportations sont restées bien orientées (graphique 1).
Pourtant, jusqu’en juin, l’environnement macrofinancier était encore favorable (ralentissement de l’inflation de 3,2% par mois en moyenne au S2 2024 à 2,4% au S1 2025, transition réussie vers un régime de change plus flexible avec unification des taux de change en avril, taux d’intérêt stables). Cela n’a pas suffi car parallèlement :
i/ la politique budgétaire est restée très restrictive avec, notamment, une forte baisse des transferts courants
ii / malgré la désinflation et le redressement des salaires réels, la dégradation du marché du travail (baisse de l’emploi de près de 5% depuis le T3 2024) a pesé sur le revenu des ménages
iii/ les taux d’intérêt réels ont augmenté avec la désinflation et fini par enrayer la reprise du crédit, qui avait largement contribué au redémarrage de la consommation aux S2 2024 et T1 2025
iv/ l’appréciation du taux de change réel a dopé les volumes d’importations entre septembre 2024 et mars 2025.
Argentine : Indicateurs d’activité (déc. 2019=100) Durant l’été et jusqu’aux élections législatives de mi-mandat, les marchés de taux et de change ont fait preuve d’une grande fébrilité, le peso s’étant déprécié au-delà de sa borne basse de son corridor de fluctuations[2] . Javier Milei a fait face à une plus forte opposition du parlement, qui a réussi à imposer une hausse de certaines dépenses. Les tensions sur le peso sont retombées avec l’annonce en septembre du soutien du Trésor américain sous la forme d’une ligne de swap de USD 20 mds, garantie par le fonds de soutien des changes (Exchange Stabilisation Fund ) et d’une intervention directe sur le marché des changes[3] et, surtout, avec la victoire du parti du président Milei (La Libertad Avanza ) aux élections de mi-mandat le 26 octobre[4] . Le peso s’est fortement réapprécié, revenant à l’intérieur de son corridor de fluctuations et la prime de CDS 5Y est retombée à 820 ponts de base contre 1200 avant les élections.
Nous avons sensiblement revu à la baisse nos perspectives de croissance pour 2025, et surtout 2026. Mais l’allègement des tensions financières depuis les élections devrait éviter un prolongement de la récession au-delà du deuxième semestre 2025.
Liquidité extérieure toujours insuffisante Grâce au soutien financier du FMI, les réserves de devises de la Banque centrale argentine ont pour l’instant été renforcées. Mais elles restent faibles et ont nourri les analyses et déclarations de situation de bail-out du pays.
Le solde du compte courant, qui était excédentaire tout au long de 2024, est repassé en déficit sur les six premiers mois de 2025[5] . Le surplus de la balance commerciale s’est maintenu malgré un effet de ciseau entre l’accélération du volume des importations accentuée par la levée des restrictions et la croissance bien plus modérée exportations. L’amélioration des termes de l’échange au T2 2025 n’a qu’en partie compensé cet écart. La balance des services s’est fortement aggravée du fait de l’appréciation du taux de change réel (ce qui a stimulé les dépenses de tourisme des Argentins hors de leur frontière). L’évolution de la balance commerciale et celle des services suggèrent que le taux de change réel pourrait être de nouveau surévalué. De fait, la dévaluation de décembre 2023 a été effacée.
Par ailleurs, la charge d’intérêts sur la dette extérieure pèse un peu plus sur le solde courant. Enfin, les flux nets d’IDE et d’investissements de portefeuille sont resté faibles et l’assouplissement du contrôle des changes a généré des sorties de capitaux des résidents.
Les réserves de change de la Banque centrale (BCRA) se sont érodées à partir de la fin 2024 et elles n’étaient plus que de USD 25 mds fin mars. La réduction s’est interrompue avec le déboursement par le FMI, début avril, de USD 12 mds, le gouvernement argentin ayant obtenu une ligne supplémentaire de USD 20 mds de la part de l’institution dans le cadre du renouvellement de l’accord de facilité élargie (Extended Fund Facility ). Depuis, les réserves se sont légèrement renforcées avec un nouveau déboursement de USD 2 mds par le FMI suite à la conclusion de la première revue en juillet. Le 17 octobre, elles s’élevaient à USD 41,2 mds.
Elles restent néanmoins très fragiles et largement insuffisantes au regard du service de la dette extérieure, surtout si l’on considère les réserves « utilisables » de la BCRA, c’est-à-dire sans la ligne de swap en renminbi avec la Banque centrale chinoise (équivalente à USD 23 mds) et sans les réserves obligatoires en devises des banques commerciales auprès de la Banque centrale (USD 12 mds). D’ici la fin de l’année, les tombées de dette en USD du gouvernement fédéral et de la BCRA[6] sont de USD 3 mds (en supposant que le FMI débourse de nouveau USD 2 mds à l’issue de la deuxième revue). Mais, en 2026, le service de la dette des administrations publiques (gouvernement fédéral, Banque centrale et régions) est estimé à environ USD 22 mds. Et à cela s’ajoute une dizaine de milliards supplémentaires de tombées de dette extérieure financière des entreprises du secteur privé non bancaire.
Le soutien financier du Trésor américain a été interprété comme équivalent à un bail-out . Un bail-out est un soutien financier en cas de défaut imminent et est généralement associé à une restructuration de dette. L’Argentine n’est pas dans ce cas actuellement. Le pays est simplement confronté à un manque de liquidité en dollars. Mais il est clair que la difficulté à restorer la liquidité en devises sans le soutien du FMI est préoccupante. Jusqu’à présent, ce dernier a accordé une dispense pour non-respect de l’objectif d’augmentation de réserves internationales nettes (un des critères quantitatifs pour obtenir le satisfecit de l’institution et le soutien financier qui l’accompagne) car les objectifs de finances publiques sont respectés.
En 2026, le très fort ralentissement de la croissance voire la poursuite de la récession, devrait entraîner une contraction des importations. Parallèlement, les exportations ne devraient pas être trop affectées par l’augmentation des tarifs américains. Sauf à supposer une nouvelle baisse des prix des matières premières agricoles exportées (soja, blé, maïs), les exportations devraient augmenter. Hors charge d’intérêts sur la dette extérieure, le compte courant pourrait ainsi redevenir positif.
Cependant la charge d’intérêts s’alourdira et le coût d’emprunt en devises fortes reste très élevé. Un dilemme entre le renforcement nécessaire de la liquidité extérieure via une politique budgétaire encore plus restrictive et les pressions sociales pour soutenir l’activité va donc se poser pour les autorités.
Finances publiques : une solvabilité restaurée mais fragile Les ratios de finances publiques ont continué de s’améliorer malgré le ralentissement de la croissance. Le solde budgétaire primaire ne s’est que légèrement réduit à 1,6% du PIB en cumul sur 12 mois en septembre 2025 contre 1,8% en 2024. Les recettes se sont tassées à 19,7% du PIB en septembre contre 20,2% en 2024, reflet des réductions d’impôts. Les dépenses primaires (i.e . hors intérêts) ont continué de baisser encore fortement en termes réels, mais sensiblement moins qu’en 2024, pour ne représenter que 18,2% en septembre 2025 contre 18,4% en 2024. Soulignons qu’en 2023, elles représentaient encore 27% du PIB, ce qui témoigne de la violence des restrictions budgétaires. Parallèlement, la charge d’intérêts a continué de s’alléger (1,2% du PIB sur 12 mois en septembre contre 1,5% en déc. 2025).
Pour 2026, le gouvernement s’est engagé sur un objectif de surplus primaire de 2,2% du PIB et d’équilibre du solde total. Mais, l’hypothèse sous-jacente de croissance de 4,5% est d’ores et déjà inatteignable. De plus, la dette de l’État fédéral reste majoritairement libellée en devises fortes (55%), pour l’essentiel en dollar. Sauf crise de balance des paiements, peu probable compte tenu du soutien financier extérieur, la solvabilité des finances publiques n’est pas menacée, même en cas de dérapage modéré du déficit budgétaire. Mais, en l’absence d’amélioration durable du compte courant et des réserves de changes, les pressions pour une dévaluation seront fortes. Une dépréciation réelle du change restaurerait peut-être les comptes extérieurs mais au prix d’une récession plus sévère à court terme et d’un dérapage mécanique du ratio de dette publique. Un autre dilemme.
Achevé de rédiger le 28 octobre 2025