La stabilisation progressive de l’économie égyptienne se confirme, portée par le rétablissement de la liquidité en devises, et ce malgré le rythme inégal des réformes. Le rebond de l’activité, soutenu par la consommation des ménages, a été plus solide qu’attendu, en dépit d’un environnement budgétaire et monétaire restrictif. La baisse de l’inflation paraît inscrite dans la durée et devrait permettre la poursuite de l’assouplissement monétaire dans les trimestres à venir. Les perspectives concernant la liquidité en devises sont favorables, notamment grâce aux importants financements des créanciers bi- et multilatéraux. La situation des finances publiques est plus contrastée : l’effort de consolidation est réel, malgré la lenteur de certaines réformes, mais la charge d’intérêts demeure une source de vulnérabilité importante. Enfin, la situation du secteur énergétique est à surveiller, ses déséquilibres croissants continuant de peser sur l’activité et les comptes extérieurs égyptiens.
Reprise progressive de l’activité Malgré un environnement marqué par une inflation forte, des restrictions budgétaires et des taux d’intérêt réels élevés, la reprise de l’activité a été plus forte que prévu au cours de l’année budgétaire[1] (AB) 2025. La croissance économique a atteint 4,4%, contre 2,4% sur l’AB2024. La consommation des ménages (+8% a/a) et dans une moindre mesure l’investissement (+1,4% a/a malgré la baisse de l’investissement du secteur public) ont été les principaux moteurs de ce rebond. La dépense publique (-2% a/a) reste contrainte par la nécessité de réduire le déficit budgétaire, tandis que la hausse soutenue des importations (en raison d’un effet de rattrapage post-crise de balance des paiements et de la hausse des importations énergétiques) limite le soutien du commerce extérieur à l’activité.
Prévisions
À court terme, la croissance économique devrait continuer de progresser (+5,2% attendu en AB2026) grâce à la consommation des ménages (plus de 80% du PIB) et à la poursuite de la reprise de l’investissement des entreprises, favorisée par l’assouplissement monétaire. Néanmoins, il convient de rester prudent sur le potentiel d’accélération de l’activité, étant donné qu’une part conséquente du rebond enregistré en AB2025 (l’activité manufacturière a crû, par exemple, de 13,6% sur les neuf premiers mois de l’AB2025) est en grande partie due à la fin des contraintes pesant sur l’accès à la devise. A contrario , les perspectives du secteur des hydrocarbures restent incertaines. L’activité de l’ensemble des secteurs extractifs (principalement pétrole et gaz) s’est repliée de 9% en AB2025.
Réduction des pressions inflationnistes Le repli de l’inflation se poursuit grâce principalement à la décélération de l’inflation des biens alimentaires (1/3 de l’indice des prix). L’inflation urbaine a progressé de 11,7% en g.a. en septembre et devrait atteindre 10,7% en moyenne en AB2026 (20,9% en AB2025). Au cours du dernier trimestre, le repli des cours du pétrole et la relative faiblesse du dollar ont aussi favorisé la réduction de l’inflation. À brève échéance, la désinflation devrait se poursuivre, mais à un rythme toujours heurté. En effet, si la baisse des prix du pétrole devrait se poursuivre au moins jusqu’au T1 2026, la trajectoire du taux de change est incertaine. Par ailleurs, la réduction de certaines subventions, éléments de la conditionnalité du plan de soutien du FMI, pourrait temporairement alimenter les pressions inflationnistes. Ainsi, les prix de l’ensemble des carburants ont augmenté de plus de 10% en octobre 2025, après une baisse des subventions à l’énergie. Néanmoins, La cible d’inflation de la Banque centrale semble atteignable (en moyenne 7% +/-2pp au T4 2026).
Dans ce contexte désinflationniste, la Banque centrale a initié la baisse de ses principaux taux d’intérêt depuis avril dernier (-525 pb après +1600 pb entre mars 2022 et avril 2025, graphique 1). L’assouplissement monétaire devrait se poursuivre en 2026.
Égypte : Inflation et politique monétaire Amélioration de la liquidité en devises Les comptes extérieurs connaissent une évolution favorable depuis 2024, malgré un environnement régional difficile. En AB2025, la baisse des recettes du Canal de Suez a été largement compensée par le rebond significatif de la fréquentation touristique et surtout par la hausse des transferts des expatriés. Plus inquiétante est la hausse du déficit de la balance commerciale énergétique qui risque de s’étendre du secteur du gaz (les importations de GNL ont augmenté de 85% en g.a. sur les neuf premiers mois de l’AB2025) au secteur du pétrole étant donné l’évolution négative de la production locale. En AB 2025, d’une part le déficit courant s’est creusé à 4,2% du PIB.
D’autre part, les entrées nettes d’IDE et d’investissements de portefeuille ont diminué en raison de l’absence d’éléments exceptionnels. Les flux de dette ont été négatifs en termes nets en raison du montant élevé des amortissements de dette extérieure. Au total, les réserves en devises de la Banque centrale ont diminué. Néanmoins, la liquidité en devises de l’ensemble du système bancaire a continué de s’améliorer avec la poursuite du rétablissement de la position extérieure nette des banques commerciales. À la fin de septembre 2025, la position extérieure nette de l’ensemble du système bancaire était en excédent de près de USD21 mds.
À court terme, la réduction progressive du déficit courant (poursuite de la croissance des revenus touristiques, reprise de l’activité en mer Rouge) et les financements bi- et multilatéraux (par exemple le déboursement de EUR 7,4 mds par l’UE sur la période 2024-27) devraient maintenir la liquidité en devises à un niveau satisfaisant. Une des conditions clés de la stabilisation macroéconomique réside dans la volonté des autorités de continuer la politique de flexibilisation du régime de change. Celle-ci progresse, mais les autorités ont jusqu’à présent bénéficié d’un environnement favorable, grâce à des financements extérieurs importants et, plus récemment, l’affaiblissement du dollar.
Performances budgétaires contrastées Depuis la sortie de crise en 2024, le bilan de l’évolution des finances publiques est plutôt en demi teinte. Au crédit du gouvernement figure la modération des dépenses primaires (hors charge d’intérêts) permise notamment par la réduction des investissements publics et des subventions (-0,5% de PIB). A contrario , les recettes budgétaires en % du PIB sont restées quasi stables malgré la reprise de l’activité économique, pénalisées notamment par la baisse des recettes du Canal de Suez. L’excédent primaire a cependant continué de progresser pour atteindre 3,7% du PIB en AB2025 contre 2,5% l’année précédente (hors élément exceptionnel).
La charge des intérêts sur la dette du gouvernement reste la principale source de vulnérabilité des finances publiques et empêche pour le moment toute réduction significative du déficit budgétaire (graphique 2). En AB2025, le paiement des intérêts a dépassé pour la première fois l’équivalent de 10% du PIB, soit environ 62% des revenus totaux du gouvernement. Ce niveau est de loin le plus élevé parmi les pays émergents (inférieur à 15% en moyenne). La hausse du coût de la dette domestique a largement dépassé les effets positifs des fonds de l’opération Ras El Hekma[2] (REH) sur les finances publiques (environ 3,7% du PIB).
Égypte: Solde budgétaire et charge d’intérêt Au total, le déficit budgétaire a atteint 7,0% du PIB en AB2025 (inchangé par rapport à l’AB2024 si l’on exclut le revenu exceptionnel lié à l’opération REH). En 2026 et 2027, la poursuite des réformes du FMI, notamment la réduction des subventions énergétiques (qui devrait être favorisée par la baisse attendue du prix du pétrole en 2026), et la hausse des recettes, devraient stabiliser l’excédent primaire au-dessus de 3% du PIB. Par ailleurs, la poursuite de l’assouplissement monétaire permettra de réduire progressivement le coût de financement du gouvernement sur les maturités les plus courtes. Le déficit budgétaire devrait continuer de se réduire pour atteindre 6% du PIB en AB2027.
Poursuite de la baisse de la dette publique Le financement du déficit budgétaire reste dominé par les émissions de titres en monnaie locale et de maturité inférieure à un an. À ceci s’ajoutent des financements bi- et multilatéraux. L’objectif du gouvernement est d’allonger les maturités de ses émissions domestiques et de limiter l’endettement extérieur auprès des créanciers privés (les émissions internationales ne devraient pas dépasser USD 4 mds en AB2026 selon le gouvernement, soit environ 1% du PIB).
Depuis la période de crise de balance des paiements en 2022-23, les conditions de financement s’améliorent progressivement. La prime de risque sur les emprunts internationaux du souverain égyptien est passée de 1150 pb fin 2023 à environ 400 pb actuellement. En 2025, le gouvernement a emprunté environ USD 5 mds sur les marchés internationaux (Eurobond et Sukuk), et la maturité moyenne des émissions sur le marché local s’est allongée avec l’augmentation des émissions de T Bonds par le gouvernement. Celle-ci reste néanmoins modeste, durant les sept premiers mois de 2025, les T Bonds n’ont représenté qu’un peu plus de 10% des émissions en monnaie locale.
L’objectif du gouvernement d’allonger la maturité moyenne de la dette totale à 4,5 ans au T4 2026 (3,3 ans au T22025) nous semble optimiste car il se heurte à deux contraintes : la volonté de limiter l’endettement extérieur et le rythme prudent de réduction des taux d’intérêt par la Banque centrale, ce qui diminue l’intérêt pour le gouvernement d’augmenter trop rapidement la maturité de ses émissions.
La dette du gouvernement a atteint 83% du PIB en AB2025 (contre 96% en AB2023). La dette extérieure représente 27% du total, et 35% si l’on ajoute la dette émise localement détenue par des non-résidents. Selon notre scénario central, le ratio de dette sur PIB devrait continuer de se réduire et atteindre 74% du PIB en AB2027.
Le financement du déficit budgétaire étant essentiellement domestique, les conditions de financement du gouvernement ne sont pas directement exposées à l’évolution des taux d’intérêt internationaux. Cependant, une vulnérabilité existe bel et bien pour l’économie égyptienne. En effet, les besoins de financement extérieur du pays sont élevés et actuellement couverts par les montants massifs de financements internationaux (notamment FMI, Banque mondiale et Union européenne), qui s’étendent jusqu’en 2027. À moyen terme, la nécessité d’attirer des investissements de portefeuille pour équilibrer la balance des paiements restera importante. Dans ce contexte, le maintien de taux d’intérêt égyptiens suffisamment attractifs pour les investisseurs internationaux restera un objectif important de la Banque centrale.
Achevé de rédiger le 20 octobre 2025