Eco Perspectives

États-Unis | Ralentissement en cours

22/09/2025
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La croissance des États-Unis a nettement diminué par rapport à 2024 et devrait rester modérée dans les prochains mois, tout en maintenant un certain dynamisme. L’inflation rebondit graduellement en raison notamment de la hausse des tarifs douaniers, tandis que le marché du travail s’affaiblit déjà nettement. Ces développements provoquent le un rééquilibrage des risques autour du mandat dual de la Réserve fédérale (Fed) : ceux – baissiers – sur l’emploi prennent de l’ampleur par rapport à ceux – haussiers – sur l’inflation. Cela devrait conduire, selon nous, la Fed à procéder à deux nouvelles baisses du taux directeur d’ici la fin 2025 après la baisse de septembre. Dans le même temps, la politique budgétaire ne devrait pas permettre d’enrayer l’augmentation du ratio de dette publique.

La croissance au ralenti

CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE)

La croissance du PIB a sensiblement ralenti du fait de l’incertitude et des craintes inflationnistes dues aux décisions de politique économique, notamment commerciales. Mesurée en moyenne sur le S1 2025 pour neutraliser la volatilité induite par la nette hausse des importations au T1 (et leur reflux au T2), elle s’est réduite à +0,3% t/t (+0,7% en moyenne au S2 2024). La demande intérieure finale privée recule également (+0,5%, contre +0,8% auparavant). Avec en moyenne +0,3%, la consommation ralentit significativement (vs. +0,9% au S2 2024). L’investissement résidentiel s’est contracté durant les deux derniers trimestres et se situe 12% en deçà du S2 2021. A l’inverse, l’investissement productif accélère avec une croissance moyenne de +1,9% (+0,1% au S2 2024).

Les données disponibles pour le T3 sont globalement encourageantes. Les ventes au détail étaient robustes en juillet et août. Dans le même temps, la tendance bicéphale de l’investissement se prolonge, avec des difficultés dans les mises en chantier (-8,4% m/m en août) et les permis de construire (contraction mensuelle en juillet et août) ; mais des commandes sous-jacentes de biens durables en hausse en juillet. Selon nos prévisions, le taux de croissance annuel moyen atteindrait 1,7% en 2025 (+2,8% en 2024), largement aidé par l’effet d’acquis de l’année précédente (1,0pp), puis 1,5% en 2026.

Commerce extérieur : au-delà du pic du printemps, un choc d’incertitude durable

Les États-Unis subissent très peu de rétorsions tarifaires, en dehors de la Chine, et l’apport du commerce extérieur à la croissance a été très légèrement positif au S1. En juillet, les exportations de biens se sont réduites à un niveau conforme à celui du S2 2024, le boost de la fin de T1 2025 se dissipant progressivement.

ÉTATS-UNIS : INCERTITUDE DE POLITIQUE COMMERCIALE (MOYENNE MOBILE SUR 30 JOURS)

Au préalable, les tensions commerciales ont induit de la variabilité dans le solde commercial des biens, tandis que celui des services, épargnés par celles-ci, est resté stable (+1,0 - +1,1% du PIB). L’incertitude de politique commerciale reflue grâce à la clarification permise par les annonces d’accords commerciaux de l’été (60% des importations de 2024 couvertes), mais reste très élevée (graphique 2). Enfin, des aspects importants restent en suspens, à savoir les investigations au titre de la Section 232 du Trade Expansion Act, susceptibles d’aboutir à des tarifs sectoriels sur la pharmacie, les puces et les semi-conducteurs, et le recours sur la légalité des tarifs réciproques devant la Cour suprême (début novembre).

Marché du travail : toujours tendu, malgré une nette baisse des créations d’emplois

Le refroidissement du marché du travail est enclenché depuis 2024, mais s’amplifie. Ceci nourrit les craintes d’une remontée plus prononcée du taux de chômage (4,3% en août, +0,1pp a/a). Les créations d’emplois salariés (nonfarm payrolls) sont passées de +175k en janvier à +64k en août (moyenne mobile sur 6 mois). Le secteur du gouvernement (+1k de moyenne mensuelle depuis janvier) fait écho à la politique associée, alors que le secteur des loisirs et de l’hôtellerie ralentit (+8k, +20k en moyenne annuelle en 2024). L’emploi manufacturier est en recul (-5k). L’affaiblissement transparaît dans la dernière révision annuelle du BLS sur l’emploi salarié entre avril 2024 et mars 2025, qui atteint -911k dans l’estimation préliminaire (record historique). L’offre de travail est pénalisée par la nouvelle politique migratoire, particulièrement restrictive, qui coïncide avec une réduction de 1,5 million des travailleurs non-natifs entre mars et août 2025[1]. Dans le même temps, le taux d’activité a perdu 0,2pp, à 62,3%.

Pour le moment, le taux de chômage se maintient dans une fourchette de 4,0% à 4,3%, conforme ou légèrement en deçà du plein-emploi. Notre scénario central table sur une stabilisation à court terme car la croissance de la main d’œuvre disponible et le rythme des créations d’emplois[2] ralentissent parallèlement. Le « drôle d’équilibre », décrit par J. Powell, apparaît dans les mesures sous-jacentes de l’état de tension du marché du travail. Le peu de mouvements parmi les embauches, démissions et licenciements suggère un attentisme partagé, tandis que le rapport entre les emplois vacants et les personnes en recherche d’emploi est proche de 1 (contre 2,1 avant le début du resserrement monétaire et 0,6 de moyenne entre 2001 et 2019).[IML1]

Inflation : pas d’effets de second tour ?

La transmission de la hausse des droits de douane à l’inflation se précise. L’inflation (CPI) a augmenté au T3 (+2,9% a/a contre +2,4% au T2) tirée à la hausse par les biens hors-énergie (+1,5% a/a en août, contre -1,1% de moyenne annuelle en 2024). Le processus devrait se poursuivre. La sous-composante des prix payés de l’enquête ISM, indicateur avancé de l’inflation sous-jacente, évolue de façon inédite depuis 2022 (graphique 3). Les services non-énergétiques, logement et hors logement, ralentissent globalement mais restent sensiblement au-dessus des 2%, respectivement à +3,3% et +3,6%. Ainsi, nous anticipons une hausse de l’inflation jusqu’à un pic de +3,5% a/a mi-2026.

ÉTATS-UNIS : PRIX PAYÉS ET INFLATION SOUS-JACENTE

Le principal risque réside dans les possibles effets de second tour de cette inflation tarifaire, peu probables à ce stade si le ralentissement de l’activité se poursuit. Les anticipations d’inflation des marchés restent bien ancrées, bien que le niveau dégradé de celles des ménages soit un signal à surveiller. Pour sa part, J. Powell s’est rangé à l’opinion des « colombes » (doves) de son board. Il a estimé « improbable » une inflation salariale en raison de « l’accroissement des risques à la baisse » sur le marché du travail, jugeant dès lors une « hausse ponctuelle des prix » comme un « scénario central raisonnable ».

FOMC, le chant de la colombe

Si les tensions se renforcent de part et d’autre du mandat dual de la Fed, les développements et risques baissiers sur le marché du travail impliquent une réallocation des risques vers la composante « emploi maximal ». La Fed a ainsi réduit de 25 pb sa cible de taux en septembre, à +4,0% - +4,25%, dans une optique de « gestion des risques ». Selon nos prévisions, cela amorce un cycle d’assouplissement monétaire devant se poursuivre jusqu’au taux terminal de 3,0% (limite supérieure) en fin de S1 2026, dont deux nouvelles baisses de 25 pb d’ici à fin 2025. En 2026, la matérialisation des risques inflationnistes et la résilience de l’économie ne devraient pas justifier plus de deux baisses de taux supplémentaires. Cependant, la priorisation nouvelle du volet emploi implique que les risques autour de ce scénario central pointent vers davantage de baisses de taux en cas d’affaiblissement. Dans le même temps, la question de l’indépendance de la Fed occupe les esprits. C’est un enjeu de taille qui comporte des risques matériels (hausse de la prime d’inflation, pressions obligataires et/ou affaiblissement de la devise nationale).

Stabilisation du déficit à un niveau dangereux

La politique fiscale de l’administration ne devrait pas permettre de redresser les comptes publics[3] (). La loi budgétaire One, Big, Beautiful Act (OBBA), promulguée le 4 juillet, devrait avoir un impact négatif sur le déficit fédéral, que le Congressional Budget Office (CBO) estime entre USD 4 113 et 4 971 mds sur toute la période 2025 – 2034. Le CBO évalue, d’autre part, à USD 4 000 mds la réduction du déficit permise par les revenus tarifaires sur la même période, ce qui compenserait, toutes choses égales par ailleurs, en majeure partie l’impact de l’OBBA et limiterait l’accroissement du déficit. Dans ces conditions, nous estimons que le déficit fédéral s’établirait à -5,5% en 2025, ce qui correspond à une impulsion budgétaire négative, et entre -5,5% et -6,0% du PIB sur la période 2026 – 2029 (-6,4% en 2024). Il s’agirait de niveaux particulièrement élevés, contribuant à la hausse du ratio de dette publique sur PIB (97,8% en 2024 avant 99,9% en 2025 et 101,7% en 2026).

En attendant, une relative pression obligataire apparaît : les taux à 30 ans ont approché les 5,0% en août (contre 4,7% en moyenne au S1 2025), avant de reculer après des données économiques décevantes. Dans le même temps, le Trésor accroît ses programmes de rachats de titres. Il a ainsi acquis USD 135 mds de titres depuis le 20 janvier 2025 afin de réduire la charge d’intérêt via un raccourcissement de la maturité moyenne de la dette. La pratique fait toutefois courir un risque accru de liquidité sur des maturités courtes sur-sollicitées.

Achevé de rédiger le 18 septembre 2025

[1] L’ampleur exacte de cette réduction fait débat (difficultés de comptage et effets possibles de report dans les statistiques de la population native). Mais elle n’en alerte pas moins sur le risque que les expulsions font peser sur le marché du travail américain.

[2] Le « point mort » du taux de chômage correspond au nombre de créations d’emplois nécessaire à sa stabilité au regard de l’évolution de la force de travail. Nous l’évaluons aujourd’hui à 35k – 50k, contre 70k – 100k précédemment.

[3] voir notre EcoInsight : Le marché des Treasuries, un colosse aux pieds d’argile – Dette fédérale, les risques de l’abondance

[IML1]À mettre en perspective historique.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées

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