La France devrait voir sa croissance économique diminuer au cours des deux prochaines années et le taux de chômage remonter, alors que les gains de pouvoir d’achat, associés à la désinflation, sont derrière nous et que l’incertitude politique devrait peser. Une période difficile que pourrait venir amortir le rebond de la production aéronautique, mais qui pourrait voir aussi se matérialiser des risques à la baisse qui pèsent sur les débouchés commerciaux en Allemagne et aux États-Unis. L’un des défis pour la France sera de mener à bien une consolidation budgétaire sans altérer son attractivité, notamment la faculté de son marché du travail à créer des emplois lorsque la reprise surviendra.
La croissance du PIB fléchit
Alors que 2023 et 2024 (selon nos estimations pour cette dernière) ont enregistré une croissance légèrement supérieure à 1%, celle-ci devrait passer sous ce seuil en 2025 et 2026. Le climat des affaires est inférieur à sa moyenne de long terme (100) depuis octobre 2023, mais son repli s’est accéléré à partir de juillet 2024 pour atteindre 96 en novembre. Cette détérioration a été compensée, jusqu’en septembre 2024, par le rebond de la confiance des ménages, passée de 81 en mars 2023 (date du pic d’inflation) à 95, en raison de la désinflation. Cela augurait d’une croissance résiliente et d’un changement de déterminants (moins d’investissement des entreprises vs. plus de consommation des ménages). Toutefois, le brutal retournement de tendance de la confiance des ménages, de 95 à 90 entre septembre et novembre, souligne la probabilité que les dépenses des ménages ne prennent pas le relai de celles des entreprises et que la croissance en souffre.
Vers une remontée du chômage
La détérioration du sentiment des ménages est liée à leur crainte d’une augmentation du chômage (le solde d’opinion sur les perspectives d’évolution du chômage est passé de +28 à +42 entre septembre et novembre 2024).
La détérioration perceptible dans l’industrie manufacturière, liée à l’absence de rebond de la demande en France ainsi qu’en zone euro (dont en Allemagne), a engendré au T3 de premières destructions d’emplois dans le secteur (1700) depuis le T3 2017 (hors période de Covid-19). Les services marchands, dont le momentum s’est nettement essoufflé (en moyenne 4 500 créations nettes de postes sur les quatre derniers trimestres, contre 36 000 lors des quatre précédents), devraient suivre. Nous anticipons un recul de l’emploi salarié privé de près de 100 000 postes en 2025. Cela devrait accentuer le rebond du taux de chômage qui demeure pour le moment modéré (de 7,1% au T1 2023 à 7,4% au T3 2024) vers 8,5% au T4 2025.
Une désinflation en trompe l’œil
L’inflation a fortement ralenti en 2024 (1,7% a/a en novembre contre 3,9% a/a un an auparavant) et elle est désormais inférieure à la progression des salaires (+2,3% pour l’inflation contre +3% pour le salaire mensuel brut en moyenne en 2024), et encore davantage à celle du revenu disponible brut (RDB). Ce dernier a également bénéficié de la hausse des prestations sociales (+5,9% selon notre estimation) en raison de leur indexation sur l’inflation (élevée) de 2023. D’où une hausse du RDB réel que nous estimons à +2% en 2024.
Toutefois, cette désinflation n’est pas généralisée. L’inflation dans les services (la moitié du panier de consommation des ménages) demeurait de 3,1% a/a (indice harmonisé) en novembre 2024. Une divergence qui resterait notable en 2025. Alors que l’inflation moyenne devrait se rapprocher de 1%, celle dans les services resterait supérieure à 2% principalement sous le poids d’une hausse prévisible des frais de santé (consultations et complémentaires santé) et d’assurance (habitation et automobile). Les salaires devraient continuer de progresser un peu plus rapidement que l’inflation (+1,5% en 2025). Toutefois, le RDB réel se stabiliserait, ne bénéficiant pas des mêmes dynamiques qu’en 2024. En conséquence, la croissance de la consommation des ménages resterait en 2025 la même qu’en 2024 (+0,8%).
Budget : une arithmétique déplaisante
En 2023 et 2024, le déficit budgétaire est apparu en net décalage entre les lois des finances initiales et l’exécution budgétaire (4,4% contre 6,1% du PIB en 2024), un phénomène lié à des choix du gouvernement (indexation des prestations sur l’inflation élevée de 2023) et à de mauvaises surprises en matière de recettes (dont l’impact sur les recettes de TVA de la croissance faible de la consommation des ménages). De plus, à partir de 2025, la croissance nominale du PIB ayant fléchi en raison de la fin de la période inflationniste, le niveau du déficit public stabilisant le ratio de dette devrait retomber à 3% du PIB (contre 7% en 2023). Toutefois, comme la motion de censure votée le 4 décembre dernier devrait entraîner la reconduction, au moins pour les premiers mois de 2025, du budget 2024, les perspectives de consolidation sont à tout le moins reportées. Or, au niveau de déficit public observé en 2024 (6,1% du PIB), le ratio de dette sur PIB augmenterait de 3 points par an et le service de la dette atteindrait 3% du PIB en 2027 (contre 1,8% en 2023), une dynamique qu’il faudra enrayer au plus tôt. Si aucun nouveau budget n’était adopté en 2025, nous estimons que la reconduction du budget 2024 pourrait aboutir à un déficit de 6,7% du PIB.
L’épée de Damoclès qui pèse sur l’attractivité du territoire
Il ne faudrait pas que l’incertitude budgétaire vienne fragiliser le tryptique qui a soutenu la croissance française depuis 10 ans : marché du travail (réduction de son coût, réformes, accroissement du taux d’emploi), climat des affaires (réduction de la fiscalité sur les entreprises et facilitation de leur création) et développement des services (soutenu aussi par les deux autres piliers). Ces trois éléments ont alimenté l’attractivité du pays pour les investisseurs ainsi qu’une vague de créations d’entreprises sans précédent.
Or, si une consolidation budgétaire est nécessaire, il importe qu’elle ne se fasse pas à leur détriment. Le soutien budgétaire à l’emploi (notamment à l’apprentissage) et la stabilité fiscale à l’égard des entreprises ont été questionnés lors de la préparation du budget 2025. Si le rejet de ce dernier maintient à court terme un cadre budgétaire favorable, cela ne lève pas les doutes sur les voies qu’une consolidation budgétaire ultérieure pourrait prendre. Cette incertitude devrait pénaliser les choix d’investissement en France dans les trimestres qui viennent : l’investissement des entreprises non financières diminuerait ainsi de 2% en 2025, après déjà un repli de 1,7% en 2024.
Exportations : relais de croissance en 2025 ?
Le commerce extérieur a apporté un soutien paradoxal à la croissance française en 2024, avec une contribution nette positive que nous estimons à 0,9 point mais qui résulte beaucoup du repli des importations (-1,3% a/a). L’aéronautique a manqué à l’appel, en raison de fortes difficultés de production, qui ne lui ont pas permis de monter en charge pour répondre à un carnet de commandes bien rempli. Ce secteur n’a ainsi contribué que pour 0,2 point à la croissance des exportations sur les 3 premiers trimestres de 2024 (+1,6% a/a), contre 2,1 points en 2023. Un rebond de la production aéronautique en 2025 permettrait ainsi de compenser des éléments plus négatifs.
FOCUS | Risque protectionniste : exposition directe ou indirecte ?
Le commerce bilatéral franco-américain est relativement équilibré et la France enregistre même un léger déficit (EUR 5 mds sur les douze derniers mois à fin août).
C’est également le cas de l’aéronautique (premier secteur à l’exportation de la France vers les États-Unis mais en déficit de 2 milliards), avec également un degré d’imbrication important (co-entreprise dans les turbo-réacteurs, recours d’Airbus et de Boeing à de nombreux sous-traitants des deux côtés de l’Atlantique).
Des mesures protectionnistes qui limiteraient les échanges dans cette filière seraient donc pénalisants pour les deux partenaires, d’autant plus qu’elle est déjà aux prises avec des contraintes d’offre liées aux difficultés rencontrées par ses sous-traitants pour faire croître leur production, et à l’absence relative de concurrents dans un secteur hautement technologique.
Pour le reste, les excédents bilatéraux au bénéfice de la France sont le fait de secteurs sur lesquels les États-Unis sont moins présents (boissons, luxe). Ces secteurs pourraient être exposés à un risque de rétorsion si, après de premières mesures américaines, une réponse européenne devait précipiter un nouveau train de hausses des tarifs douaniers des États-Unis.
Par contre, la France serait probablement plus immédiatement exposée à l’impact de tarifs douaniers imposés aux secteurs dont dépend l’économie allemande (13,3% des exportations françaises contre 7,8% pour les États-Unis). En effet, cette dernière cumule la moitié des excédents commerciaux européens vis-à-vis des États-Unis (voir notre Focus “L'Allemagne vulnérable à Trump 2.0”, dans notre texte sur l’Allemagne). De plus, les intrants de l’industrie représentent 40% des exportations françaises vers l’Allemagne.
Une problématique primordiale pour expliquer le repli des exportations françaises à destination de l’Allemagne depuis la mi-2023 (-4,5 mds a/a en cumul sur 12 mois). Cette évolution montre que la France est à court terme davantage exposée au risque, déjà enclenché, d’une désindustrialisation partielle de l’Allemagne (que viendraient aggraver la hausse des tarifs douaniers américains).
Achevé de rédiger le 5 décembre 2024