Eco Perspectives

France | Une croissance soumise à de multiples contraintes

18/04/2025
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La croissance française devrait toucher un point bas en 2025, en raison d’incertitudes politiques et commerciales. Elle se redresserait en 2026, soutenue par une hausse de la consommation publique portée notamment par les dépenses de défense et par l’accélération attendue de la croissance allemande. Cet environnement européen plus porteur prendrait donc le dessus en 2026 sur le choc lié à la hausse des tarifs douaniers américains. L’inflation resterait modérée et la détérioration du marché du travail serait contenue. Le niveau du déficit public restera un frein dans un environnement de taux d’intérêt peu porteur.

Une croissance dont l’amélioration pourrait attendre 2026

Croissance et inflation

La mise en œuvre tardive du budget 2025 (voté en février seulement) a compliqué le début de l’année. Le climat des affaires a touché un point bas en décembre 2024, à 94 (97 en mars 2025), tout comme la confiance des ménages, à 88 (92 en mars 2025). Le pessimisme de ces derniers concerne la situation économique future et les perspectives en matière de niveau de vie. Les indicateurs d’incertitude demeurent à des niveaux élevés, l’incertitude commerciale prenant désormais le dessus. Celle-ci devrait affecter en priorité les secteurs où les États-Unis constituent un débouché direct (aéronautique, vins et spiritueux) ou indirect au travers de l’Allemagne (tels que les sous-traitants français de l’industrie allemande).

La croissance française devrait, à terme, retrouver des soutiens. La mise en œuvre du budget s’accompagne d’une hausse des dépenses publiques collectives (défense, police, justice), tandis que la consommation publique individuelle (éducation, santé) n’est pas concernée par l’effort de consolidation budgétaire. À partir du 2e semestre, et encore davantage en 2026, la mise en œuvre du « quoi qu’il en coûte » allemand bénéficierait à la croissance française qui atteindrait 1,1% en 2026 (0,6% en 2025).

Hausse du chômage : des craintes excessives ?

Le marché du travail s’est détérioré avec 90 000 destructions nettes d’emplois au 4e trimestre 2024. 2025 a débuté sur une note négative, avec un recul du climat de l’emploi à 93 en février (96 en mars) d’après l’Insee. Le solde d’opinions sur la crainte du chômage a nettement augmenté (+46 en mars contre +30 en moyenne au T3 2024) dans l’enquête menée auprès des ménages.

Le taux de chômage a toutefois diminué au 4e trimestre, à 7,3% contre 7,4% au T3, en raison d’une baisse du taux d’activité des jeunes. En parallèle, la proportion des 15-29 ans sans emploi et sans formation atteint un plus haut, hors période de Covid, depuis le T3 2019, à 12,8%.

La demande faible et la détérioration du taux d’utilisation des capacités de production vont dans le sens d’une remontée du chômage. Toutefois, celle-ci serait tempérée et limitée dans le temps. Le taux de chômage atteindrait 8% fin 2025, avant de diminuer de nouveau en 2026 en raison de l’amélioration prévisible de l’activité.

L’inflation devrait rester modérée

La désinflation est notable. L’inflation est revenue à son niveau pré-Covid dans la plupart des postes de l’indice des prix à la consommation. L’enquête sur le climat des affaires de l’Insee montre des perspectives de hausses de prix limitées, y compris dans les services (où l’inflation reste un peu plus élevée).

Une réponse européenne à l’augmentation des tarifs douaniers par l’administration Trump pourrait engendrer une remontée de l’inflation. Toutefois, l’appréciation de l’euro face au dollar, depuis le début de l’année (et sa poursuite vers 1,12 fin 2025 et 1,2 fin 2026 d’après nos prévisions), et la décrue récente des prix de l’énergie devraient limiter l’inflation importée. Par ailleurs, la modération salariale observée depuis quelques trimestres va dans le sens également d’une inflation contenue, et de gains en termes de salaire réel.

En conséquence, le pouvoir d’achat des ménages devrait augmenter de 0,7% en 2025 et de 0,4% en 2026. Des hausses plus faibles néanmoins qu’en 2024 (+2,5%), alors soutenues par une croissance exceptionnelle des prestations sociales (+6,1% en 2024, une hausse compensant l’inflation observée en 2023).

Ratio de dette publique en hausse malgré la consolidation

Le déficit budgétaire s’est détérioré en 2024 (5,8% du PIB après 5,4% en 2023) et le ratio de dette publique sur PIB est revenu à 113% du PIB, son niveau de 2021 (ce qui efface les gains obtenus en 2022-23 au moment de la période inflationniste). L’adoption du budget pour 2025 ouvre la voie à une mise en œuvre des priorités budgétaires (défense, sécurité, justice) et devrait donc soutenir la hausse de la consommation publique. La cible budgétaire finalement retenue pour 2025 ramène le déficit à son niveau de 2023 (5,4% du PIB). Elle peut sembler peu ambitieuse. Toutefois, l’effort budgétaire, hors hausse de la charge d’intérêts (+0,4 point de PIB en 2025) et dépenses nouvelles (+0,2 point de PIB), est proche de 1 point de PIB. Il demeure qu’avec ce niveau de déficit et une croissance nominale qui devrait tomber à 2,5%, la dette publique devrait atteindre 115,5% du PIB en 2025, dépassant ainsi son précédent record de 2020. Cette hausse sera difficile à enrayer dans les années qui viennent (voir encadré).

La France reste attractive

France : Décomposition du déficit public (% du PIB)

L’incertitude budgétaire et les mesures envisagées lors de la navette parlementaire (taxation des revenus du capital, notamment) ont fait craindre que l’attractivité de la France pour les investissements étrangers (premier pays européen selon le baromètre EY) ne se détériore. Il n’en est rien in fine. Si la hausse de la fiscalité sur les entreprises peut être pénalisante, le caractère exceptionnel de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés est un moindre mal. La hausse des cotisations sociales est finalement plus limitée (à EUR 1,6 md) que dans le projet initial, et pèse donc moins qu’attendu sur le coût du travail. Le maintien d’une dynamique de créations d’entreprises, dont le niveau se rapproche de nouveau depuis novembre de celui maintenu jusqu’en août 2024, est un autre signal positif.

Exportations : à l’aube du grand chambardement

La croissance des exportations de biens et services a nettement ralenti en 2024 (+1,1% en volume). Sur les biens, la France a subi une baisse des exportations vers l’Europe (-EUR 15 mds en valeur, dont près de –5 mds vers l’Allemagne comme vers l’Italie), tandis que les exportations aéronautiques ont stagné. En outre, ce sont les exportations vers les États-Unis qui ont le plus progressé (EUR +3,5 mds).

Les prochains trimestres devraient être marqués par un changement profond négatif – car la France est exposée aux tarifs douaniers que l’administration américaine pourrait décider (pharmacie, luxe, vins et spiritueux), puis par un autre plus positif – un rebond de la croissance en Allemagne et en zone euro que pourrait engendrer le plan européen d’investissement dans la défense. De plus, la production aéronautique s’accroîtrait à mesure que le secteur parviendrait à contrecarrer ses contraintes d’offre. Ainsi, regagnant en vigueur, les exportations soutiendraient la croissance française en 2026.

Focus | Un réarmement limité par la contrainte budgétaire

La France, 2ème exportateur mondial d’armes (9,6% en 2024 selon le SIPRI), devrait tirer profit du plan d’investissement massif annoncé par l’Allemagne et de l’effort européen de réarmement qui, à terme, porterait les dépenses militaires des pays de l’Union européenne à 3,5% du PIB.

Toutefois, la France ne devrait pas fournir le plus gros effort en raison d’une contrainte budgétaire forte. Pour le moment, le gouvernement a décliné la marge de manœuvre budgétaire de 1 point de PIB que la Commission européenne accordera en matière de déficit public aux pays qui augmenteraient leurs dépenses militaires.

Les taux d’intérêt constituent la première contrainte. Si l’effet de leur remontée sur la charge d’intérêts est retardé en raison de la maturité moyenne relativement élevée de la dette française (8 ans et demi), le poids de cette charge doublerait entre 2024 et 2029 (augmentant de près de 2 points de PIB pour atteindre 3,8% du PIB).

La deuxième contrainte, durable également, est la montée en puissance des dépenses militaires. Même si la fourchette basse devait être retenue (cible de 3% du PIB en 2030), l’effort additionnel serait de près de 1 point de PIB par rapport à 2024. Un effort toutefois plus lissé qu’ailleurs en Europe : en France, nous anticipons une hausse des dépenses militaires de 0,2 point de PIB par an dès 2026, alors que l’Allemagne passerait les siennes de 2% du PIB en 2024 à 3,5% en 2027.

Troisième contrainte : le Parlement étant divisé, la consolidation budgétaire passera difficilement par une désindexation des dépenses sociales (un temps évoquée) ou par des économies plus franches sur les dépenses des collectivités locales. En 2025, les économies budgétaires portent principalement sur les dépenses de l’État central. Il en résultera une consolidation budgétaire très étalée dans le temps. Pour parvenir à réduire le déficit, des hausses d’impôts paraissent inévitables.

Nous incorporons dans nos hypothèses une augmentation de 0,5 point de PIB des dépenses militaires par rapport à ce que prévoit la loi de programmation militaire, ce qui aboutirait à un déficit supérieur à 3% du PIB en 2029 (toujours possible à l’avenir, même si la France l’exclut pour le moment, cf. graphique 2). Dans l’hypothèse de taux d’intérêt à 10 ans structurellement supérieurs à 3%, avec un taux d’intérêt apparent à terme au-dessus de la croissance nominale (de l’ordre de 2,5% du PIB), la dette publique continuerait d’augmenter inexorablement d’ici à la fin de la décennie.

Achevé de rédiger le 17 avril 2025

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