Edito

Économie française : quatre lignes de force et une faiblesse

22/09/2025
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L’économie française entame une nouvelle séquence budgétaire qui promet d’être aussi perturbée que la précédente. Toutefois, l’économie apparait plus solide qu’en 2024. D’abord, sur plusieurs points essentiels, le secteur productif est en meilleur état aujourd’hui (aéronautique, agriculture notamment), ce qui se reflète dans les chiffres de la croissance. Ensuite, l’ombre de l’incertitude politique n’a pas remis en cause les lignes de force de l’économie française : les créations d’entreprises, le marché du travail, le relatif équilibre du solde courant, la transmission des baisses de taux de la BCE au secteur privé et l’amélioration de l’investissement privé. Une procédure budgétaire qui s’achèverait rapidement, sans trop de perturbations, et qui aboutirait à une consolidation cohérente, avec le retour à un déficit à 3% du PIB en fin de décennie, reste toutefois une condition nécessaire pour que la France tire le maximum de ces avantages.

Le printemps de l’économie française a été fertile entre bonne récolte de blé en mai, hausse spectaculaire de la production aéronautique à partir de juin, rebond des embauches, et donc des créations nettes d’emplois au T2, et nette augmentation des créations d’entreprises. Toutes ces bonnes nouvelles arrivent alors même que les indicateurs de sentiment, tels que le climat des affaires et plus encore le moral des ménages, témoignent toujours d’un manque de confiance. A croire que l’on ne parle pas du même pays.

Croissance française : un rebond déjà enclenché

La croissance française, habituellement proche de la moyenne de la zone euro, devrait s’afficher en deçà en 2025 (0,7% contre 1,3% selon nos prévisions). Toutefois, il serait prématuré de parler de sous-performance durable. En effet, nous estimons que près de la moitié de cet écart provient d’un manque de dynamisme de la production qui commence déjà à se résorber, ce qui a soutenu un rebond de la croissance à 0,3% t/t au T2.

Ce rebond provient de secteurs importants qui avaient précédemment tiré la croissance vers le bas :

- L’aéronautique, dont les carnets de commande n’ont rien à envier à l’avant-Covid, tandis que la production avait jusqu’à récemment du mal à suivre. Le rebond post-Covid s’est, en effet, interrompu pendant près de 18 mois (de décembre 2023 à mai 2025), du fait de contraintes d’offre (problèmes d’approvisionnement, de capacités de production et de main d’œuvre). Toutefois, depuis juin 2025, le rebond est majeur (graphique 1), signe que de nouvelles capacités de production sont à l’œuvre et que la France va enfin pouvoir rattraper son retard.

- L’agriculture a été pénalisée notamment par l’excès de pluie en 2024. En 2025, le niveau des précipitations au printemps a été normal, ce qui a déjà apporté près de 0,1 point de contribution positive à la croissance au S1 (contre -0,2 point en 2024).

PRODUCTION AÉRONAUTIQUE
(VOLUME CVS, MOY. MOBILE 3 MOIS)

Le problème de l’électricité française, où plus précisément le passage à vide de la production nationale, date de 2022 et a été résolu dès 2023 (avec depuis des records de production et d’exportations). Les prix à la production ont diminué de près de 40% par rapport au pic du T1 2023, une baisse plus forte même que dans la moyenne européenne (-30%). Dans un monde davantage électrifié et qui cherche à le faire de façon non carbonée, disposer d’une électricité propre et bon marché est un atout pour croître durablement.

La croissance devrait donc combler une partie de son retard par rapport à la moyenne de la zone euro en 2026 (1,1% en France, 1,4% en zone euro selon nos prévisions).

La France crée plus qu’elle ne détruit

La France s’est engagée, depuis une décennie, dans une transition majeure vers les services (en partie en substitution de la production et de la consommation de biens). Celle-ci a soutenu une forte augmentation des créations d’entreprises et de l’emploi.

Rien n’indique aujourd’hui que ce développement soit grippé. La baisse de la croissance depuis début 2022 ne l’a pas entamé, pas plus que l’augmentation de l’incertitude politique à partir de mi-2024 :

- Les créations d’entreprises augmentent : +8% entre décembre 2024 et août 2025. Le contraste est saisissant avec le début des années 2010 car, contrairement à cette période, une croissance faible ne s’accompagne pas aujourd’hui d’une baisse de ces créations.

COÛTS SALARIAUX UNITAIRES RELATIFS :
FRANCE VS. ALLEMAGNE

- Le marché du travail se montre résilient : après de nombreuses créations d’emplois post-Covid, l’emploi se maintient à un niveau élevé, comme en témoigne un taux d’emploi à 69,6% au T2 2025 (+5 points en 10 ans, dont plus de la moitié post-Covid). Depuis le début de la période de plus faible croissance enregistrée en 2022, le taux de chômage n’a augmenté est que marginalement (7,5% au T2 2025, contre 7,1% au minimum au T1 2023). En outre, les salaires ont été plutôt « sages » depuis le milieu des années 2010, comme en témoigne l’écart des coût salariaux entre le France et l’Allemagne (graphique 2).

La France ne décline pas

Le solde courant demeure relativement équilibré, même si la composition de ce dernier a évolué :

- La balance commerciale sur les biens (manufacturés) s’est structurellement creusée au-delà des évolutions plus ponctuelles liées à la facture énergétique (comme en 2022-2023). Toutefois, les retards de production ont pesé et la croissance des exportations aéronautiques et de céréales devrait permettre de réduire en partie ce déficit à partir du S2 2025.

- L’excédent des services : l’économie moderne est aussi, et plus encore, faite de services. Or, ces derniers sont de plus en plus échangés et l’excédent de la France ne se dément pas.

- Les revenus conservent également un excédent. Certes, la France reçoit beaucoup d’investissements directs étrangers, et les non-résidents détiennent plus de la moitié de la dette publique française, mais c’est un signe d’attractivité. De plus, les acteurs économiques français détiennent des créances importantes sur le reste du Monde, qui génèrent des revenus plus importants encore.

Un reflet marquant du relatif équilibre du solde courant français tient dans les capacités et les besoins de financement dans l’économie qui, globalement, se compensent. La France finance l’extérieur au même titre que l’extérieur la finance. Au niveau domestique, le besoin de financement public trouve son reflet dans la capacité de financement (épargne) des ménages. En parallèle, le besoin de financement des entreprises non financières est (en agrégé) très limité.

FRANCE : DÉCOMPOSITION DU SOLDE COURANT (MDS EUR)

Le secteur privé investit, d’autant plus depuis que la BCE a diminué ses taux

La France est en pointe en matière d’investissements en produits de la propriété intellectuelle qui atteignent près de 5,5% du PIB. C’est plus que ses voisins européens, dont l’Allemagne, et plus les États-Unis. Cet effort est particulièrement le fait des entreprises non financières, qui maintiennent, pour se faire, un taux d’investissement relativement élevé (21,5% de leur valeur ajoutée, 1 point de plus qu’en moyenne historique, 2 points de plus qu’en Allemagne), malgré une baisse liée à la période de remontée des taux d’intérêt.

FRANCE : BESOINS(-)/CAPACITÉS(+) DE FINANCEMENT (% DU PIB)

Élément favorable, sur la période récente, les taux d’intérêt au secteur privé non financier ont diminué (voir graphique), sans avoir été affectés par les tensions apparues sur les taux souverains. Cet avantage s’explique par le fait que les banques se financent au taux swap (corrélé au taux BCE davantage qu’à l’OAT) qui reste plus bas que l’OAT, puisqu’il ne reflète aucun risque de contrepartie (le risque associé à la qualité de signature des banques françaises est résiduel, dans la mesure où ces banques sont solides[1]).

La baisse des taux des prêts au secteur privé non financier a contribué à une embellie sur le front du crédit et sur celui de l’investissement (et, même, une stabilisation des défaillances d’entreprises).

Le rebond du logement n’est en parallèle pas spectaculaire, que ce soit dans le neuf (investissement des ménages en hausse de 1,4% entre le T3 2024 et le T2 2025) ou l’ancien (transactions en hausse modérée), mais il rompt avec plusieurs trimestres de contraction. De plus, les intentions d’achats continuent de remonter (d’après l’enquête de conjoncture de l’INSEE en août auprès des ménages, 9% d’entre eux souhaitaient acheter dans les deux prochaines années), dans un contexte où ces derniers peuvent davantage s’endetter (grâce à un endettement modéré et des taux d’intérêt plus bas).

L’épée de Damoclès des finances publiques

Les finances publiques françaises ont été marquées par une détérioration du déficit public en 2023 et 2024. C’est toutefois à l’occasion de la dissolution de l’Assemblée nationale de juin 2024 que les tensions sur les taux d’intérêt (publics) sont apparues, l’écart de taux entre la France et l’Allemagne passant de 50 pb avant à un intervalle de 65-80 pb après. Une aggravation somme toutes limitée. On peut toutefois remarquer que le « taux sans risque » européen (le taux allemand) a entamé une remontée qui devrait se poursuivre sous le poids de l’accroissement de l’endettement outre-Rhin.

Dans la remontée récente (plus franche) des taux français, on remarque le rôle croissant du taux allemand souverain à 10 ans, alors que l’écart de taux entre la France et l’Allemagne fluctue encore aujourd’hui dans l’intervalle où il était entré au S2 2024.

De plus, comme la BCE ne devrait plus diminuer ses taux directeurs, selon notre scénario, le soutien apporté par la politique monétaire semble derrière nous.

Un tel environnement de taux complique la donne budgétaire tout en appelant à maintenir le cap de la réduction du déficit. L’objectif de moyen terme est un retour vers un déficit à 3% du PIB en 2029 (objectif validé par la Commission européenne à l’automne 2024). Selon nos calculs, cela permettrait d’atteindre un point d’atterrissage de la dette publique à 120% du PIB, soit près de 7 points de plus par rapport à 2024.

TAUX SOUVERAIN À 10 ANS VS. TAUX DES CRÉDITS AUX ENTREPRISES
ÉVOLUTION DU SPREAD FRANCE-ALLEMAGNE ET DU TAUX ALLEMAND À 10 ANS DEPUIS LE 9 JUIN 2024

Ce scénario suppose un ajustement budgétaire « tout compris », prenant en compte la hausse de la charge d’intérêt et des dépenses militaires, de près de 0,5 point de PIB par an ; l’effort net annoncé par le gouvernement Bayrou y était supérieur (0,8 point de PIB[2]). Cet effort pourrait donc être réduit de près de EUR 9 mds (0,1 point de PIB correspond à 3 mds, sous réserve d’une croissance qui se rapprocherait de notre prévision en 2026, 1,1%) sans contrevenir aux engagements européens. Un ajustement trop inférieur in fine à ce seuil impliquerait une hausse plus prononcée du ratio d’endettement, avec une probabilité plus importante d’une pression à la hausse sur les taux d’intérêt. Car si une chose a changé dans l’environnement international par rapport à 2024, c’est bien l’environnement de taux : la BCE a cessé d’assouplir sa politique monétaire et les taux allemands augmentent.

***

En conclusion, les lignes de force de l’économie française sont résilientes. Or, les niveaux de confiance du secteur privé restent conjointement dégradés, plus encore pour les ménages que pour les entreprises. Dans cet environnement, le déficit de performance de la croissance française par rapport à celle de la zone euro devrait se réduire en 2026, mais pas se résorber, précisément sous ce poids. La croissance de la consommation des ménages devrait ainsi rester inférieure à la croissance du PIB pour la 4e année consécutive. Une situation qui limitera, de fait, la capacité de rebond de la croissance française.


[1] Comme mentionné par le FMI dans son dernier Financial Sector Assessment Program.

[2] Pour obtenir ces 0,8 point de PIB, il convient de retrancher aux EUR 44 mds d’efforts annoncés, la hausse des de la charge d’intérêt, des dépenses militaires et de la contribution au budget de l’UE en 2026.

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