Edito

Approvisionnement en gaz : l’Europe bientôt moins vulnérable ?

29/09/2025
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Depuis l’arrêt de l’essentiel de l’approvisionnement en gaz russe, la réduction de la vulnérabilité énergétique de l’Europe, et donc l’amélioration de sa sécurité économique, est une question centrale pour les décideurs européens. Or, les récentes pressions exercées par les États-Unis sur l’Europe pour qu’elle augmente ses achats d’hydrocarbures US pourraient faire craindre une nouvelle dépendance significative vis-à-vis du gaz naturel liquéfié (GNL) américain.

D’une manière générale, l’approvisionnement en gaz des pays européens reste déterminant, non seulement en termes d’exposition au risque géopolitique mais aussi de stabilité économique. Malgré les progrès significatifs réalisés dans la décarbonation, le gaz naturel représente, en effet, encore un quart du mix énergétique européen total et environ 18% du mix électrique. Surtout, son prix est l’élément-clé de la fixation du prix de l’électricité sur le marché de gros en Europe : selon le principe du « merit order », la priorité est donnée aux sources d’énergie au coût marginal le plus bas pour l’approvisionnement électrique, tandis que le prix du kilowatt-heure (kWh) est fixé au coût marginal le plus élevé. Étant donné la structure du mix électrique européen, les centrales au gaz sont généralement les dernières appelées, et déterminent donc le prix européen du kWh sur le marché de gros.

Des importations de GNL américain en forte hausse

La dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe s’est fortement réduite depuis 2022. Elle est passée d’environ 50% des importations totales de gaz jusqu’en 2021 à 13% au cours du premier semestre 2025 — ne subsistent que les flux acheminés par le gazoduc Turkstream, qui alimentent certains pays d’Europe orientale, et les flux de GNL.

Depuis 2022, la demande européenne de gaz s’est réduite pour trois raisons principales :

1/ la forte hausse du prix du gaz en 2022-23,

2/ l’arrêt de certaines productions industrielles intensives en énergie substituées par des produits importés,

3/ la progression de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen.

Parallèlement, la demande européenne qui n’était plus satisfaite par le gaz russe l’a été majoritairement par des importations de GNL américain. Celles-ci ont été multipliées par quatre depuis fin 2021 et représentent plus du quart des importations européennes de gaz.

IMPORTATIONS EUROPÉENNES DE GAZ PAR PROVENANCE
(% DES IMPORTATIONS TOTALES DE GAZ)

Depuis cet été, les pressions américaines pour accroître les achats d’hydrocarbures se sont accrues. Un accord prévoit un montant record, et peu réaliste, d’achats européens d’énergie américaine : il se traduirait par un triplement des importations d’énergie fossile américaine (pétrole, gaz et charbon), qui atteindraient 70% des importations (contre environ 20% actuellement). Les pressions américaines se sont renouvelées au cours des dernières semaines, et ont amené la Commission européenne à proposer d’avancer d’une année l’arrêt des importations de GNL russe (début plutôt que fin 2027). Dans ce contexte, et étant donné l’augmentation en cours des capacités américaines de liquéfaction de gaz, on peut se demander si l’on n’assistera pas au remplacement d’une dépendance par une autre.

De possibles tensions sur le marché du gaz européen à court terme

En 2025, la demande européenne de GNL américain est soutenue et devrait le rester en raison de la nécessité de reconstituer les stocks européens de gaz et de l’arrêt, depuis le début de l’année, des importations de gaz russe via la route ukrainienne. Les stocks européens de gaz atteignent actuellement à un niveau satisfaisant (environ 82%) par rapport à l’objectif (révisé à la baisse) de 80% au 1er novembre prochain. Des facteurs saisonniers (forte baisse des températures pendant la période hivernale) ou géopolitiques (perturbation des flux gaziers en méditerranée orientale) pourraient pousser les prix du gaz européen à la hausse - mais dans une ampleur modérée – et soutenir les exportations américaines.

À moyen terme, un risque limité de dépendance excessive

À horizon 2030, nos projections relativisent le risque d’une dépendance accrue au fournisseur américain. La demande européenne de gaz suit une tendance structurellement baissière.

Jusqu’à maintenant, cette réduction est en ligne avec les objectifs du programme RePower (environ -10% par an d’ici 2030). En prenant un scénario plus conservateur (le programme européen « Fit for 55 » qui suppose une réduction de la demande européenne de 3% par an environ), nous estimons que la dépendance européenne au gaz américain pourrait rester significative mais qu’elle ne devrait pas augmenter fortement d’ici 2030, malgré l’arrêt prévu des importations russes à partir de 2027.

En effet, la baisse naturelle de rendement des champs européens (UE, Royaume-Uni et Norvège) devrait être compensée par la hausse des importations en provenance d’Azerbaïdjan à partir de 2027. Par ailleurs, nous supposons que le volume des importations actuelles de GNL (hors Russie et États-Unis) restera stable. Selon ce scénario, les importations européennes en provenance des États-Unis atteindraient un maximum en 2027 avec 74% des importations de GNL et 35% des importations totales de gaz. Ces proportions se réduiraient respectivement à 70% et 31% en 2030, parallèlement à la réduction des volumes importés. La dépendance aux importations de GNL américain ne devrait donc pas augmenter significativement, sauf à supposer que les nations européennes rompent les liens avec leurs fournisseurs traditionnels (Afrique du Nord, Norvège et Royaume-Uni notamment).

Par ailleurs, le risque géopolitique lié à la dépendance à du gaz transitant par gazoduc n’est pas de même nature que celui lié au marché du GNL. En effet, un fournisseur de GNL est relativement facilement substituable, moyennant un certain délai et un surcoût. Or, les perspectives mondiales du marché du GNL sont favorables à une fluidité accrue du marché. Des quantités massives de GNL devraient être mises sur le marché d’ici 2030 en provenance principalement du Qatar et, dans une moindre mesure, du Canada et d’Afrique sub-saharienne. Cela permettra à l’Europe de diversifier son portefeuille de fournisseurs.

Au total, si les perspectives du marché gazier européen restent relativement tendues à court terme, et rendent probable une hausse des prix et une dépendance accrue au fournisseur américain, à moyen terme il est vraisemblable que le risque d’une trop forte dépendance se réduira et qu’une offre abondante pèsera sur les prix.

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