Edito

Ralentissement et reconfiguration du commerce mondial en 2025 : quels effets pour les pays émergents ?

16/06/2025
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Les droits de douane imposés par l’administration Trump et l’accélération du découplage sino-américain vont entraîner un ralentissement de la croissance mondiale, ainsi qu’une nouvelle reconfiguration du commerce international et la poursuite de la réorganisation des chaines de valeur. Les conséquences de ces bouleversements sur les pays émergents seront multiples. Tous subiront des effets négatifs, liés au ralentissement de leurs exportations et à la concurrence accrue des produits chinois. Certains pourraient aussi saisir de nouvelles opportunités pour attirer les IDE et développer leur base d’exportation.

Choc tarifaire pour tous

La hausse des droits de douane appliqués par les États-Unis et l’incertitude sur leur politique commerciale affectent l’ensemble des marchés émergents. Pour la Chine, les tarifs supplémentaires, introduits par l’administration Trump depuis le 20 janvier, s’élèvent à 30%. En tenant compte des spécificités sectorielles (tarifs plus élevés et exemptions), le tarif effectif moyen appliqué aux importations américaines de produits chinois est passé de 11% début 2025 à près de 35%. Les tensions entre Washington et Pékin se sont apaisées depuis le 9 juin, mais la trêve demeure fragile. Nous supposons que les tarifs supplémentaires seront maintenus à leur niveau actuel en 2025 et que des ajustements sectoriels seront possibles.

TARIFS EFFECTIFS ÉTATSUNIENS AU 16 JUIN

Pour les marchés émergents (ME), les tarifs supplémentaires s’élèvent à 10%. Dans notre scénario central, ils seront maintenus à ce niveau en 2025 (les mesures « réciproques » évoquées par Trump le 2 avril ne seraient pas appliquées), et accompagnés de tarifs sectoriels – généralement élevés – mais négociés à la baisse par certains pays. Les droits de douane atteignent déjà 25% dans l’automobile et viennent d’être doublés à 50% pour l’acier et l’aluminium. Des taxes jusqu’à 25% pourraient frapper les secteurs pharmaceutique, électronique et des semiconducteurs, pour le moment exemptés. Le secteur des hydrocarbures restera épargné.

Les tarifs effectifs actuels varient selon les pays, principalement en fonction de la structure de leurs exportations vers les États-Unis. Ils évolueront dans les prochaines semaines au gré des politiques sectorielles américaines et des négociations bilatérales. Pour le moment, les tarifs effectifs les plus élevés concernent l’Asie émergente (graphique 1). L’Europe centrale est également pénalisée en raison du poids de l’automobile dans ses exportations. À l’inverse, les droits de douane les moins élevés concernent : les pays exportateurs de biens manufacturés encore exemptés (comme Singapour), les pays d’Amérique latine, qui exportent principalement des matières premières, et les producteurs d’hydrocarbures. Si le niveau des droits de douane à venir dans les industries manufacturières actuellement exemptées reste incertain, les exportateurs de matières premières devraient rester à l’abri de nouvelles hausses tarifaires.

Coup de frein sur le commerce mondial

Le choc tarifaire pèsera sur la croissance économique des ME à court terme via le ralentissement de la demande américaine et mondiale. La croissance du volume du commerce mondial de marchandises devrait ralentir de 2,9% en 2024 à seulement 1,1% en 2025, selon les Perspectives économiques mondiales (WEO) publiées début avril par le FMI – soit bien en dessous de la moyenne des dix dernières années (2,5% par an). L’OMC anticipait même, mi-avril, une légère baisse du commerce mondial de biens en 2025 (-0,2%), tirée par une contraction de plus de 10% des échanges en Amérique du Nord.

Les économies les plus vulnérables à ce coup de frein sont le Mexique et les pays asiatiques, compte tenu de leur degré élevé d’ouverture commerciale et de leur dépendance aux États-Unis (graphique 2). Les économies d'Europe centrale sont très ouvertes mais leur exposition directe à la demande américaine est faible. Même les taxes douanières sur l’automobile devraient avoir un impact direct limité sur la croissance, sauf en Slovaquie, dont les exportations vers les États-Unis sont très concentrées. Les effets indirects via le ralentissement des exportations vers l’Allemagne sera significatif, mais pourraient être par la suite compensés par la reprise attendue de la croissance allemande.

DÉPENDANCE AUX EXPORTATIONS ET AU MARCHÉ AMÉRICAIN

Les principales économies d’Amérique latine (hors Mexique) sont peu ouvertes, dépendent peu de la demande des États-Unis et se voient imposer des droits de douane relativement modérés. Les effets directs sur leur croissance devraient donc être limités. Certains pays pourraient même profiter d’une hausse du prix de leurs exportations de matières premières (produits agricoles, métaux critiques).

Hausse de la concurrence chinoise

Les entreprises chinoises vont réorienter leurs exportations vers d’autres marchés pour compenser, en partie, la chute des ventes aux États-Unis (une baisse de 20% en 2025 représenterait environ USD100 mds de biens chinois, soit 0,4% du total des exportations mondiales). Cette tendance était déjà visible au printemps. L’objectif est à la fois de faire transiter les biens via des pays tiers pour contourner les tarifs américains, et de trouver de nouveaux débouchés.

La dynamique observée ces dernières années devrait donc se poursuivre : la Chine a gagné des parts du marché mondial (14,7% en 2024 contre 12,8% en 2017) grâce à des prix bas et des produits compétitifs dans de nombreux secteurs. Cependant, cette stratégie sera dorénavant plus difficile. D’une part, les exportateurs chinois pourraient avoir plus de mal à baisser leurs prix, et sur ce point l’évolution du yuan sera déterminante ; d’autre part, les pays souffrant de la concurrence chinoise sur leur marché intérieur continueront d’actionner des mesures pour protéger les secteurs en difficulté. Pékin devra éviter des réactions protectionnistes, à un moment où elle cherche au contraire à renforcer ses liens en dehors des États-Unis. Dans ce contexte, la Commission européenne a instauré, début avril et en accord avec la Chine, un mécanisme de surveillance des importations chinoises.

Pour les pays émergents, le redéploiement chinois ajoute un effet négatif indirect à l’impact direct du choc tarifaire américain. En effet, il accroit la concurrence des biens chinois à la fois sur leur marché intérieur et sur leurs marchés à l’exportation. Depuis 2018, cette concurrence affecte plus particulièrement l’Asie et l’Europe centrale. En Europe centrale, les produits chinois viennent concurrencer les produits locaux sur leurs marchés à l’exportation, notamment dans l’automobile et autres secteurs de moyenne-haute gamme. En Asie, la concurrence chinoise fragilise la production locale dans des secteurs tels que le textile et l’automobile, en particulier en Indonésie et Thaïlande. Cela dit, la Chine a également augmenté ses exportations de biens intermédiaires vers certains pays et ainsi alimenté la montée en gamme de leur industrie.

Poursuite des reconfigurations des chaines de valeur

De fait, les ME, en particulier le Mexique et les pays d'Asie, ont bénéficié des tensions commerciales sino-américaines entre 2018 et 2024, et ont ainsi accru leurs parts de marché aux États-Unis. Le Mexique et le Vietnam, notamment, ont développé une activité de « connecteurs » : une part croissante des biens en provenance de Chine a transité par ces pays pour être exportés aux États-Unis après création de valeur ajoutée. Cette dynamique s’est accompagnée d’une hausse des IDE et du développement de leur base manufacturière.

En 2025, ces dynamiques devraient s’interrompre avec le durcissement de la politique commerciale américaine et la très forte incertitude qui l’entoure. En outre, d’une part, l’administration Trump soutient la relocalisation des usines aux États-Unis et devrait freiner les projets d’IDE des entreprises américaines ; d’autre part, elle renforce sa surveillance de l’origine des biens importés. Elle pourrait conditionner le maintien de droits de douane à 10% à des mesures limitant le rerouting des marchandises chinoises. Les pressions américaines devraient donc freiner, au moins à court terme, les projets d’investissement directs étrangers (IDE) dans les pays connecteurs – en particulier au Mexique.

À moyen terme, les entreprises chinoises et autres multinationales poursuivront la réorganisation et la diversification de leurs chaines de production. Si l’on suppose que les États-Unis maintiendront des droits de douane réciproques homogènes entre ME (ce qui reste incertain), les IDE iront vers les pays offrant les meilleures conditions aux investisseurs en termes de main d’œuvre (salaires, qualifications, productivité), de fiscalité, de degré d’ouverture de l’économie, de développement du secteur manufacturier et d’intégration dans les chaines de valeur, de qualité des infrastructures et des services logistiques. S’ajoutent des critères de proximité géographique et géopolitique.

En Asie, le Vietnam reste bien positionné sur de nombreux critères (salaires relativement bas, stratégie proactive pour attirer les IDE, intégration dans les chaines de valeur, position géographique, politique étrangère de multi-alignement). Toutefois, il doit investir massivement dans ses infrastructures (réseaux d’eau et d’énergie, protection contre le risque climatique), et le pays est l’un des plus exposés à de nouvelles hausses des droits de douane américains. La Thaïlande, la Malaisie et l’Inde ont aussi des atouts (niveau d’éducation, qualité des infrastructures, climat des affaires et intégration dans le commerce mondial pour les deux premiers, bas salaires et incitations fiscales à l’investissement manufacturier pour l’Inde). Ces trois pays semblent les mieux positionnés pour bénéficier de nouveaux IDE chinois et gagner des parts de marché, en particulier aux États-Unis. L’Indonésie est en revanche à la traine sur les critères de développement de la base manufacturière et de qualité de la main d’œuvre et des infrastructures.

L’Europe centrale dispose d’atouts pour attirer des IDE d’entreprises souhaitant se rapprocher du marché européen. Depuis 2018, la Hongrie arrive en tête pour l’accueil des IDE chinois. La République Tchèque et la Pologne sont également bien positionnées. Tout en étant intégrés à l’Union européenne, ces pays disposent d’une base manufacturière solide, une fiscalité relativement attractive, une main d’œuvre qualifiée et des salaires encore compétitifs malgré leur hausse rapide ces dernières années.

Accès différencié au marché chinois

Enfin, l’Amérique latine dispose d’un énorme atout pour attirer des IDE chinois : ses ressources naturelles. L’Argentine, le Pérou, la Bolivie et le Chili ont, par exemple, de larges ressources minières. Par ailleurs, l’Amérique latine pourrait gagner de nouvelles parts de marché en Chine en se substituant aux États-Unis dans le secteur agro-alimentaire. Le Brésil, dont les principaux produits exportés en Chine sont similaires à ceux des États-Unis (par exemple le soja, la viande, le coton et le pétrole), a déjà augmenté ses exportations vers la Chine depuis 2018 et devrait continuer.

Les pays d’Amérique latine (hors Mexique), qui sont moins directement exposés au choc tarifaire, pourraient donc aussi profiter de la guerre commerciale sino-américaine pour accroître encore leurs liens avec la Chine, et gagner des parts du marché chinois dans les secteurs minier et agricole. À l’inverse, il sera plus difficile pour les pays exportateurs de biens manufacturés d’Asie et d’Europe de gagner des parts du marché en Chine : même si celle-ci parvenait à renforcer sa consommation privée, ses importations devraient rester limitées par la stratégie de Pékin visant à renforcer l’autosuffisance du pays dans les secteurs industriels.

Nous reviendrons sur ce sujet dans notre prochain numéro d’EcoPerspectives – Economies Emergentes du mois de juin 2025.

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