TRANSCRIPTION
Isabelle Gounin-Levy : Dans ce contexte compliqué pour les économies avancées, les économies émergentes tirent plutôt bien leur épingle du jeu depuis le début de l’année. La performance du secteur exportateur est solide. Et la demande intérieure soutient l’activité. Quel rôle joue la politique monétaire dans les économies émergentes ?
Christine Peltier : Les économies émergentes s’en sortent effectivement mieux que prévu.
Les exportations de marchandises ont bien résisté au choc tarifaire, en particulier dans les pays d’Asie.
La demande intérieure a également tiré la croissance, et les politiques monétaires ont joué un rôle important dans cette dynamique.
Dans plus des deux tiers des principaux pays que nous suivons, les banques centrales ont coupé leurs taux directeurs depuis début 2025. L’assouplissement concerne l’ensemble des régions. On note des baisses de taux plus fortes par exemple au Mexique, en Inde et Indonésie, ou en Égypte.
Résultat, la croissance du crédit domestique a accéléré, en particulier en Europe centrale et en Amérique latine. En Chine, en revanche, emprunteurs et créanciers restent très prudents, les prêts bancaires ralentissent.
Dans un petit nombre de pays, comme le Vietnam ou la Roumanie, les taux sont inchangés depuis début 2025, à cause, notamment, de tensions persistantes sur les monnaies.
Enfin, l’exception notable est le Brésil. La banque centrale y a relevé son taux directeur à un niveau historiquement élevé de 15%. Cette politique restrictive s’explique par une inflation élevée au-dessus de la cible de 3%. L’inflation et le crédit commençaient à peine à ralentir au T3.
Isabelle Gounin-Levy : Ces assouplissements monétaires ont été favorisés par différents facteurs. Lesquels ?
Christine Peltier : L’assouplissement monétaire a d’abord accompagné la dynamique de désinflation qui s’est poursuivie en 2025 en Asie, en Amérique latine, en Turquie. L’inflation a davantage résisté en Europe centrale.
Le contexte externe a favorisé la désinflation et l’assouplissement monétaire dans les pays émergents.
D’une part, la baisse des cours mondiaux du pétrole et la hausse des importations de produits chinois bon marché ont aidé la désinflation.
D’autre part, les conditions financières extérieures sont restées favorables, avec une hausse des flux de capitaux, une baisse des primes de risque, et l’affaiblissement du dollar américain.
Ainsi, une majorité de monnaies émergentes se sont renforcées contre dollar au cours des premiers mois de 2025. Les monnaies d’Europe centrale, dans l’ensemble, se sont également appréciées ou stabilisées contre l’euro. Ceci a contribué à la désinflation et donné aux banques centrales une marge de manœuvre plus confortable pour abaisser les taux d’intérêt.
Isabelle Gounin-Levy : Quelles sont vos prévisions concernant les politiques monétaires des pays émergents, les principaux points d’attention ?
Christine Peltier : Les banques centrales vont poursuivre les mesures d’assouplissement à court terme, afin de soutenir l’activité et compenser les effets du choc tarifaire.
Le Brésil pourrait entamer un cycle de baisses de taux début 2026.
Cependant, l’assouplissement monétaire pourrait devenir plus mesuré, ne serait-ce que parce que le rythme de désinflation devrait ralentir et l’inflation pourrait résister à la baisse dans les pays d’Europe centrale ou encore en Inde.
Les conditions financières internationales devraient rester relativement favorables aux assouplissements monétaires dans les émergents. Les écarts de taux avec la Fed resteront importants, ce qui devrait continuer d’encourager les investissements de portefeuille. Et l’affaiblissement du dollar devrait se poursuivre.
Cependant, les flux de capitaux pourraient devenir plus volatiles et les épisodes de pressions à la baisse sur les monnaies émergentes pourraient se multiplier.
D’une part, les risques de retournement du sentiment des investisseurs liés à l’environnement international restent élevés, qu’ils soient géopolitiques ou liés aux politiques commerciale, budgétaire et monétaire des États-Unis. D’autre part, les risques liés aux vulnérabilités macroéconomiques de certains pays émergents ou au risque politique pourraient augmenter, notamment en Amérique latine.