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Dans la tourmente des droits de douane américains : quels effets sur les économies développées ?

22/05/2025

Dans ce nouveau Podcast, nous revenons sur les perspectives économiques à court-moyen terme dans les grandes économies avancées, en analysant les impacts des tensions commerciales, les marges de manœuvre disponibles et les dynamiques économiques attendues.

Transcription

00:13. Introduction

02:00 .Quel est l’impact principal des récentes annonces tarifaires américaines sur l’économie mondiale ?

03:02. L’Europe est-elle en capacité de résister à ce choc tarifaire ?

03:34. Tu fais, je suppose, référence au plan d’investissement allemand et à l’effort de réarmement attendu au niveau européen ?

05:06. Quelles sont vos prévisions de croissance ?

06:33. Et pour l’Europe, Lucie, quelles sont les prévisions ?

08:20. Passons maintenant à l’inflation : un même scénario de convergence est-il attendu ?

11:15. Convergence des taux de croissance, divergence des trajectoires d’inflation : qu’est-ce que cela signifie pour les politiques monétaires ? La tâche semble plus compliquée pour la Réserve fédérale américaine que pour la Banque Centrale Européenne, non ?

15:36. Conclusion

Marianne Mueller :

Trois fois par an, l’équipe Économies Avancées des Études Économiques publie son EcoPerspectives. C’est l’occasion de faire le point sur la situation des grandes économies avancées que sont les États-Unis, la Zone Euro et ses principaux pays membres, le Royaume-Uni et le Japon, et notamment de mettre à jour leurs prévisions de croissance au regard des risques spécifiques.

Je suis Marianne Mueller, Economiste Europe en charge de l’Allemagne, et nous recevons pour vous aujourd’hui Hélène Baudchon, cheffe économiste adjointe et responsable de la recherche macroéconomique, et Lucie Barette, Economiste Europe en charge de l’Europe du Sud.

Une actualité marquée par des signaux de désescalade

L’actualité économique du début d’année est dominée, pour ne pas dire écrasée, par les annonces de Donald Trump concernant de nouveaux droits de douane, sensiblement plus élevés, sur les importations de biens aux États-Unis.

Plusieurs pays se sont montrés proactifs pour éviter une escalade ou y mettre un terme, comme dans l’exemple le plus récent qu’est celui de la Chine. Dans ce contexte, les États-Unis ont décidé de suspendre pour 90 jours l’entrée en vigueur des droits de douane supplémentaires « réciproques » et d’utiliser ce délai afin de conclure d’éventuels accords bilatéraux. Pendant ce temps, il faut bien garder à l’esprit que les droits de douane, s’ils sont redescendus de leurs sommets, demeurent à des niveaux sensiblement plus élevés qu’avant le retour de D. Trump à la Maison Blanche. Par ailleurs, l’incertitude reste très élevée, en conséquence de quoi les risques baissiers sur l’activité persistent.

Dans ce nouveau Podcast, nous revenons sur les perspectives économiques à court-moyen terme dans les grandes économies avancées, en analysant les impacts des tensions commerciales, les marges de manœuvre disponibles et les dynamiques économiques attendues.

Ma première question est pour toi, Hélène : quel est l’impact principal des récentes annonces tarifaires américaines sur l’économie mondiale ?

Hélène Baudchon :

Bien qu'il soit difficile d'en anticiper toutes les conséquences, à court comme à long terme, il ne fait aucun doute que ces annonces auront des effets négatifs, en premier lieu pour les Etats-Unis. De manière générale, les droits de douane annoncés devraient entraîner a minima un ralentissement de la demande globale et une réorganisation des liens commerciaux et des chaînes d’approvisionnement internationales afin de se prémunir au mieux du choc tarifaire américain, avec des effets potentiellement durables sur les flux commerciaux. Le caractère erratique et imprévisible des annonces alimente également l’incertitude globale. Bien que des signes de désescalade des tensions commerciales apparaissent peu à peu (notamment avec la pause de 90 jours annoncée le 9 avril par Donald Trump, l’accord récemment signé avec le Royaume Uni, ainsi qu’une autre pause de 90 jours négociée avec la Chine le 12 mai), le contexte reste extrêmement incertain, avec des effets négatifs importants et pérennes sur l’activité.

Marianne Mueller :

Lucie, je me tourne vers toi avec une première question d’ordre général mais ô combien importante : l’Europe est-elle en capacité de résister à ce choc tarifaire ?

Lucie Barette :

Oui, tout à fait, le bloc européen semble être relativement bien positionné pour résister au choc négatif provenant des États-Unis, et ce pour trois raisons principales :

La première c’est : sa flexibilité budgétaire au niveau de l'Union Européenne

La deuxième c’est : sa marge de manœuvre en matière de politique monétaire

Et enfin la troisième c’est : sa capacité (et sa volonté) à stimuler la demande intérieure par l'investissement

Marianne Mueller :

Tu fais, je suppose, référence au plan d’investissement allemand et à l’effort de réarmement attendu au niveau européen ?

Lucie Barette :

Oui, exactement.

De manière générale, même si cette hausse importante des dépenses de défense en Europe mettra du temps à se concrétiser, elle devrait renforcer la confiance à court terme. Elle devrait également offrir de nouvelles opportunités aux secteurs confrontés à une baisse de la demande sur leurs marchés traditionnels.

L’Allemagne, en particulier, pourra réorganiser son industrie en s’appuyant sur ses filières stratégiques et en transférant les capacités de production de ses secteurs en difficulté (tels que l’automobile et la chimie) vers ses secteurs plus robustes (comme les équipements militaires, les métaux ou les équipements électriques et électroniques).

In fine, ce redéploiement devrait avoir un impact positif sur la croissance européenne à moyen terme, sans ajouter de pressions inflationnistes.

Marianne Mueller :

Quelles sont vos prévisions de croissance ?

Hélène Baudchon :

Je vais commencer par présenter celles pour l’économie américaine, en mentionnant d’abord la réapparition soudaine du risque d’une récession, avec, selon nous, une probabilité d'occurrence de 25%. Ce n’est donc pas le scénario central retenu : celui-ci table sur un ralentissement marqué de la croissance américaine : elle tomberait à 1,3% en moyenne annuelle en 2025 et à 1,2% en 2026 (à noter que cette prévision pour 2026 a été légèrement réajustée à la hausse par rapport à ce qui a été publié dans notre EcoPerspectives, à la suite de la publication des chiffres pour le premier trimestre). L’économie américaine échapperait à la récession sous l’hypothèse, optimiste, d’une désescalade tarifaire (qui se dessine comme évoqué en introduction), assortie d’une moindre incertitude (condition au moins aussi importante que la désescalade). Dans le cas contraire, la récession deviendrait le scénario le plus probable.

Regardons de l’autre côté du Pacifique et ce qui se passe au Japon : le pays est fortement exposé aux Etats-Unis car ces derniers constituent la première destination des exportations japonaises de biens (et la Chine est, en plus, la deuxième destination). De ce fait, nous avons revu à la baisse la prévision pour 2025, à 0,7%. Concernant 2026, nous anticipons une croissance de 0,2%.

Marianne Mueller :

Et pour l’Europe, Lucie, quelles sont les prévisions ?

Lucie Barette :

Du côté de la Zone euro, avant le 2 avril (qui est la date du « Liberation Day » et de l’annonce choc des droits de douane « réciproques »), les perspectives économiques s’étaient améliorées en raison des annonces (précédemment évoquées) de hausse des dépenses militaires à venir en Europe. C’est un facteur significatif de soutien à la croissance, nourri aussi par le sentiment que les appels au sursaut de l’Union Européenne ont été entendus.

Néanmoins, l’aggravation du choc tarifaire post-Liberation Day nous a conduit à revoir notre scénario de croissance en Europe. Effectivement, l’effet de la hausse des droits de douane américains devrait, à court terme, peser plus négativement sur la croissance européenne que les gains liés à la hausse des investissements dans la défense et les effets d’entraînement entre pays, car ces gains mettront plus de temps à se faire sentir.

De ce fait, nous prévoyons une croissance de 1,1% en 2025 en Zone euro (ce chiffre est légèrement plus élevé que celui présenté dans l’Eco Perspectives car il tient compte du bon chiffre du croissance du premier trimestre 2025).

Un (léger) mieux est toutefois toujours attendu entre 2025 et 2026, malgré le ralentissement américain, grâce à la montée en puissance des dépenses de défense en Europe et du plan d’investissement allemand. Pour 2026, nous anticipons donc une croissance de 1,2% (contre 1,3% dans EcoPerspectives), soit un taux de croissance similaire à celui attendu pour les Etats-Unis. C’est notable. Cette convergence attendue des taux de croissance entre les Etats-Unis et la Zone euro à l’horizon 2026 est une caractéristique importante de notre scénario.

Enfin, pour le Royaume-Uni, la croissance moyenne annuelle est un peu abaissée, mais relativement moins par rapport à la zone euro, le pays étant moins sanctionné que ses voisins européens. Nous anticipons donc une croissance de 1,0% en 2025 et 0,8% en 2026.

Marianne Mueller :

Merci pour ce tour d’horizon des perspectives de croissance. Passons maintenant à l’inflation : un même scénario de convergence est-il attendu ?

Hélène Baudchon :

Pas du tout ! Et c’est un autre marqueur important de nos prévisions. Les perspectives actuelles sur le front de l’inflation de part et d’autre de l’Atlantique apparaissent très divergentes.

D’après nos prévisions, l’inflation américaine commencerait à visiblement remonter à compter du troisième trimestre 2025, pour atteindre un pic à 4% au deuxième trimestre 2026. En moyenne annuelle, l’inflation s’élèverait à 3,1% en 2025 et à près de 4% en 2026. Cette hausse est la conséquence directe du choc tarifaire. Elle ne procède pas, dans nos prévisions, d’une mécanique inflationniste auto-entretenue comme en 2021-2023 : elle revêt, de ce point de vue, un caractère transitoire. Néanmoins, un ralentissement plus marqué encore de l’économie américaine, voire une récession, pourrait aider à modérer cette bosse d’inflation. De même, le recul actuel des prix du pétrole est un développement favorable qui tirera vers le bas l’inflation américaine, au moins à court terme.

Lucie Barette :

Je prends le relais d’Hélène pour enchaîner sur la zone euro. Nous continuons d’anticiper une poursuite de la désinflation et un retour à la cible de 2%.

Au niveau des composantes domestiques, la dynamique est désinflationniste.

Et au niveau des composantes non domestiques, l’inflation importée des Etats-Unis, et les surcouts entraînés par les frictions et la réorganisation des chaînes de production, devraient être contrebalancées par le renforcement de l’Euro face au Dollar, l’absence de mesures de rétorsion d’envergure et la désinflation, voire la déflation, importée de Chine.

En 2026, l’inflation headline passerait même, légèrement, sous la barre des 2% en moyenne annuelle d’après nos prévisions.

Marianne Mueller :

Convergence des taux de croissance, divergence des trajectoires d’inflation : qu’est-ce que cela signifie pour les politiques monétaires ? La tâche semble plus compliquée pour la Réserve fédérale américaine que pour la Banque Centrale Européenne, non ?

Hélène Baudchon :

En effet et cela nous amène à anticiper des évolutions divergentes des politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique. Côté américain, la Fed doit naviguer entre des risques haussiers sur l’inflation et baissiers sur la croissance, elle doit gérer une situation de type stagflation. Dans notre scénario, ces deux risques se neutralisent et nous pensons que la Fed n’a pas d’autre choix que le statu quo monétaire, statu quo qu’elle prolongerait jusqu’à la fin de cette année. Le risque d’un désancrage des anticipations d’inflation entre aussi en ligne de compte et explique pourquoi nous pensons que la Fed ne pas passer outre la remontée attendue de l’inflation et baisser ses taux pour réagir au ralentissement de l’activité. Tant que ce dernier reste contenu, il n’appelle pas de baisses de taux. En 2026 en revanche, la Fed serait en mesure de reprendre ses baisses de taux, l’arbitrage inflation-croissance se déformant en faveur de la seconde.

Lucie Barette :

Par rapport à ce qu’Hélène vient de dire sur la difficulté de la tâche de la Fed, pour la Banque Centrale Européenne, la donne est plus favorable du côté de l’inflation comme du côté de la croissance, et les conditions restent réunies pour poursuivre les baisses de taux à court terme.

Nous continuons d’en anticiper deux nouvelles, en juin et en juillet, de 25 points de base chacune, pour atteindre un taux terminal de 1,75 % en juillet.

En 2026, en revanche, sur la deuxième partie de l’année, le renforcement attendu de la croissance, associé au caractère inflationniste de l’effort de réarmement, amènerait la BCE à remonter ses taux de 50 points de base d’après nos prévisions, ce qui accentuerait le découplage avec la Fed.

Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre fait face à une situation plus complexe, car l’inflation y est plus élevée et la situation économique difficile. D’après nos prévisions, cela l’amènerait à poursuivre son assouplissement au rythme lent d’une baisse par trimestre, en l’étalant jusque début 2026.

Enfin, la Banque du Japon, qui se démarquait par une remontée très précautionneuse de ses taux directeurs, se rapprocherait de ses pairs en mettant en pause cet ajustement pour le restant de l’année. Il s’agirait donc d’un statu quo comme la Fed, mais pour des motifs différents : au Japon, ce sont les inquiétudes sur la croissance qui prédominent. Une fois ces inquiétudes passées, la Banque du Japon reprendrait ses hausses prudentes de taux en 2026.

Marianne Mueller :

Pour terminer cet échange, que pouvez-vous nous dire des risques associés à ces prévisions, pour les Etats-Unis d’abord, la zone euro ensuite ?

Hélène Baudchon :

Eh bien, aux Etats-Unis, le choc tarifaire, le climat général d’incertitude et de volatilité financière associé alimentent le risque de récession, que l’on a déjà évoqué, notamment en pesant sur la confiance et les intentions d’investissement et d’embauches. Les risques baissiers nous semblent dominer mais on ne peut écarter un scénario plus favorable, grâce à la bonne forme de départ de l’économie américaine et en cas de désescalade tarifaire plus importante qu’anticipé. Les projets de baisses d’impôts de l’administration Trump pourraient aussi venir en soutien à la croissance (à la condition toutefois qu’ils ne créent pas, trop, de tensions supplémentaires sur les taux longs compte de l’ampleur du déséquilibre budgétaire américain).

Lucie Barette :

Du côté de la Zone euro, on peut identifier des risques haussiers sur l’inflation : d’après notre scénario, à mesure que la croissance se renforcera, des contraintes d’offres pourraient réapparaître et venir exercer une pression à la hausse sur l’inflation.

De plus, bien que le tournant budgétaire allemand et les efforts de réarmement en Europe devraient stimuler la croissance, ils ne vont pas sans difficultés. En plus du défi de leur concrétisation la plus rapide possible, ils se télescopent avec un défi budgétaire de taille : celui de concilier et trouver un équilibre entre plusieurs priorités actuelles : l’augmentation des dépenses publiques pour la défense, les investissements dans la transition énergétique, et les dépenses liées au vieillissement de la population.

Tout cela se fera dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés, avec de nombreux pays qui ont toujours des ratios de dette publique sur PIB importants, et des perspectives de croissance limitées dans la plupart de ces pays, et ailleurs. Il y a donc une incitation claire à ne pas relâcher les efforts de rigueur budgétaire dans ces pays où les déséquilibres budgétaires sont les plus importants, en réduisant les déficits primaires. Les enjeux sont importants mais nous sommes d’avis que l’Europe saura les relever et sortira renforcée de cette épreuve.

Marianne Mueller :

Merci beaucoup Hélène et Lucie. Nous retenons donc pour ce trimestre les deux tournants majeurs que sont, côté négatif, le choc néo-protectionniste des tarifs douaniers américains et, côté positif, les efforts européens de réarmement et d'investissement. La seule certitude est l’incertitude qui entoure leurs répercussions. Mais des changements importants sont vraisemblablement à l’œuvre et feront l’objet d’observations attentives dans votre équipe. Nous invitons donc nos auditeurs à en suivre les développements sur notre site internet.

Merci de nous avoir suivi, à très bientôt pour un nouveau podcast.

Conseil de lecture :

Crédit son :

  • Extrait de l'intervention de Pierre-Olivier Gourinchas , chef économiste du FMI, à la conférence de presse du World Economic Outlook du FMI, avril 2025.

# Press Briefing: World Economic Outlook, April 2025 - YouTube

  • Extrait de l'intervention de Jérome Powell, à la conférence de presse du 7 mai 2025 au FOMC.

# FOMC Press Conference May 7, 2025

  • Extrait de l'intervention de Christine Lagarde, présidente de la BCE, lors des annonces des dernières décisions de la politique monétaire de la BCE, le 17 avril 2025.

# President Lagarde presents the latest monetary policy decisions – 17 April 2025

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées