Eco Perspectives

Afrique du sud | Sur une route cahoteuse

24/06/2025
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En Afrique du Sud, le gouvernement de coalition, formé en juin 2024, résiste bon gré mal gré aux fortes divisions internes. Après trois mois de négociations houleuses, la version finale du budget 2025/2026, présentée au Parlement fin mai, vient d’être approuvée par tous les partis de la coalition. C’est une condition nécessaire pour regagner la confiance des investisseurs mais elle n’est pas suffisante. Le gouvernement devra également apaiser les tensions diplomatiques avec les États-Unis. Sans rebond significatif de l’investissement, la croissance économique devrait rester faible sur les trois prochaines années, ce qui alimentera la fragilité des finances publiques.

Croissance économique : plus d’obstacles que d’avancées ?

Au T1 2025, la croissance économique mesurée sur quatre trimestres a stagné à 0,6%. Malgré la fin des délestages électriques quotidiens qui perturbaient l’ensemble du pays depuis mars 2024, l’activité n’a pas rebondi en raison, notamment, de la persistance des goulets d’étranglement logistiques. Du côté de la demande, la croissance du PIB réel a été tirée vers le bas par une nouvelle contraction de la formation brute de capital fixe (-3,9%), après deux années de timides rebonds. L’incertitude, causée par la période électorale puis par la formation d’un gouvernement de coalition, a incité les investisseurs à adopter une approche attentiste. À seulement 14% du PIB en moyenne sur les cinq dernières années, le taux d’investissement est structurellement faible. Il faudra de nombreuses années pour qu’il rebondisse à un niveau suffisant pour répondre au déficit d’infrastructures et redresser le potentiel de croissance économique de moyen terme.

Prévisions économiques de l'Afrique du Sud

La croissance économique ne devrait donc pas dépasser 2% par an entre 2025 et 2027. Les perspectives sont particulièrement moroses pour 2025, avec un taux de croissance attendu à 1%. Il sera principalement porté par la croissance de la consommation des ménages (1% en 2024). Les pressions inflationnistes se sont atténuées : en avril 2025, la hausse sur un an de l’indice des prix à la consommation était de 2,8%, sous la borne inférieure de la cible d’inflation de la Banque centrale (SARB). Après avoir opté pour une pause dans son cycle d’assouplissement monétaire en mars 2025, la SARB a procédé à une nouvelle baisse de son taux directeur le 29 mai : il est redescendu à 7,25%. En revanche, le commerce extérieur contribuera négativement à la croissance. En effet, les exportations devraient pâtir des tarifs douaniers étasuniens, notamment de la fin de la loi AGOA qui offrait à de nombreux biens sud-africains un accès préférentiel au marché étasunien. L’investissement total devrait rebondir légèrement, soutenu par les dynamiques politiques locales mais tiré vers le bas par l’environnement international très incertain.

Les obstacles conjoncturels ne doivent toutefois pas masquer les résultats positifs des réformes structurelles menées par le gouvernement depuis octobre 2020 sous le nom d’« Opération Vulindlela » (OV). Outre la fin des délestages électriques quotidiens, la participation accrue du secteur privé à la gestion des infrastructures portuaires et ferroviaires a permis d’enrayer le déclin opérationnel de ces secteurs. En mai 2025, le gouvernement a lancé la deuxième phase de l’OV, qui s’étendra jusqu’en 2029. Elle vise à remédier au sous-investissement chronique des municipalités dans les services publics essentiels. La participation croissante du secteur privé dans ces domaines sera clé pour lancer la dynamique d’investissement tant attendue.

Finances publiques : le GNU résiste à l’épreuve budgétaire

La situation des finances publiques est en demi-teinte. Sur l’année budgétaire qui s’est achevée au 31 mars 2025, le gouvernement a dégagé pour la deuxième année consécutive un surplus budgétaire primaire (0,7% du PIB, soit +0,3pp comparé à l’année précédente). Cependant, et malgré la baisse du taux directeur de la SARB sur la période, le paiement des intérêts sur la dette publique a continué d’augmenter pour atteindre 5,2% du PIB, soit 21% des revenus du gouvernement. La prime de risque sur les obligations du Trésor a notamment pâti des fortes incertitudes sur la scène politique. Depuis juin 2024, l’ANC, qui a perdu sa majorité absolue au Parlement, a dû partager le pouvoir en formant un gouvernement de coalition composé de dix partis hétéroclites. Les divergences idéologiques entre l’ANC et les autres partis sur des sujets tels que l’éducation, la loi d’expropriation ou encore le « black empowerment » ont à plusieurs reprises menacé la stabilité de la coalition.

Les désaccords ont culminé en avril 2025 avec les négociations autour du Budget 2025/2026. D’ordinaire, le budget est approuvé sans débat grâce à la majorité absolue de l’ANC au Parlement. Cette fois-ci, il aura fallu trois mois et trois versions différentes du Budget pour que les dix partis du GNU trouvent un accord. L’ANC souhaitait notamment augmenter le taux de TVA de 15% à 17% afin de financer de nouvelles dépenses, mais de nombreux partis s’y sont opposés. L’ANC a finalement dû céder. Ainsi, dans la dernière version du Budget présentée le 21 mai au Parlement, le taux de TVA reste inchangé et les dépenses sont revues à la baisse.

La consolidation budgétaire devrait a priori se poursuivre. Le passage de l’épreuve budgétaire est un gage de stabilité important pour la coalition au pouvoir, et pourrait permettre de réduire la prime de risque sur les obligations souveraines dans les prochains mois. Le budget 2025/2026 prévoit une baisse du déficit de 4,6% du PIB pour l’année en cours (commencée au 1er avril) à 3,7% du PIB sur l’année suivante et 3,2% sur 2027/2028. Toutefois, le risque de dérapage budgétaire persiste. Le gouvernement n’a pas fait de provisions financières dans le cas où l’allocation Social Relief of Distress serait reconduite au-delà de mars 2026. Or, cette allocation, créée pendant la pandémie, a été renouvelée chaque année. Avec un taux de chômage officiel toujours très élevé (32,9% au T1 2025), le gouvernement peut difficilement se passer de cette allocation, qui coûte aux finances publiques près de 0,4% du PIB chaque année.

Malgré les efforts de consolidation budgétaire, la dette publique devrait continuer de croître pour s’approcher de 80% du PIB en 2026/2027. À moyen terme, pour espérer stabiliser le ratio de dette sur PIB, il sera crucial de faire décoller la croissance économique au-delà de 2% par an.

Comptes extérieurs : les risques à surveiller

En 2025, le déficit de compte courant devrait se creuser modérément pour atteindre 1,4% du PIB. Le volume des importations devrait accélérer légèrement avec l’activité économique, tandis que les contraintes logistiques domestiques et la hausse des tarifs douaniers étasuniens vont peser sur les exportations. Point positif, l’évolution des termes de l’échange devrait être favorable : ils seront soutenus par la baisse du prix du pétrole à l’importation et par la hausse notable du cours de l’or à l’exportation (entre le 2 janvier 2025 et le 27 mai, le prix d’une once d’or en USD a augmenté de 27%).

Afrique du Sud : compte financier

Cependant, des risques de dégradation du compte financier persistent. En 2024, les investissements directs étrangers ont chuté à 0,9% du PIB (contre 1,6% en 2023). Compte tenu du haut niveau d’incertitude mondiale, les investisseurs étrangers sont susceptibles de conserver une attitude attentiste cette année encore. Sur une note positive, la résolution de l’impasse budgétaire fin mai et la stabilisation du GNU pourraient permettre un regain de confiance dans l’environnement domestique, et les flux nets d’investissement de portefeuille pourraient rebasculer en territoire positif pour la première fois depuis le T2 2020 (Graphique 1). Toutefois, ils resteront très vulnérables aux fortes tensions diplomatiques avec les États-Unis.

Droits de douane américain : comment éviter le pire ?

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a ravivé les tensions diplomatiques de longue date entre l’Afrique du Sud et les États-Unis. Le tarif douanier moyen sur les importations sud-africaines est passé de seulement 0,3% en 2024 à 8,8% actuellement. Ce taux pourrait monter à 18,4% si les États-Unis décidaient finalement d’appliquer le tarif de 30% comme annoncé le 2 avril lors du Liberation day (le taux est pour l’instant de 10% sur une période de 90 jours à compter du 9 avril). Outre des sanctions économiques, certains membres du gouvernement pourraient recevoir des sanctions diplomatiques individuelles pour leurs relations avec la Russie, l’Iran ou encore le Hamas.

Le gouvernement sud-africain a pris au sérieux la menace de sanctions des États-Unis et y a répondu de manière proactive. Le 21 mai, le président Ramaphosa a rencontré son homologue étasunien à la Maison Blanche pour réaffirmer l’importance de la relation bilatérale. La rencontre a été l’occasion de présenter une première version d’un accord bilatéral sur le commerce et l’investissement. L’administration étasunienne a reçu très positivement plusieurs des propositions, notamment celles d’importer du GNL et de favoriser les investissements d’entreprises étasuniennes dans l’exploration minière. L’Afrique du Sud exporte vers les États-Unis douze types de minerais qualifiés de « critiques » par l’administration étasunienne, et pour neuf d’entre eux, elle en est le principal fournisseur.

Afrique du Sud : exportations vers les US par secteur (2023)

Toutefois, un accord commercial ne suffira pas à mettre fin à toutes les tensions, qui découlent pour une bonne partie du non-alignement politique du pays. Les principales pierres d’achoppement avec les États-Unis risquent donc de perdurer (plainte de l’Afrique du Sud contre Israël auprès de la Cour pénale internationale, exercices militaires conjoints avec la Russie et la Chine, rumeur d’expropriation des Afrikaners). En effet, même au sein d’un gouvernement de coalition, il est peu probable que l’ANC renonce à ses relations historiques avec les pays du Sud pour satisfaire les États-Unis. D’autres épisodes de tensions sont donc à prévoir dans les prochains mois.

Pour l’heure, l’impact des droits de douane sur les exportations sud-africaines devrait être limité. Les exportations totales vers les États-Unis s’élevaient à 3,6% du PIB en 2024, mais les minerais (exemptés de droits de douane) comptaient pour près de la moitié de ce montant. Par ailleurs, les exportations agricoles, bénéficiaires notables de l’AGOA, pourraient être redirigées vers l’Afrique australe, qui fait régulièrement face à des sécheresses et des pénuries alimentaires. En revanche, le secteur automobile (4% du PIB) apparait fortement vulnérable (Graphique 2). Il pourrait toutefois bénéficier de l’ouverture potentielle du marché chinois : la Chine a annoncé aujourd’hui qu’elle prévoyait la levée des tarifs douaniers sur toutes les importations africaines.

En outre, à moyen et long terme, le secteur pourrait tirer parti de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Celle-ci, malgré la lenteur de son déploiement, pourrait devenir un vecteur de diversification des liens commerciaux du pays : l’Afrique du Sud, première puissance industrielle du continent, aurait un avantage comparatif à faire valoir.

Achevé de rédigé le 13 juin 2025

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Equipe : Économies Émergentes

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