Eco Perspectives
Japon – 2026, une année de défis
L’économie japonaise est prise entre plusieurs feux. La croissance a amorcé une phase de ralentissement vers son niveau potentiel. Le Japon peut se targuer d’une situation de plein-emploi, de la bonne santé de ses entreprises et d’une réduction de son ratio de dette publique. Dans le même temps, l’inflation s’éloigne de plus en plus de la cible de 2% et les salaires réels se contractent, ce qui pèse sur la consommation. La politique commerciale américaine reste un facteur de risque et les problèmes structurels, liés à la faiblesse de la demande domestique et à l’offre contrainte sur le marché du travail, demeurent. Enfin, les taux d’intérêt longs remontent nettement, notamment en raison de l’expansionnisme de la politique budgétaire, et l’affaiblissement de la devise se poursuit. Prise en étau, la banque centrale devrait poursuivre son resserrement à un rythme très lent jusqu’à un taux terminal de +1,5% mi-2027.
La croissance à l’équilibre en 2026 - 2027
La croissance du PIB japonais revient, peu à peu, à l’équilibre. La contraction du T3 2025 (-0,6% t/t) interrompt une série de cinq trimestres d’expansion (dont +0,5% t/t au T2). La dynamique sous-jacente du dernier trimestre est ainsi plus nuancée, le résultat agrégé étant tiré vers le bas par une correction des exportations (voir ci-dessous) et le recul de l’investissement privé non résidentiel (-0,2% t/t, après des progrès solides au S1) et résidentiel (-8,2% t/t) sur fond de changements réglementaires (ex. : conformité des nouvelles constructions aux standards d’efficience énergétique). Dans le même temps, la dynamique de l’investissement public reste négative, à l’inverse de la consommation publique.
Par ailleurs, le rythme de croissance du PIB devrait s’élever à +0,2% t/t par trimestre à horizon de projections (fin 2027). C’est proche de son niveau potentiel (estimé entre +0,1% et +0,2%), soit un rythme annuel de 0,7% - 0,8%. L’orientation budgétaire du gouvernement Takaichi (voir « Un déclin du ratio d’endettement public qui devrait s’estomper ») devrait soutenir la croissance. Ce soutien serait toutefois insuffisant pour contrecarrer l’impact des pertes de pouvoir d’achat sur la consommation des ménages, tandis que la remontée des taux d’intérêt et le commerce extérieur pèseront également.
Le climat des affaires, mesuré par le Tankan, témoigne d’un soulagement face à un choc tarifaire moins impactant qu’initialement craint : le résultat national est stable (15) depuis le T1, et le sentiment s’est amélioré au fil de l’année (14 au T3, +2 points cette année à date) pour les grandes entreprises manufacturières. Le secteur non manufacturier se maintient à des standards élevés (21, contre une moyenne de 11 en 2014 – 2019). En revanche, les évolutions défavorables des salaires réels pèsent sur la confiance des ménages : elle est, à 35,8 en octobre 2025, en progrès depuis le point bas d’avril (31,2) mais en-deçà de sa performance annuelle en 2024 (37,2) selon le Cabinet Office, pénalisée par les aspects liés au niveau de vie et surtout à la « propension à acheter des biens durables ».
Le policy mix n’aide pas à réduire l’inflation
L’inflation sous-jacente (hors nourriture non transformée) excède 2% a/a depuis avril 2022 et, selon nos prévisions, elle ne reviendra pas à sa cible avant, au mieux, 2028 – exception faite d’une baisse au T2 2026 (à +1,9% a/a) liée aux mesures de soutien énergétique, avant une nouvelle réaccélération. La hausse des prix résulte à la fois d’une inflation importée sur fond d’affaiblissement du yen (USD/JPY autour de 100 début 2021, au-dessus de 150 aujourd’hui) et de la composante alimentaire. L’inflation headline suit quant à elle les mêmes tendances. Le policy mix participe de la persistance de l’inflation, ce qui est susceptible de se poursuivre avec la mise en œuvre d’une politique budgétaire plus expansionniste dans un contexte de plein-emploi des facteurs de production, tandis que les hausses de taux directeur de la part de la banque centrale sont restées limitées jusqu’alors, maintenant le caractère accommodant et alimentant l’idée d’une politique monétaire « derrière la courbe ». Enfin, les anticipations d’inflation des marchés, mesurées par le 10-year breakeven inflation rate, sont à un plus haut historique de +1,6%.
Le plein-emploi sans hausse des salaires réels
Le marché du travail est contraint par la pénurie de main-d’œuvre, ce qu’illustre le plus bas niveau historique atteint par l’indice Tankan d’utilisation des facteurs au T4 2025, tandis que le nombre d’heures travaillées continue de diminuer (-1,2% a/a sur le T1-T3 2025). Le taux de chômage reste bas, à 2,6% en octobre, malgré une légère augmentation (+0,3 pp en 2025 à date). La croissance des salaires contractuels programmés atteint +2,0% a/a en moyenne en 2025 à date, une tendance qui devrait se poursuivre en 2026 : la confédération syndicale Rengo a présenté la même cible que l’an dernier pour ses négociations annuelles, ce qui suggère un maintien des standards de croissance actuels pour l’année à venir. Cette progression est insuffisante au regard de l’inflation : l’indice des salaires réels s’est contracté de -1,5% a/a en en moyenne 2025 à date (graphique 1), et les perspectives en termes d’inflation ne sont pas positives de ce point de vue.
La Banque du Japon devrait reprendre son ajustement monétaire
La Banque du Japon (BoJ) est engagée, depuis 2024, dans un processus très graduel et prudent d’augmentation du taux directeur et « d’ajustement du degré du caractère accommodant » de sa politique monétaire. La réunion des 18 et 19 décembre devrait aboutir à une hausse de taux (+25 pb), la première depuis janvier 2025, et porter le taux directeur à 0,75%. Cet ajustement se poursuivrait, de façon toujours très graduelle, avec une hausse de 25 pb par semestre au cours des 18 prochains mois, pour atteindre, à la mi-2027, un taux terminal de +1,5%, selon nos prévisions. Ce niveau, sous l’hypothèse d’une inflation ancrée à 2%, correspond à une politique monétaire neutre. Pour l’heure, celle-ci reste donc nettement accommodante en termes réels (environ 2 pp en deçà de la neutralité). Dans le même temps, la BoJ est engagée, depuis le T3 2024, dans un processus de réduction de ses achats d’obligations japonaises (Japanese Government Bonds, JGB), le rythme mensuel devant passer de JPY 5,7 mds initialement à 2,1 en avril 2027 afin d’initier une réduction de la taille du bilan.
Un déclin du ratio d’endettement public qui devrait s’estomper
La nomination de S. Takaichi en tant que Première ministre, à la tête d’un cabinet minoritaire (231/465 sièges à la Chambre des représentants pour la coalition PLD/Ishin) intervient dans un contexte particulier.
Les taux d’intérêt souverains remontent fortement, entraînant une pentification marquée de la courbe des taux : les taux à 10 et 30 ans à +1,97% et +3,39% en 2025 ont, au 8 décembre, respectivement, augmenté de 87 points de base (pb) et de 101 pb depuis le début de l’année. Le phénomène est lié à la persistance des déficits primaires, soumis à des risques haussiers structurels (vieillissement démographique, besoins en défense) et conjoncturels (Parlement divisé, inflation). À cela s’ajoute une politique monétaire qui, à la fois, absorbe moins d’offre de JGB et paraît réagir de façon trop timorée face à une inflation durable. Ces facteurs nourrissent notre scénario central d’une poursuite de la hausse des rendements de long terme à +2,1% (10 ans) et +3,5% (30 ans) fin 2026 (graphique 2).
Malgré ces développements, la nouvelle Première ministre – qui bénéficie de près de 70% d’opinions favorables – est déterminée à mettre œuvre davantage de soutien budgétaire. Un premier stimulus, évalué à JPY 21,3 mds de mds (3,8% du PIB), a été adopté afin de soutenir les ménages face à l’inflation et favoriser la croissance. Le plan est réparti entre un soutien financier direct et indirect aux ménages, des investissements publics et des baisses d’impôts. Il sera financé pour moitié par de nouvelles émissions obligataires. La répétition de budgets supplémentaires à l’avenir est probable et le Japon devrait continuer à présenter des déficits primaires en 2026 (-2,4%) et 2027 (-2,5%), avec un accroissement de la charge d’intérêts contribuant à détériorer davantage le déficit budgétaire total (3,2% en 2026 et 3,7% en 2027, selon nos prévisions). Dans le même temps, le ratio d’endettement public poursuit sa réduction, grâce à une croissance nominale du PIB qui excède le coût apparent de la dette (effet « r-g »), de 258% à 228% du PIB entre 2020 et 2025 (d’après notre estimation). Il devrait atteindre 222% en 2027, avant que le différentiel négatif entre r et g, favorable à court terme, s’estompe.
Le commerce extérieur face aux vents contraires
Les exportations nettes ont pesé sur la croissance du T3, la baisse des importations (-0,4% t/t) ayant insuffisamment compensé celle des exportations (-1,2% t/t). Mais in fine l’année 2025 devrait marquer un retour de la croissance des exportations de biens, après deux années de contraction, aidée par l’impulsion du frontloading au S1 (+4,1% a/a), avant la correction partielle à partir du T3. 2026 devrait toutefois enregistrer un contrecoup lié au plein effet du choc tarifaire américain, alors que l’indice des exportations vers les États-Unis a atteint au T3 un plus bas depuis 2022 ; mais celui-ci devrait se dissiper au fur et à mesure de l’adaptation des agents à cette nouvelle donne. Dans le même temps, la croissance des exportations vers l’Union européenne reprend après une année 2024 de contraction.
La croissance des exportations de services ralentit, avec seulement +4,0% a/a au T3 2025, après avoir constitué un important vecteur de croissance en 2023 et 2024 (+28,1% et +12,3%, respectivement, en moyenne annuelle). Dans le même temps, les importations de services, soutenues par le numérique, affichent un rythme solide et soutenu. Les exportations pourraient tirer parti de la dépréciation du yen, qui a repris depuis avril 2025, l’USD/JPY étant passé d’environ 143 à 156. Le JPY resterait faible en 2026 (atteignant 160 JPY par USD fin 2026). Enfin, au T3 2025, la balance du compte courant atteint 5,1% du PIB, nettement au-dessus d’une moyenne de 4,5% en 2024, aidée par la progression de la balance des paiements courants (5,2% du PIB, contre 4,7% de moyenne en 2024).
Achevé de rédiger le 9 décembre 2025