Edito

L'économie mondiale à mi-année : plus de peur que de mal mais attention à trois facteurs de risque

21/07/2025
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En dehors des États-Unis, au premier trimestre la croissance du PIB a généralement dépassé les attentes dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et dans les économies émergentes, y compris la Chine. Après le sursaut des importations qui a précédé la hausse des droits de douane américains, le retour de bâton au deuxième trimestre sera plus limité que prévu dans la plupart des cas. Mais il serait prématuré de lever complètement l’alerte car trois dangers guettent : les droits de douane, l’inflation et la dette publique.

Jusqu'à présent le patient se porte mieux que prévu

En dehors des États-Unis dont l'économie s'est contractée, la croissance du PIB au premier trimestre a généralement dépassé les attentes, notamment dans l'Union européenne où elle a atteint 0,6 % en glissement trimestriel, contre 0,2 % prévu par la BCE en mars. La croissance britannique aussi a surpris à la hausse. Les marchés émergents se sont également révélés étonnamment résistants : la croissance chinoise a dépassé les attentes (+5,4 % en glissement annuel) avec des surprises globalement positives dans tous les domaines. Après le sursaut des importations « pre-tariffs », un retour de bâton était attendu au deuxième trimestre. Or, les données disponibles à ce jour, notamment les enquêtes PMI, les chiffres des exportations et ceux la production industrielle, suggèrent qu'il sera limité dans la plupart des cas. À noter toutefois que le Royaume-Uni se démarque avec une contraction de l'activité en mai et en juin et que les indicateurs français sont à la traîne par rapport au reste de la zone euro. Même la Chine, épicentre de la guerre commerciale, a vu ses exportations continuer à progresser fortement, ce qui a permis au PIB du deuxième trimestre de ne ralentir que légèrement (+5,2 % en glissement annuel). En phase avec l'activité, les marchés du travail sont restés solides avec des taux de chômage à des niveaux historiquement bas dans la plupart des régions[1].

Redressement du consensus et des marchés boursiers

INDICES MSCI ACTIONS EN DOLLARS AMÉRICAINS , 01/01/2025 =100

En conséquence, le consensus des prévisions de croissance du PIB et les marchés boursiers se sont redressés après le creux du printemps. La plupart des régions devraient enregistrer soit un léger ralentissement, soit, dans le cas de la zone euro, une accélération par rapport à 2024[2]. Les perspectives de croissance des États-Unis ont été les plus revues à la baisse depuis le début de l'année, mais les craintes de récession, qui pesaient lourdement en avril, se sont dissipées (graphique 1). De plus, les principaux indices boursiers américains, bien qu'à la traîne par rapport à leurs homologues mondiaux, en particulier en dollar US (voir graphique 2), ont terminé la semaine dernière proches de leurs niveaux records.

PRÉVISIONS DU PIB RÉEL POUR 2025 (G.A., %), ÉVOLUTION DU CONSENSUS

Qu'est-ce qui explique cette résilience surprenante ? La modération de la guerre commerciale, la baisse de l'inflation, les politiques budgétaires et des conditions financières favorables.

Après la salve tarifaire du 2 avril (le « Liberation Day ») la politique commerciale américaine est revenue à une posture moins agressive, tant en droit que dans les faits. Après avoir atteint près de 30 % au plus fort des hostilités commerciales entre les États-Unis et la Chine, le tarif extérieur moyen américain est rapidement retombé sous la barre des 15 % (d’un point de vue juridique), mais le taux effectivement perçu est resté inférieur à 10 % tout au long du mois de mai. À l'exception du Canada et de la Chine (qui ont ensuite fait marche arrière), aucun partenaire commercial n'a riposté. Au contraire, tous les pays en dehors des États-Unis ont redoublé d'efforts pour renforcer leurs relations commerciales avec leurs partenaires. En conséquence, le commerce mondial a bien résisté, même en tenant compte de la dynamique d’anticipation puis de recul des importations créée par le calendrier échelonné, annoncé par les États-Unis, pour l'entrée en vigueur des hausses de droits de douane. Ainsi, même si les exportations vers les États-Unis ont diminué sur l’ensemble du premier semestre, les exportations mondiales n'ont pas baissé[3].

La grande majorité des économies ont vu l'inflation progresser vers l'objectif de leur banque centrale

Dans la zone euro, l'inflation est même revenue à son objectif depuis deux mois. Cela a permis à la plupart des banques centrales des économies développées et émergentes d'assouplir leur politique monétaire[4]. Cette évolution a été facilitée par deux développements inattendus : contrairement à la théorie, qui prévoit une appréciation du taux de change d’un pays imposant des droits de douane, c'est l'inverse qui s'est produit ; depuis le début de l'année, le dollar américain s'est affaibli par rapport à la plupart des devises des marchés développés et émergents, ce qui a réduit le coût, pour ces pays, de tous les biens importés libellés en dollar américain. À ce premier effet s'ajoute la baisse des prix de l'énergie due aux conditions défavorables de l'offre et de la demande, créées par les pays de l'OPEP, pour regagner des parts de marché. En plus d’avoir permis aux banques centrales d'assouplir leur politique monétaire, la baisse de l'inflation a contribué à soutenir la croissance en rétablissant le pouvoir d'achat des ménages, et donc en soutenant la consommation.

Le soutien budgétaire a joué un rôle déterminant

En Europe plus qu'ailleurs, le soutien budgétaire a joué un rôle déterminant. La décision prise en avril par l'Allemagne de réformer son frein constitutionnel à l'endettement, afin de permettre au moins 1 000 milliards d'euros d'investissements publics dans les infrastructures et la défense, a changé la donne. La décision de la Commission européenne d'accorder aux États membres une certaine flexibilité par rapport aux règles budgétaires de l'UE, afin qu'ils respectent les nouveaux engagements plus élevés en matière de dépenses de défense, a créé une marge de manœuvre supplémentaire. Au total, après avoir été restrictive en 2024, la politique budgétaire en zone euro devrait être neutre, voire légèrement accommodante en 2025 et, surtout, en 2026. Ces mesures, associées à des incitations ciblées en faveur de l'investissement privé en Allemagne et à un programme complet de réformes structurelles de l'offre dans toute l'UE, ont amélioré les indicateurs de confiance dans l'ensemble de la zone euro. À plus petite échelle, la Chine a également mis en œuvre une politique budgétaire visant à soutenir la consommation intérieure et d'autres mesures sont attendues.

Les investisseurs mondiaux ayant revu à la baisse leurs attentes de surperformance des marchés américains, de nombreux pays développés et émergents ont enregistré de forts afflux de capitaux, qui ont eu tendance à comprimer les écarts de rendement obligataires et à alimenter la performance de leurs marchés boursiers. Dans le même temps, les investisseurs américains sont restés optimistes concernant leurs propres marchés et ont alloué leurs actifs en conséquence avec le même effet. Dans l'ensemble, les conditions financières ont été favorables à l'activité presque partout.

Il serait prématuré de lever complètement l'alerte

Trois dangers guettent : les droits de douane, l'inflation et la dette publique. À quelques jours de l'expiration du dernier délai fixé par le président Trump pour parvenir à des « accords », il est très probable que les droits de douane de base imposés à la plupart des pays, y compris l'UE, seront in fine nettement supérieurs aux 10 % actuellement en vigueur. De plus, des droits de douane sectoriels supplémentaires n'ont pas encore été annoncés, ce qui augmentera encore le taux effectif. Si la réduction finale de l'incertitude tarifaire sera bénéfique, des droits de douane plus élevés, appliqués de manière asymétrique entre les pays, créeront de multiples frictions et obstacles à la croissance. Ceux-ci pourraient, dans certains cas, être trop importants pour être compensés par des mesures de soutien national. De plus, des droits de douane plus élevés sont plus susceptibles d'entraîner des représailles, qui pourraient alors conduire à une escalade et nuire davantage à la croissance. Les marchés boursiers, qui tablent sur une croissance régulière des bénéfices, pourraient subir de violentes corrections.

L'inflation est une préoccupation principalement pour l'économie américaine mais elle a des implications mondiales. L'inflation américaine a montré, en juin, des signes modestes mais indéniables d'une première répercussion des droits de douane sur les prix domestiques. Les prix des biens de base, à l'exclusion des véhicules d'occasion, ont augmenté au rythme mensuel le plus rapide depuis le printemps 2022, lorsque l'inflation avait bondi. Nous pensons que l'impact des droits de douane sera beaucoup plus visible au cours des prochains mois. Cela ne fait pas débat. Ce qui est plus incertain, c'est l'ampleur de la répercussion et la durée du choc sur les prix. Certains, comme le gouverneur de la Fed Christopher Waller, estiment que la répercussion sera limitée et de courte durée. Il est donc favorable à une baisse des taux dès la semaine prochaine[5]. Lors de la dernière réunion du FOMC, la majorité des membres du comité craignaient que le contraire ne se produise et se sont donc prononcés en faveur du maintien d'une politique monétaire modérément restrictive. Ils feront sans doute de même la semaine prochaine. Tant que la Fed sera perçue comme conservant son indépendance pour agir conformément à ce qu'elle estime être la bonne politique, pour atteindre son double mandat de stabilité des prix et de plein emploi, il n'y a aucune raison que la hausse des droits de douane entraîne une inflation persistante, ou que les marchés la redoutent. Toutefois, si les attaques politiques incessantes, menées récemment contre la Fed par l'administration Trump, devaient évoluer de telle sorte que les investisseurs ne croient plus en l'indépendance de la Fed, de vives réactions négatives des marchés seraient probables, en particulier sur les marchés obligataires et des changes. De tels chocs risqueraient alors de se répercuter sur les marchés mondiaux.

Enfin, les marchés obligataires ont jusqu'à présent été relativement indulgents face aux besoins d'emprunt publics toujours plus importants des plus grandes économies mondiales — les États-Unis, l'Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et la France — même si tous ces pays ont vu le coût de leur dette à long terme augmenter de manière significative au cours de l'année dernière (de 20 à 50 points de base à 10 ans). Les rendements à 30 ans ont été encore plus sous pression. Ces derniers mois, le rendement américain à 10 ans a même baissé, reflétant en partie une stratégie délibérée consistant à emprunter davantage sur le segment court de la courbe. Cela permet de réduire le coût des intérêts [6]mais augmente les risques de refinancement. Tant que les politiques budgétaires seront jugées globalement soutenables, les marchés resteront sereins et les hausses de rendement ordonnées. Toutefois, à l'exception de l'Allemagne, dont le ratio dette/PIB et la trajectoire d'endettement ne suscitent aucune inquiétude, il n'y a pas lieu de se montrer complaisant. Les décideurs politiques feraient bien de se souvenir de la tourmente provoquée par le mini-budget présenté en septembre 2022 par la Première ministre britannique Liz Truss. Un rappel que les marchés obligataires peuvent rapidement se retourner contre ceux qui refusent les contraintes de soutenabilité budgétaire.

L'année s'est mieux déroulée que prévu jusqu'à présent, et cette dynamique positive a de bonnes chances de se poursuivre jusqu'à la fin de l'année. Espérons que la politique ne viendra pas perturber le cours des choses. Bon été à tous.

[1] Pour plus de détails, voir notre EcoPulse de juillet.

[2] Nos propres prévisions tablent sur un résultat meilleur que le consensus, avec une croissance du PIB de +1,2 % en 2025, mais quoi qu'il en soit, ce serait l'une des rares régions du monde à connaître une accélération de la croissance en 2025.

[3] Lire notre Graphique de la semaine sur ce sujet : Les premiers effets des “Trump tariffs” sont mesurables, et ils sont massifs.

[4] La Réserve fédérale américaine et, parmi les pays émergents, les banques centrales du Brésil et de la Turquie constituent des exceptions notables.

[5] Voir « The Case for Cutting Now », discours du gouverneur Christopher Waller, 17 juillet 2025.

[6] Voir le Graphique de la semaine : « Remontée des taux longs : un bon point relatif pour la zone euro ».

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