L'année 2025 exaucera-t-elle tous les bons vœux échangés actuellement à travers le monde ? Sans doute pas, malheureusement. Mais si l'on s'en tient à l'économie mondiale et d’un point de vue européen, je vois cinq questions cruciales qui détermineront si l’année 2025 sera bonne.
1. Les États-Unis déclencheront-ils une guerre tarifaire mondiale ?
En matière de tarifs douaniers comme sur les autres sujets, personne ne sait ce que fera le Président Trump. Néanmoins, c'est le domaine dans lequel il a été le plus cohérent en paroles et en actes. Il est donc probable que les droits de douane imposés à certains des partenaires commerciaux des États-Unis augmenteront de manière significative. La question est de savoir combien et quelle sera leur réponse. Les tarifs imposés par la précédente administration Trump ont eu pour effet de reconfigurer les flux commerciaux mondiaux, mais ils ne les ont pas fondamentalement affaiblis. Et le déficit commercial américain n'a pas diminué pour autant. C'est précisément pour cette raison que les droits de douane devront être plus élevés et géographiquement plus étendus cette fois-ci, affirment les conseillers pro-tarifs de Donald Trump. Les marchés et la plupart des entreprises pourraient digérer sans trop de peine des droits de douane supplémentaires, si trois conditions étaient remplies : la possibilité de les contourner en relocalisant, un impact sur l'inflation américaine perçu comme limité, et le fait que les partenaires commerciaux maintiennent leurs propres économies largement ouvertes ou, mieux encore, s'efforcent d'approfondir le libre-échange entre eux. Dans le cas contraire, cela coûtera cher. Une guerre commerciale généralisée serait stagflationniste pour le monde entier et constituerait le principal risque pour sa prospérité.
2. La Chine va-t-elle enfin stimuler sa consommation intérieure de manière structurelle ?
Les exportations chinoises ont bondi en 2024, augmentant de 12% en volume, alors que le commerce mondial ne progressait que de 3%. Dans le même temps, la croissance des importations s'est effondrée. Cela signifie que la Chine s'est appuyée encore plus sur la demande extérieure pour atteindre son objectif de croissance du PIB d' « environ 5% » malgré de forts vents contraires intérieurs (lent dégonflement de la bulle immobilière alimentée par l'endettement et sentiment économique général déprimé). La hausse des droits de douane américains ayant entraîné une baisse sensible de la part de la Chine dans les importations américaines, l'augmentation de la part de la Chine dans le commerce mondial s'est faite en grande partie aux dépens de l'Europe. Depuis octobre dernier, les autorités chinoises ont multiplié les annonces de relance. Toutefois, celles-ci sont restées vagues, limitées et davantage axées sur l'aide au marché boursier, aux gouvernements locaux et au secteur immobilier que sur le soutien à la consommation. Et pourtant, à 39% du PIB, la consommation des ménages chinois se situe au 137e rang mondial (sur 146 pays couverts par les données de la Banque mondiale) et 14 points de pourcentage en dessous de la moyenne. Mais cette situation pourrait être sur le point de changer : les déclarations politiques récentes des autorités chinoises mentionnent plus souvent la consommation comme un moteur de la croissance, et le président Xi lui-même a commencé à parler de mesures de protection sociale. En remédiant à leur absence quasi-totale, la Chine élimerait l’un des facteurs clés de son taux d'épargne record. Un tel changement de politique attendu de longue date serait bénéfique à la fois pour la Chine et pour le reste du monde.
3. La politique budgétaire causera-t-elle un déraillement ?
Partout dans le monde, les déficits budgétaires et les dettes publiques se sont considérablement accrus depuis 2020 et un ajustement s’impose. Dans la plupart des pays, il pourra se faire progressivement sans poser de problème et aidera même la politique monétaire à se normaliser (c'est-à-dire à s'assouplir). Mais dans les quelques pays qui n'ont pas de budget pour 2025, la politique budgétaire pourrait être une source de fortes perturbations. Dans le cas des États-Unis, les répercussions seraient mondiales. La première préoccupation porte sur la procédure budgétaire, et notamment sur les crises politiques récurrentes autour du plafond de la dette (qui devrait être atteint dans les quinze prochains jours et commencer à mordre vraiment dans quelques mois) et les shutdown du gouvernement si le Congrès n'adopte pas une loi de financement à temps (la plus récente, votée in extremis le 21 décembre 2024, expire le 14 mars 2025). Ces problèmes finissent par être résolus, mais ils peuvent entraîner une incertitude durable et de la volatilité sur les marchés.
La deuxième préoccupation, plus profonde, porte sur l'ampleur des besoins d'emprunt du gouvernement. Là encore, les États-Unis ne sont pas le seul cas problématique, mais ils sont le plus grand. Le déficit budgétaire du gouvernement fédéral s'élève déjà à USD 2 000 milliards par an, et les propositions politiques de la campagne Trump creuseraient la dette publique de USD 1 700 à 15 500 milliards, avec un scénario central de USD 7 500 milliards à l'horizon 2035 selon le Committee for a Responsible Federal budget (apolitique). De telles quantités d'émissions de dette seront difficiles à avaler pour le marché, surtout à un moment où certains des plus grands détenteurs de titres du Trésor cherchent activement à s'en détourner pour des raisons géopolitiques. De nouvelles pressions à la hausse sur les rendements des bons du Trésor américain sont donc probables, ce qui tirera les taux vers le haut partout ailleurs dans le monde. Comme pour les droits de douane, une hausse modérée serait un vent contraire gérable. Un mouvement haussier important et persistant pourrait être beaucoup plus préjudiciable. L'histoire suggère même qu’il pourrait déclencher des crises de la dette souveraine à travers le monde étant donné le nombre de pays sur lesquels pèse un fardeau de la dette d'une ampleur historique.
4. L'Europe entendra-t-elle les alertes qui ont retenti en 2024 ?
Les rapports d'Enrico Letta et de Mario Draghi, ainsi que l'élection de Donald Trump pour un second mandat, ont signalé instamment que maintenir le statu quo conduirait l'Europe dans une impasse. Apparemment les responsables politiques européens ont pris conscience de la situation, mais il est encore trop tôt pour prédire avec certitude que des mesures propres à y faire face seront prises. Les dirigeants ne sont pas d'accord sur certains éléments clés de la réponse à apporter, notamment en matière de commerce et d’emprunts communs. En outre, on peut s'attendre à ce que la France et l'Allemagne, qui mènent traditionnellement le débat, restent concentrées sur leur politique intérieure pendant quelques trimestres. Néanmoins, dans certains domaines la Commission européenne pourrait faire avancer les choses de manière significative, en identifiant quelques « livrables » rapides, et ainsi catalyser un retournement positif du sentiment vis-à-vis de l’Europe. Par exemple, elle pourrait commencer par mettre sur pause l’adoption de nouvelles exigences réglementaires pendant qu’elle réexamine la bureaucratie existante, et définir un programme pour éliminer les obstacles au marché intérieur les plus coûteux sur le plan économique.
5. Le Royaume-Uni peut-il se sortir de la morosité de 2024 ?
L'économie britannique est enlisée dans la stagflation depuis au moins un semestre, comme nous l'avons déjà analysé (voir notre EcoBrief : Banque d’Angleterre : pas de changement, mais plus de craintes sur l’activité). Le sentiment économique des ménages et des entreprises britanniques est en berne. Si nos prévisions (et celles du consensus) tablent sur une reprise de la croissance à environ 1,4% en 2025, cela repose sur les effets de la légère relance budgétaire votée à l'automne et de la poursuite des baisses de taux très graduelles de la Banque d'Angleterre pour remonter le moral aux agents économiques. Un discours de croissance plus convaincant de la part du gouvernement, soutenu par des réformes stimulant la productivité, pourrait être un autre catalyseur contribuant à améliorer les chances de réalisation du scénario de base.
Si la réponse à ces questions sera déterminante pour les performances économiques de 2025, leur pertinence va bien au-delà de cette année. En effet, elles pèseront sur la prochaine décennie, voire le prochain quart de siècle. N’oublions pas comment la seconde moitié des années folles [19]20 a porté les germes de la Grande Dépression et des drames qui en ont découlé. Aujourd'hui comme alors, les institutions démocratiques sont affaiblies et remises en question dans le monde entier. Les bases des relations internationales - économiques ou autres – sont beaucoup moins solides et acceptées que lors des dernières décennies. Une prospérité profitant au plus grand nombre est indispensable. Sinon, notre capacité collective à relever les défis véritablement existentiels de notre époque - le changement climatique et l'intelligence artificielle - en serait menacée.