La très forte hausse des droits de douane appliqués par les É tats-Unis aux biens importés de Chine constitue un choc négatif important pour les exportations et la croissance chinoises. Cependant, Pékin s’y est préparé et l’impact du choc sera partiellement compensé par les effets de sa stratégie de réponse. À court terme, cette stratégie consiste à rediriger les exportations vers d’autres marchés, poursuivre l’assouplissement monétaire et budgétaire et renforcer la consommation privée. Le redéploiement des exportations a commencé mais pourrait rapidement se heurter à de nouvelles barrières protectionnistes. En interne, le défi sera de redonner confiance aux ménages alors que le marché de l’emploi souffrira du ralentissement du secteur manufacturier.
Ralentissement de la croissance La croissance économique chinoise s’est établie à +5,4% en glissement annuel (g.a.) au T1 2025, comme au trimestre précédent. Après un début d’année plus solide qu’attendu, la croissance devrait ralentir au cours des trois prochains trimestres. Dans notre scénario central, elle atteindrait 4,8% sur l’ensemble de 2025. Nous tablons, de fait, sur un repli modéré de la croissance en dépit du choc protectionniste. L’impact de ce choc sur les exportations et le secteur manufacturier sera pourtant important, mais il sera partiellement compensé par les effets positifs de la réponse mise en œuvre par la Chine. Rappelons que la cible de croissance économique fixée par les autorités est de 5% pour 2025. Les risques sur notre projection sont de toute évidence orientés à la baisse.
Prévisions économiques de la Chine
La déclaration de guerre commerciale de Washington à la Chine depuis la prise de fonction du Président Trump le 20 janvier 2025 est venue interrompre la dynamique de redressement de la croissance observée depuis l’automne dernier. D’un côté, la croissance des exportations de marchandises a ralenti – moins vite que prévu – sur les deux derniers mois. Mesurées en dollars courants, les exportations ont augmenté de +8% en g.a. en avril et de +4,8% en mai (après +5,1% au T1 2025 et +10% au T4 2024). Elles ont été soutenues, d’abord par une intense activité des importateurs américains en anticipation des différentes hausses de droits de douane, puis par un début de réorientation des flux de marchandises chinois vers des marchés tiers (cf. infra). Les exportations devraient continuer de ralentir à court terme.
D’un autre côté, la demande intérieure du secteur privé a perdu l’élan qu’elle avait gagné depuis fin septembre 2024. Le renforcement des ventes au détail aux T4 2024 et T1 2025, principalement dû au programme de remplacement de biens de consommation subventionné par le gouvernement, est fragile ; il s’est interrompu en avril pour reprendre en mai. Les ventes de logements, quant à elles, ne sont pas reparties à la hausse en dépit des mesures de relance des autorités ; elles ont continué de se contracter, certes à un rythme plus modéré (-3,2% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2025, après -14,1% en 2024). Les ménages restent donc très prudents, dans un contexte de déflation, de perspectives de ralentissement dans le secteur manufacturier et donc de dégradation du marché du travail. Sur les cinq premiers mois de 2025, le taux de chômage s’est légèrement amélioré (5,0% en mai), mais le nombre moyen d’heures travaillées a légèrement reculé – alors que la progression des salaires a déjà fortement ralenti en 2024 (le salaire « urbain » moyen a augmenté de +2,8% en 2024, après +5,8% en 2023).
La croissance de l’investissement total a commencé à décélérer légèrement depuis avril (atteignant +3,7% en g.a. en valeur sur les cinq premiers mois de 2025), en raison du ralentissement de l’investissement manufacturier (+8,5%) et de la baisse continue de l’investissement immobilier (-10,7%). L’investissement dans les infrastructures s’est au contraire renforcé depuis le début de l’année (+5,6%).
Alors que les effets directs de la hausse des droits de douane étatsuniens sur les exportations commencent à apparaître, ses effets de contagion sur les autres composantes de la croissance sont donc déjà perceptibles.
Déflation Les pressions déflationnistes persistent. Elles sont alimentées par des capacités de production excédentaires, la faiblesse de la demande, la baisse des prix des logements, la moindre progression des salaires et la baisse des prix des matières premières. L’inflation des prix à la consommation (IPC) est restée légèrement négative sur les cinq premiers mois de 2025 (-0,1% en g.a.). L’inflation sous-jacente est restée proche de +0,5% depuis mars, mais les prix alimentaires diminuent depuis décembre (-0,4% en g.a. en mai) et les prix du carburant depuis l’été dernier (-12,9% en mai). Les prix à la production sont, quant à eux, en baisse continue depuis le T4 2022 (-3,3% en mai).
À court terme, la reprise attendue de la consommation privée devrait être modérée, le marché immobilier devrait au mieux se stabiliser, et le ralentissement des exportations de marchandises aggravera les surcapacités de production. Nous prévoyons donc une hausse de l’IPC nulle en 2025 contre +0,2% en 2024. Les pressions déflationnistes pèsent sur la croissance nominale du PIB (qui est restée inférieure à sa croissance réelle en 2023-2024). Elles nuisent à la santé financière des entreprises, compliquent le pilotage de la politique monétaire, et pèsent sur la demande intérieure.
Poursuite de l’assouplissement monétaire et budgétaire Les autorités ont accéléré l’assouplissement de leurs politiques budgétaire et monétaire au cours des derniers mois. Et elles se sont préparées à assouplir davantage dans l’année.
Sur le plan monétaire, les dernières décisions datent de début mai [1] . En outre, les grandes banques publiques nationales ont bénéficié d’injections de capital pour renforcer leur capacité à augmenter leurs crédits. Cependant, pour le moment, l’assouplissement de la politique monétaire, et celui du cadre prudentiel pour les prêts hypothécaires et les achats de logements, ont eu des effets très limités. Cela s’explique par la faiblesse de la demande de crédits du secteur privé, par la prudence des banques, et par les problèmes de solvabilité ou de liquidité auxquels les promoteurs immobiliers sont toujours confrontés. En 2025, la croissance des prêts bancaires a continué de ralentir (+7% en g.a. en termes nominaux en mai) et les prêts au logement ont continué de se contracter légèrement. La croissance du total des financements à l’économie a légèrement réaccéléré (+8,7% en mai), tirée par les émissions obligataires du Trésor et des collectivités locales.
Les autorités devront donc abaisser les taux d’intérêt plus largement, et/ou renforcer le soutien budgétaire. De fait, la politique budgétaire a pris une direction franchement accommodante. L’objectif pour le déficit budgétaire officiel a été fixé à 4% du PIB pour 2025, soit le niveau le plus élevé depuis 30 ans. De plus, des mesures ont été mises en œuvre depuis plusieurs mois afin de renforcer les finances des collectivités locales. Celles-ci restent fragiles mais ont néanmoins gagné un peu de marge de manœuvre. En outre, le gouvernement central devrait accroître son rôle dans les plans de soutien. Enfin, l’accélération des émissions obligataires du gouvernement, depuis le début de l’année, témoigne des efforts de relance accrus.
La hausse de l’investissement public, en particulier dans les secteurs stratégiques et les projets d’infrastructure, le soutien aux entreprises exportatrices fragilisées par les droits de douane américains, et le renforcement de la consommation privée sont des objectifs clés de la stratégie budgétaire en 2025. Renforcer la consommation privée durablement suppose que les autorités accélèrent les réformes structurelles visant à améliorer le système de protection sociale et à réduire l’épargne des ménages [2] . À court terme, elles devront multiplier les mesures de soutien pour compenser les effets du ralentissement du secteur manufacturier et relancer le marché immobilier. Des annonces sont attendues pendant l’été. Des mesures ciblant directement les revenus seraient particulièrement bienvenues pour rassurer les ménages.
Rapide réorientation des exportations chinoises À la suite des annonces du « Jour de la libération », le 2 avril, l’escalade des tensions entre Washington et Pékin a amené les droits de douane réciproques à des niveaux sans précédent en quelques jours (tarifs étatsuniens sur les biens chinois à 145%, tarifs chinois sur les biens étatsuniens à 125%). Un début de négociations a ensuite réduit les nouveaux droits de douane à 10% des deux côtés depuis le 12 mai. Au tarif étatsunien de 10% s’ajoutent les 20% déjà appliqués à la Chine par l’administration Trump (et dont la récente annulation par le Tribunal de commerce international des États-Unis est pour le moment suspendue).
Par conséquent, le taux effectif (moyenne pondérée) appliqué par les États-Unis sur les importations de biens chinois est passé de 10,7% fin 2024 (un droit de douane de 20% était appliqué sur près de 60% des importations venant de Chine) à 34,2% à mi-juin (+23,5 pp). Ce chiffre prend en compte toutes les exemptions et les spécificités sectorielles (50% sur l’acier, exemptions pour les produits pharmaceutiques, l’électronique et les semi-conducteurs).
Les négociations entre Washington et Pékin ont repris mais restent difficiles à prévoir. Le tarif effectif étatsunien pourrait de nouveau grimper en cas de désaccord ou de nouveaux tarifs sectoriels. Il dépasserait 40% en cas de droits de douane de 25% introduits sur les semiconducteurs et produits électroniques (qui constituent environ 20% des exportations chinoises vers les États-Unis). On suppose dans notre scénario central que le tarif effectif restera à son niveau actuel en 2025.
Les exportations chinoises vers les États-Unis représentaient 14,6% des exportations totales en 2024, soit seulement 2,6% du PIB. En supposant une élasticité-prix des exportations à -1, la perte d’activité due à la hausse des droits de douane est estimée à 0,6 point de PIB. Cet impact direct exclut les effets négatifs indirects liés au ralentissement économique mondial, et les effets positifs de l’assouplissement monétaire et budgétaire et des stratégies de la Chine pour compenser la baisse de ses exportations vers les États-Unis.
Chine : croissance des exportations par destination
La Chine continuera à réorganiser ses chaines de production dans les prochaines années. À court terme, c’est la réorientation des flux de marchandises vers des pays tiers qui aidera à compenser les pertes subies sur le marché américain. Dès le mois d’avril, la baisse des exportations vers les États-Unis (-27,8% en g.a. en moyenne en avril-mai) a été compensée par une forte hausse des ventes vers le reste du monde (Union européenne : +10,2% en g.a. en moyenne en avril-mai ; ASEAN : +17,8% ; Afrique : +29,3% ; Canada : +17,7% ; Amérique latine : +9,8%). Ceci montre la rapidité avec laquelle les entreprises chinoises peuvent rediriger leurs exportations (cf. graphique).
Cette réorientation va se poursuivre mais pourrait toutefois être de plus en plus complexe. Elle pourrait être contrainte par les efforts de Pékin pour développer ses relations commerciales avec ses partenaires asiatiques et européens. Parallèlement, les pays où la pression concurrentielle chinoise s'accentue pourraient multiplier les barrières protectionnistes. Ensuite, les exportateurs chinois pourraient avoir de plus en plus de mal à baisser leurs prix pour gagner des parts de marché. L’évolution du yuan sera déterminante. Après l’épisode de dépréciation de début avril, le CNY s’est réapprécié contre le dollar US et est resté à peu près stable ces derniers jours (le taux spot CNY/USD a gagné un peu plus de 1% entre le 1er avril et le 18 juin). Son évolution à court terme dépendra en partie de l’issue des négociations avec Washington. En termes effectifs réels, le yuan s’est déprécié de près de 5% en mars et avril, ce qui a largement aidé la progression des exportations chinoises vers les marchés hors États-Unis.
Achevé de rédiger le 18 juin 2025