Les effets négatifs de la politique commerciale et migratoire de l’administration Trump sur l’activité économique américaine commencent à se faire sentir : l’enquête Emploi de juillet en porte la trace et l’économie dans son ensemble donne plus de signes d’une nette perte de vitesse. Dans le même temps, les accords commerciaux récemment conclus devraient atténuer le choc d’incertitude. Enfin, la repondération des risques, liée à l’accroissement des craintes sur l’emploi, pourrait mettre au défi la posture attentiste de la Fed.
Coup de froid sur l’emploi
Les inquiétudes quant aux effets négatifs du tournant protectionniste de l’administration Trump sur la conjoncture américaine, longtemps circonscrites aux données d’enquête, se sont matérialisées dans l’Employment situation de juillet. Les créations d’emplois salariés non-agricoles (nonfarm payrolls, NFP) ont été très en-deçà des attentes (73k, consensus : 106k) et, surtout, ont été accompagnées de révisions baissières conséquentes en mai et juin, pour un total de -258k. La moyenne mobile sur 3 mois chute ainsi à seulement +35k, un plus bas depuis 2010[1]. On peut voir dans le net recul des embauches en mai (19k) et juin (14k) les conséquences néfastes immédiates de l’offensive tarifaire de l’administration sur l’activité, avant le rebond partiel de juillet possiblement lié à la désescalade.
Le taux de chômage reste conforme au plein-emploi (4,2%, +0,1pp) et relativise la mauvaise surprise des créations d’emplois. Néanmoins, cette stabilité repose sur une évolution négative, à savoir un affaiblissement de la composante offre du marché du travail. En effet, au cours des trois derniers mois, la population active s’est réduite de 0,8 million de personnes et le taux d’activité a reculé de 0,4pp, à 62,2%, son plus bas niveau depuis novembre 2022. Par ailleurs, la force de travail non-native a décliné de 1,7 million depuis mars[2]. Le marché du travail américain apparaît doublement pénalisé : par une moindre demande de travail liée à l’environnement incertain et par une offre de travail également en perte de dynamisme sur fond de politique migratoire agressive.
La perte de vigueur de l’emploi entre en résonance avec les données de PIB du T2. Si la croissance est flatteuse (+0,7% t/t, soit +3,0% en rythme annualisé), le chiffre masque le ralentissement de la demande privée sous-jacente pour le troisième trimestre consécutif (+1,2% en rythme annualisé, un plus bas depuis le T3 2022). Enfin, mesurée en moyenne semestrielle pour neutraliser la volatilité des importations au T1 (en forte hausse) et au T2 (en forte baisse), la croissance accuse un net ralentissement, à +0,6% par rapport au semestre précédent au S1 2025, contre +1,4% au S2 2024.
Droits de douane, le mérite de la clarté ?
« L’effet net » négatif, attendu et désormais visible, de la politique économique américaine relève principalement des aspects commerciaux et du double choc associé, d’incertitude et tarifaire. Des accords sur les droits de douane ont été conclus avec des partenaires majeurs comme l’Union européenne (27/07) et le Japon (22/07), et des discussions ont lieu pour un prolongement de la « trêve » avec la Chine. Ces développements sont relativement positifs en ce qu’ils diminuent le choc d’incertitude et permettent au cycle des affaires de regagner en prévisibilité (voir notre analyse ici). Cependant, le choc tarifaire reste significatif. Le tarif effectif moyen sur les importations aux États-Unis est estimé à 17,0% (contre 2,3% en 2024) après ce cycle d’annonces[3]. En plus des premiers signes de transmission de ce choc sur l’activité, les effets sur les prix commencent également à être visibles : avec un taux effectif moyen qui atteignait déjà 8,8% en mai, la variation mensuelle du prix des biens (hors énergie et automobile) a atteint +0,55% en juin, son rythme le plus élevé depuis juin 2022.
Par ailleurs, un cap a été franchi dans le détournement d’objet de la politique douanière. Notamment, les droits de douane appliqués au Brésil ont été relevés à 50% (contre 10% lors du Liberation Day, hors spécificités sectorielles) et ceux sur le Canada à 35% (+10pp, hors USMCA et énergie). Ces décisions sont, respectivement, intervenues après l’expression du désaccord de D. Trump sur la situation judiciaire de J. Bolsonaro et sur le projet canadien de reconnaissance de l’état de Palestine. En outre, elles s’accompagnent de menaces fréquentes quant à l’imposition de tarifs secondaires[4]. Si des accords ont été signés sur des préoccupations classiques – déficits bilatéraux, ciblage ou exclusions sectorielles –, une nouvelle phase préoccupante s’est possiblement ouverte concernant l’usage de l’arme économique pour des motifs extra-commerciaux.
Fed, le moment de vérité approche
L’enquête Emploi du mois de juillet pourrait constituer un début de tournant critique pour le FOMC. La situation était jusqu’ici plutôt avantageuse pour ce dernier – abstraction faite de la pression politique. La relative solidité du marché du travail offrait à ses membres le luxe de la patience en attendant l’effet des tarifs douaniers sur les prix avant d’ajuster la monetary stance. Ce temps est probablement révolu, les derniers NFP pointant vers une repondération des risques sur le mandat dual par un accroissement des craintes quant à la composante « plein emploi ». Plus avant, l’enquête Emploi d’août jouera un rôle déterminant : des signes de plus ample affaiblissement (créations d’emplois négatives, révisions baissières, hausse marquée du taux de chômage) pourraient avancer les baisses de taux prévues dans notre scénario pour 2026. À ce stade, nous maintenons notre scénario de stabilité de la cible de taux (4,25% - 4,5%) sur l’ensemble de l’année 2025, mais prenons acte de l’incertitude significative qui entoure désormais ce call.
Les données ne sont pas le seul vecteur de pression pour la Fed. La réunion des 29 et 30 juillet du FOMC a été l’occasion de deux dissensions de la part de gouverneurs (M. Bowman, C. Waller) quant à la décision de taux, une occurrence inédite depuis 32 ans (ils étaient en faveur d’une baisse de 25 pb). La démission de la gouverneure A. Kugler le 1er août (son mandat expirait initialement en janvier 2026), libère par ailleurs avec effet immédiat une place au board, au sein duquel le successeur de J. Powell sera choisi par le président D. Trump[5]. Dès lors, J. Powell, dont le mandat de président de la Fed expire en mai 2026, pourrait se retrouver face à son remplaçant dès les prochaines réunions du FOMC, avec les risques associés en matière de perte d’influence et de division du comité.
Les marchés attendent une baisse de taux
La réaction des marchés financiers aux NFP a été, logiquement, négative. Le recul journalier de -1,6% enregistré par le S&P 500 le vendredi 1er août est le plus important depuis le 21 avril, jour marqué par des menaces explicites de (tentative de) renvoi imminent de J. Powell par D. Trump. Les pertes n’avaient pas encore été effacées au 5 août. Le 1er août, le rendement à 10 ans sur les bons du Trésor américain a perdu 14 pb, à 4,22%. Enfin, la probabilité d’une baisse de taux dès le mois de septembre est passée de 43% à 83% sur le marché des Fed Funds Futures, ce qui joue à la baisse sur le dollar US (-0,8% sur l’indice ICE le 1er août).
Achevé de rédiger le 6 août 2025