Treasuries : une valeur refuge mise à l'épreuve

14/10/2025

Le marché des Treasuries constitue l’un des piliers de l’architecture financière globale. Ceci tient à sa taille, à sa liquidité, à son rôle de référence pour la fixation des conditions d’emprunt et à la sécurité que les titres fournissent.

Néanmoins, les turbulences provoquées par l’annonce des droits de douane dits « réciproques », en avril dernier, nous ont rappelé que le marché des Treasuries était devenu plus sensible aux épisodes de stress…

Transcription

Le marché des Treasuries constitue l’un des piliers de l’architecture financière globale. Ceci tient à sa taille, à sa liquidité, à son rôle de référence pour la fixation des conditions d’emprunt et à la sécurité que les titres fournissent.

Néanmoins, les turbulences provoquées par l’annonce des droits de douane dits « réciproques », en avril dernier, nous ont rappelé que le marché des Treasuries était devenu plus sensible aux épisodes de stress ; en d’autres termes, que la liquidité et la sécurité offertes par ces titres en cas de choc s’étaient quelque peu réduites. Nous identifions trois facteurs explicatifs, de nature structurelle, sur lesquels la politique américaine n’annonce pas de progrès.

Le premier facteur ayant réduit la fiabilité de la valeur refuge que sont les US Treasuries tient à l’ampleur, colossale, de la dette fédérale américaine. Or, la politique fiscale de l’administration ne devrait pas permettre de redresser les comptes publics. Toutes choses égales par ailleurs, les revenus tarifaires sont certes susceptibles de compenser une part importante des baisses d’impôts du One Big Beautiful Bill Act. Mais leurs effets négatifs sur l’activité vont aussi venir contrer d’éventuels effets positifs des baisses d’impôts.

Finalement, le déficit public devrait se maintenir, au cours des prochaines années, à des niveaux élevés, entre 5 et 6% du PIB, inédits hors temps de guerre ou de récession. Et l’accroissement du ratio de dette publique des Etats-Unis devrait se poursuivre, au-delà de son record historique, situé au-dessus de 100 points de PIB pour la dette fédérale détenue par le public. Ceci implique une offre toujours plus abondante de titres à absorber, dans un contexte de renchérissement des taux d’intérêt.

Le deuxième facteur qui a écorné la qualité de valeur-refuge des Treasuries concerne la typologie des créanciers de l’Etat fédéral. Cette typologie a beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. Le poids des banques centrales étrangères, parmi les détenteurs de la dette fédérale, a nettement reculé, tandis que celui des hedge funds s’est accru. Or les stratégies court-termistes des hedge funds ont rendu les titres du Trésor américain beaucoup plus sensibles aux épisodes de stress.

De ce point de vue, la politique de l’administration Trump n’est pas non plus exempte de risques. Le Genius Act, promulgué cet été, va stimuler la demande de papier fédéral des émetteurs de stablecoins. Mais cela pourrait n’avoir qu’un effet modeste sur la demande nette globale de titres publics et surtout accroître la vulnérabilité des Treasuries en période de tensions. Les rumeurs de taxation qui visent les investisseurs non-résidents comme les menaces qui pèsent sur l’indépendance de la Réserve fédérale pourraient également constituer des vecteurs de déstabilisation.

Enfin, évoquons le troisième facteur qui fragilise le statut des Treasuries : la réglementation bancaire. Certes, les régulateurs américains vont très prochainement assouplir la contrainte de levier imposée aux plus grandes banques américaines. Cet assouplissement va renforcer la capacité des banques à intermédier le marché des Treasuries et probablement rassurer les investisseurs à ce sujet. Mais l’effet bénéfique pourrait n’être que de courte durée. Car tant que la dette fédérale augmentera, l’espace bilanciel que les banques devront consacrer à leur rôle d’intermédiaires continuera lui-aussi d’augmenter.

Pour conclure, l’administration américaine devrait, pour préserver le statut des Treasuries, s’efforcer de dissiper les inquiétudes, au premier rang desquelles celles portant sur la soutenabilité de la dette fédérale. À défaut, les Treasuries conserveront, certes, une place centrale dans les portefeuilles des investisseurs, mais verront leur valeur dépréciée et assortie d’une prime de risque et de terme plus élevée.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées