Transcription :
00:02:19 - Emmanuel Laborde
Hélène, bonjour.
00:02:49 - Hélène Baudchon
Bonjour Emmanuel, bonjour à tous ceux qui nous suivent en direct ou en replay.
00:02:52 - Emmanuel Laborde
Alors c'est un plaisir de t'avoir aujourd'hui. Tu as relevé ce challenge de résumer toute une année économique en seulement 10 minutes. On va commencer avec il y a 11 mois maintenant. Souvenons-nous, la planète entière, pas seulement économique, était en émoi puisque le président Trump arrivait pour un second mandat et commençait de façon assez forte son mandat d'un point de vue économique avec une augmentation massive des droits de douane à l'encontre à la fois des pays et puis de la quasi-totalité des secteurs économiques. Des annonces qui étaient inédites, tant sur le fond que sur la forme. On est 11 mois après, plus apaisés. Qu'est-ce que tu gardes en tête ?
00:03:27 - Hélène Baudchon
Le fait est que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche marque un tournant majeur et un double choc, un choc tarifaire et un choc d'incertitude. Alors c'est vrai que ce durcissement protectionniste était dans le programme économique du candidat Trump pendant la campagne présidentielle. Donc l'incertitude, en fait, elle vient des multiples revirements des annonces du président Trump, depuis celles du Liberation Day du 2 avril. Ce jour-là, souvenons-nous, ont été annoncées l'instauration de droits de douane dits « réciproques » sur tous les pays du monde ou presque, qui n'avaient d'ailleurs de réciproque que le nom, doublé d'une augmentation importante de ces droits de douane, plus ou moins importante selon les pays et selon une logique assez incompréhensible.
00:04:12 – Emmanuel Laborde
C'est vrai, on a encore du mal aujourd'hui à avoir une bonne grille de lecture. Alors tout ça c'était il y a 11 mois, beaucoup de choses se sont passées depuis et on pourrait même dire qu'on a été dans une désescalade progressive, c'est plutôt une bonne nouvelle non ?
00:04:22 - Hélène Baudchon
En effet, c'est plutôt une bonne nouvelle. Aujourd'hui, les tarifs douaniers ont atterri à un niveau plus bas que ce qu'on pouvait redouter début avril. Mais le choc tarifaire, il est tout de même là et il est d'ampleur. Par exemple, on assiste à une multiplication par 7 environ du droit de douane effectif moyen sur les importations américaines de marchandises. Un droit de douane effectif moyen qu'on estime se situer aujourd'hui autour de 17% versus 2,3% en 2024. En outre, des incertitudes importantes subsistent et puis la grille tarifaire est devenue extrêmement complexe du fait des exemptions diverses et variées. Et tout ça en fait est préjudiciable à l'activité économique mondiale, les États-Unis étant probablement les plus exposés.
00:05:11 – Emmanuel Laborde
Donc un choc protectionniste, un refroidissement assez sévère des relations transatlantiques à cette époque et on s'en souvient encore. La bonne nouvelle c'est que l'Europe n'est pas restée inactive, les réactions sont arrivées assez rapidement et c'est le deuxième fait marquant de cette année. Quelle réaction as-tu noté de la part de l'Europe ?
00:05:25 - Hélène Baudchon
Le fait est que la bonne nouvelle, c'est que l'Europe a clairement entendu les alarmes qui ont retenti en 2024, notamment sous la forme des rapports Draghi, Letta et Noyer. Et ce sursaut de l'Europe est vraiment un choc positif qui fait face au choc négatif américain évoqué il y a un instant. Alors c'est vrai que l'Europe doit encore passer de ce stade de la prise de conscience à celui de l'action, que cette action reste lente, les progrès insuffisants comme encore relevés récemment par Mario Draghi. Christine Lagarde a aussi rappelé l'urgence à agir pour ne pas perdre plus de terrain et en faisant notamment du marché unique un vrai marché unique. Mais, en fait, sur ce sujet et sur d'autres fronts - et ce caractère multidimensionnel de la réponse européenne est un point fort à souligner, donc il y a des avancées et il nous semble aussi que ce nouvel élan devrait continuer de s'amplifier.
00:06:17 – Emmanuel Laborde
Il y a des avancées, tu viens de dire, on peut en lister quelques-unes, très concrètement ce serait ?
00:06:20 - Hélène Baudchon
Il faut noter par exemple les efforts de simplification, de pragmatisme aussi dans la machinerie réglementaire européenne (que ce soit dans les domaines de la tech, de la finance, de la concurrence). On notera aussi les progrès, petit à petit, vers une union de l'épargne et de l'investissement plus intégrée. On soulignera aussi la volonté de concilier compétitivité et souveraineté, sans oublier l'enjeu de la décarbonation. Et enfin, je pense qu'il faut saluer la célérité et l'importance de la double réponse de l'UE, au travers de l'accroissement marqué des dépenses militaires des plans européens et du plan d’investissement massif allemand. Et tout ça, en fait, a envoyé un signal positif pour la croissance.
00:07:03 – Emmanuel Laborde
Donc si je résume, début d'année 2025 quand même assez agité, pessimisme, optimisme, c'était un petit peu l’ascenseur émotionnel mais sur le plan économique. Et finalement, la bonne résistance de l'économie mondiale, comment est-ce qu'on explique ça ?
00:07:17 - Hélène Baudchon
D'abord commençons par essayer d'identifier quels sont les signes de cette résistance de l'économie mondiale. Elle s'appuie sur les économies avancées comme sur les économies émergentes. On l'observe notamment au travers de la révision en hausse des prévisions de croissance pour 2025, quand on compare par exemple les scénarios de prévision du printemps à ceux d'aujourd'hui. Autre indicateur, pour la plupart des pays que nous suivons, la croissance a marqué un ralentissement limité entre le second semestre 2024 et le premier semestre 2025. Les chiffres de croissance dont on dispose pour le troisième trimestre 2025 sont également plutôt positifs. Du côté des enquêtes sur le climat des affaires, elles se sont plutôt bien tenues, notamment dans le secteur manufacturier. Alors, c'est vrai que c'est un peu moins vrai du côté de la confiance des ménages. Et un dernier développement intéressant à mettre en avant pour 2025, c'est vrai que ça reste fragile, mais la zone euro, la croissance dans la zone euro est plutôt allée en se redressant quand la croissance américaine a marqué un ralentissement par rapport à 2024.
00:08:16 – Emmanuel Laborde
Alors là, tu viens de nous expliquer effectivement les signes de la résistance de la croissance. Ils sont probants, on est bien là. Mais ma question, encore une fois, c'était comment on explique cette croissance ?
00:08:23 - Hélène Baudchon
Je citerai trois grands facteurs d'explication qui valent, une fois encore, pour les économies avancées comme pour les économies émergentes. On a tout d'abord la politique monétaire qui a globalement continué de s'assouplir. Deuxièmement, et c'est lié, les conditions financières globales sont restées favorables, combinant hausse des marchés actions, tendance baissière du dollar, du pétrole, resserrement des spreads du crédit. Et enfin, peut-être surtout, le commerce mondial lui-même qui a tenu bon, plus que prévu. Cela étant dit, j'ajouterai tout de suite qu'on pense que les pleins effets du choc tarifaire américain sont probablement encore devant nous. Mais jusqu'ici, le commerce mondial a plutôt bénéficié de la rapidité de la réorientation des flux d'échanges pour s'adapter au choc tarifaire. Celui-ci n'est peut-être pas non plus aussi mordant que les effets d'annonce de Donald Trump. Il y a eu beaucoup d'exemptions, j'en ai déjà parlé, beaucoup d'accords commerciaux ont été négociés. Et puis enfin, entre cette résistance du commerce mondial et l'essor des marchés actions, il y a un point commun important, c'est le boom de l'IA.
00:09:25 – Emmanuel Laborde
Et on aura l'occasion de l'évoquer tout à l'heure. On va revenir un peu sur la politique monétaire, plus spécifiquement sur la Fed et la BCE qui nous intéressent au plus près. Alors ça tombe bien, c'est toi avec tes équipes qui suivez ce sujet au gré des mois. 2025 marque donc un changement de position assez intéressant, assez marqué pour ces deux grandes banques centrales. Déjà, explique-nous ce qu'elles ont modifié l'une et l'autre ?
00:09:47 - Hélène Baudchon
En effet, en fait, ce qu'on a constaté depuis peu, c'est qu'elles ont échangé de place. Donc la Banque Centrale Européenne, depuis le mois de juillet, a pris la position du statu quo monétaire qui était tenu par la Fed jusqu'au mois d'août, pendant que la Fed, elle, a changé de place et a repris la position des baisses de taux qui étaient tenue par la BCE jusqu'au mois de juin.
00:10:08 – Emmanuel Laborde
Pourquoi un tel changement ? C'était pour répondre à quoi ?
00:10:10 - Hélène Baudchon
Ce renversement fait écho à un changement dans l'appréciation de l'équilibre des risques. Côté américain d'abord, la Fed se montre désormais plus soucieuse des risques baissiers sur l'emploi plutôt que des risques haussiers sur l'inflation, à cause des droits de douane toujours. Le fait est que le marché du travail américain a montré des signes assez nets de ralentissement du côté de la demande de travail comme de l'offre de travail. Le taux de chômage de ce fait n'a que peu remonté, mais le risque d'une détérioration plus brutale ne peut pas être écarté, ce que la Fed cherche à prévenir en rendant sa politique monétaire moins restrictive. Du côté de l'inflation, c'est vrai qu'elle reste environ un point au-dessus de la cible de 2%, qu'elle est orientée à la hausse, mais la remontée récente reste plutôt contenue et devrait continuer de rester contenue, suffisamment pour que la Fed n'ait pas à réagir à cette inflation élevée. Et on notera aussi que la Fed se montre assez divisée sur ses différents sujets et qu'elle a une complication supplémentaire à gérer, à savoir les menaces politiques qui pèsent sur son indépendance.
00:11:16 – Emmanuel Laborde
C'est vrai que c'est déjà un numéro d'équilibriste que tu nous décris régulièrement, mais avec un Trump qui met la pression, ça ne va pas être simple. Ça nous donnera beaucoup matière à discussion. Côté BCE, quels sont les changements qu'on a observés ?
00:11:27 - Hélène Baudchon
En fait, la BCE, ce n'est pas souvent, et ça mérite d'être souligné, la BCE est dans une situation plus confortable que la Banque centrale américaine. Elle a pu continuer de baisser ses taux d'intérêt directeurs jusqu'en juin pour accompagner la baisse de l'inflation et le retour de l'inflation à proximité de la cible de 2%, apportant ce faisant un soutien à la croissance. Ensuite, avec la diminution, depuis l'été, des risques baissiers sur la croissance et toujours le maintien de l'inflation autour de la cible, la Banque Centrale Européenne a pu opter pour le statu quo monétaire. Et elle se retrouve de ce fait en bonne position, c'est-à-dire proche de la neutralité, alors que la Fed n'y est pas tout à fait.
00:12:07 – Emmanuel Laborde
Aujourd'hui, ce sera ma dernière question sur ce panorama de l'année, on est fin 2025, on a plusieurs cours qui peuvent devenir des indicateurs, les marchés américains qui sont très élevés, le CAC 40 qui est également sur des sommets, les marchés obligataires, on a également les prix de l'énergie et le cours de l'or, tout ça sont des indicateurs qui d'habitude nous permettent de mieux comprendre une situation et là on a l'impression qu'ils racontent tous un peu des histoires différentes, tu partages ce point de vue ?
00:12:33 - Hélène Baudchon
Le fait est qu'ils évoluent un peu en ordre dispersé, ils ne racontent pas la même histoire. Ça illustre, on va dire, assez bien la complexité et la diversité du monde actuel et des changements à l'œuvre. Donc on a d'un côté l'optimisme, à toute épreuve jusqu'à présent, des marchés actions, américains en particulier, qui ont fait preuve la plupart du temps quand même d'une capacité assez étonnante à voir le verre à moitié plein. Ceci étant, face à cet emballement grandit aussi le risque d'un décrochage. Du côté du marché du pétrole, je dirais que là aussi une forme d'optimisme a prévalu dans le sens où les tensions géopolitiques n'ont pas eu d'effet majeur. Le marché est resté drivé par ses fondamentaux, avec un excès d'offre qui a contribué à peser sur les prix. Du côté des marchés obligataires, en revanche, ils ont fait montre de plus d'attention vis-à-vis de la situation budgétaire détériorée d'un certain nombre de pays avancés. Alors après, cette vigilance est restée sélective, discriminée et contenue, mais le risque d'une pression plus forte à la hausse sur les taux longs est un vrai point d'attention. Et puis enfin, pour terminer, effectivement, les prix de l'or qui se sont envolés, qui ont atteint des sommets, c'est un signal clair, compréhensible, mais isolé d'aversion pour le risque.
00:13:44 – Emmanuel Laborde
On aura donc besoin des économistes pour décrypter l'avenir économique de 2026.
00:13:48 – Emmanuel Laborde
Merci beaucoup Hélène.