Edito

L'économie de la zone euro est en bien meilleure forme que le penchant des Européens pour l'autocritique ne le laisse croire

17/11/2025
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On ne peut que remarquer le manque d’intérêt que l'Europe a suscité lors des récentes réunions économiques et financières internationales comme si, aux yeux de beaucoup, « le moment européen », comme l'avait qualifié la présidente de la BCE, Christine Lagarde, au printemps dernier, était passé. Pendant ce temps, les médias européens se délectent de titres alarmistes sur les risques politiques, le marasme industriel sans fin et l'incapacité de l’Europe à mettre en œuvre des réformes susceptibles de préserver sa place dans un monde de plus en plus dominé par les États-Unis et la Chine. Pourtant, loin des feux de la rampe, les bonnes nouvelles se multiplient.

L'activité se renforce très largement

Les données économiques de la zone euro, publiées au cours des trois dernières semaines, ont généralement surpris de manière positive, et ce de manière croissante[1]. Les chiffres du PIB du troisième trimestre ont dépassé, pour la plupart, les prévisions du consensus. La croissance de la zone euro dans son ensemble a ainsi atteint 0,2 % en glissement trimestriel et 1,4 % en glissement annuel, tirée par une croissance du PIB français étonnamment forte de 0,5 % et la vigueur continue de celle de l’Espagne (+0,6 % en glissement trimestriel). Certes, les PIB de l'Allemagne et de l'Italie ont stagné mais certains signes indiquent que le contrecoup estival au sursaut du premier trimestre (causé par un bond des commandes en anticipation des tarifs douaniers américains) est passé. En effet, les données de septembre relatives à la production industrielle et aux immatriculations automobiles ont fait preuve de dynamisme au niveau régional et dans les trois plus grandes économies. De plus, selon l'enquête trimestrielle de la Commission européenne, le taux d’utilisation des capacités de production dans la zone euro s'est établi à 78,2 %, son plus haut niveau depuis 18 mois ; de même, les carnets de commandes ont atteint leur plus haut niveau depuis trois ans et demi.

Les exportations, y compris vers les États-Unis, ont fait preuve d'une résilience remarquable. Malgré un environnement difficile, caractérisé par une forte hausse des droits de douane américains et une pression concurrentielle accrue de la part de la Chine, tant en Europe que sur les marchés tiers, les exportations de la zone euro ont fortement rebondi en septembre (+4,7 % en glissement mensuel, la plus forte hausse mensuelle depuis la période Covid), inversant largement le recul observé entre avril et août. Les exportations globales de la zone continuent d'augmenter de manière tendancielle, le total cumulé sur 12 mois glissants atteignant un nouveau sommet.

Le quatrième trimestre a également démarré sur des bases solides, à en juger par les données d'enquête : d’après les indices PMI, les entreprises de la zone euro ont fait état d'une croissance plus rapide de leur production en octobre pour le cinquième mois consécutif, portant le taux global d'expansion à un rythme inédit depuis mai 2023. L'amélioration de la croissance du secteur des services, tirée par la demande intérieure, s'est accompagnée d'une nouvelle hausse de la production manufacturière. Celle-ci augmente pour le huitième mois consécutif, soit la meilleure période pour le secteur depuis la pandémie. Selon le compilateur des PMI, ces résultats « indiquent globalement une croissance du PIB de la zone euro de 0,3 % en rythme trimestriel », ce qui représenterait une accélération par rapport au troisième trimestre. Les secteurs qui ont connu les gains d'activité les plus importants, tels que les machines et les équipements, sont cohérents avec la hausse des dépenses d'investissement public en Allemagne (+30% comparé à 2024 à fin septembre).

Zone euro : tableaux indicateurs

En effet, les PMI allemands ont montré que la production avait augmenté le plus rapidement depuis mai 2023, les entreprises faisant état d'une amélioration des conditions de la demande intérieure. Les PMI français suggèrent, eux, une contraction plus forte en octobre, mais cela n'est pas confirmé par les données nationales, notamment les enquêtes d'activité de la Banque de France pour octobre et novembre. Celles-ci indiquent plutôt une accélération de l'activité supérieure aux prévisions dans les services et l'industrie manufacturière. Seul le secteur de la construction reste en contraction (contrairement à l'Allemagne, les PMI français n'ont pas été de bons indicateurs du PIB ces dernières années).

Par ailleurs, l'indice du climat économique (ESI) de la zone euro, compilé chaque mois par la Commission européenne, s'est considérablement amélioré pour le 5e mois consécutif, atteignant son plus haut niveau depuis 18 mois. Si l’amélioration se voit dans tous les secteurs, les données restent quelque peu en deçà de leur moyenne de long terme. Mais avec les indices d’incertitude de politique économique proches de leurs plus hauts niveaux historiques, et un ordre économique et géopolitique mondial en pleine mutation, le contraire serait surprenant. Il est encourageant de constater que l'enquête trimestrielle de l'ESI montre une très forte amélioration des carnets de commandes.

Indices PMI de la zone euro

Si la consommation reste globalement faible et les ventes au détail peu dynamiques, les indices PMI des biens de consommation affichent une nette tendance à l'amélioration. De plus, ceux des services aux consommateurs indiquent une expansion et les anticipations en matière de chômage, selon l’enquête de la Commission européenne (CE), se sont nettement améliorées en octobre.

Sentiment économique dans la zone euro

De même, l'estimation flash de l'indicateur de confiance des consommateurs de la CE a augmenté pour le deuxième mois consécutif, atteignant -14,2 points (+0,7 point de pourcentage) dans la zone euro. Cela l'a rapproché de sa moyenne à long terme et a mis fin à une tendance globalement stable depuis avril 2025. Par ailleurs, les bilans financiers des ménages sont très sains (taux d'épargne élevé, endettement faible) et devraient soutenir la consommation dès que leur moral s’améliorera. De plus, l'inflation devrait continuer à se modérer et même tomber sous les 2 % en 2026, tandis que l'indicateur prospectif des salaires de la BCE suggère une croissance des salaires supérieure à 2%. Cela contribuera à restaurer davantage le pouvoir d'achat perdu, ce qui est crucial car, selon notre analyse, pour la majorité des personnes dont le revenu principal est le salaire, le pouvoir d'achat n'a toujours pas rattrapé son niveau d'avant la flambée de l'inflation[2].

Le pragmatisme fait son apparition dans la machinerie réglementaire de l'UE

Alors que les entreprises – en Europe et aux États-Unis notamment – jugent souvent qu’une réglementation et une bureaucratie excessives freinent la croissance européenne freinent la croissance européenne, un vent nouveau souffle sur Bruxelles et les capitales de l'UE depuis la publication du rapport Draghi sur la compétitivité de l'Europe en septembre 2024.

Si, au départ, il s'agissait d'une brise à peine perceptible, celle-ci s'est renforcée ces derniers mois et de premiers résultats significatifs apparaissent dans toute une série de secteurs. On notera notamment que les engagements en matière d'émissions de carbone pour la COP 30 ont été ajustés de manière pragmatique, et que le déploiement du système élargi d'échange de quotas d'émission a été reporté de deux ans. La semaine dernière, le Parlement européen a approuvé des simplifications très importantes des règles en matière d’obligations de transparence d'informations climatiques et de « due diligence » en matière éthique, sociale et de gouvernance. Ces allègements seront bénéfiques à une grande partie de l'industrie européenne et appréciés en tant que tels.

Dans le secteur financier, par ailleurs, l'entrée en vigueur de règles qui auraient désavantagé les banques européennes par rapport à leurs homologues britanniques ou américaines, comme la revue fondamentale du trading book, est reportée. Par ailleurs, la commissaire européenne aux services financiers, Maria Luis Albuquerque, a reconnu la semaine dernière[3] qu' « il est temps de transformer la résilience en compétitivité, la prudence en progrès et la réglementation en incitation à la croissance » et a appelé à une « prise de risque intelligente » en Europe. L'annonce faite par la Commission d’une présentation, avant la fin de l'année, de ses plans visant à centraliser les éléments clés de la surveillance des marchés financiers a été tout aussi encourageante. Cela pourrait constituer un pas important vers une union de l'épargne et de l'investissement plus intégrée.

Dans d'autres domaines également, tels que la réglementation sur l'IA et la révision des règles en matière de fusions, la compétitivité et la souveraineté sont prises en compte. Enfin, la défense s'avère être un terrain d’expérimentation prometteur pour de nouveaux modes de coopération intergouvernementale sans participation unanime des 27. Cela devrait réjouir tous ceux qui désespéraient de voir l'esprit du rapport Draghi de 2024 adopté de manière décisive par les décideurs politiques européens.

L'Europe aussi adopte activement l'IA et d'autres technologies de pointe

Enfin, si l'Europe est parfois présentée comme irrémédiablement à la traîne derrière les États-Unis et la Chine en matière d'IA et d'autres technologies de pointe, la réalité est plus nuancée. Selon la Banque européenne d'investissement, la plupart des entreprises européennes utilisent les technologies numériques et sont tout aussi susceptibles de le faire que les entreprises américaines.

Dans le secteur manufacturier, les entreprises de l'UE sont même mieux placées en matière d'utilisation du big data, de l'IA (28 % des entreprises américaines contre 48 % des entreprises de l'UE) et d'automatisation grâce à la robotique (36 % des entreprises américaines contre 55 % des entreprises de l'UE). Dans le secteur des services et dans celui des infrastructures, c'est toutefois l'inverse.

Dans l'ensemble, environ 37 % des entreprises de l'UE utilisent l'intelligence artificielle générative, ce qui est comparable aux entreprises américaines[4]. Par habitant, l'Europe compte 30 % d'experts en IA de plus que les États-Unis parmi sa main-d'œuvre. Mais il est difficile de rivaliser avec le niveau d'investissement américain dans la propriété intellectuelle (6,8 % du PIB en 2024). Cependant, la Suède (7,3 %) et le Danemark (7 %) affichent un ratio plus élevé, tandis que le ratio de la France (5,2 %) est loin d'être négligeable. Cette dynamique se traduit sur le marché du travail : depuis la fin de 2019, qui marque le niveau pré-Covid, près d'un tiers des créations nettes d'emplois dans la zone euro (1,9 million sur 7 millions) se situent dans le secteur des hautes technologies[5].

***

Ainsi, un profond changement structurel est en cours au sein de l’Union européenne et la croissance se renforce dans un nombre croissant de secteurs et de pays. Bien sûr, comme toutes les autres grandes économies, l’UE est confrontée à des défis structurels, notamment démographiques et budgétaires, ainsi qu'à l'adaptation de son économie à l'IA et au changement climatique. Elle doit également rattraper son retard dans des domaines critiques tels que la défense, la souveraineté économique et la production de technologies de pointe. Sur tous ces fronts, il faut faire plus et plus vite. Mais l'Europe dispose des feuilles de route, des talents et des financements nécessaires pour réussir ; et elle souffre beaucoup moins que d'autres régions de déséquilibres manifestes ou de divisions sociétales profondes qui pourraient compromettre la pérennité de ces évolutions favorables. Il ne nous reste plus, à nous Européens, qu’à émuler le talent et le goût pour l’autocongratulation de nos cousins américains.


[1] Voir l'indice Citi Eurozone Economic Surprise Index.

[2] Voir « Le pouvoir d'achat des ménages est-il revenu à son niveau d'avant l'inflation ? Depuis lors, le rattrapage s'est amélioré de quelques décimales de points de pourcentage, sauf en Allemagne et au Japon.

[3]De la stabilité à l'ambition : le prochain chapitre pour les banques européennes.

[4] Voir l'enquête de la BEI sur les investissements 2025 : aperçu de l'Union européenne, octobre 2025.

[5] Voir notre prochain graphique de la semaine. « La création d'emplois dans les hautes technologies, moteur du marché du travail dans la zone euro ».

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