Le détail par pays confirme une dispersion notable (graphique 2, cf. les détails dans nos focus pays ). Ainsi, aux Pays-Bas, les défaillances d’entreprises sont inférieures de près de moitié à leur moyenne historique, tandis qu’elles la dépassent de près de moitié en Suède.
Phase ascendante et phase de stabilisation On distingue deux phases :
- Une première ascendante à partir de 2022. Elle a été rapide dans certains pays (i.e. Royaume-Uni et Suède) et a conduit le nombre des défaillances vers des plus hauts historiques. En France aussi elles atteignent de nouveaux sommets depuis la fin 2024. La hausse a été plus lente en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas, où le nombre de défaillances reste inférieur à la moyenne historique. L’augmentation concerne toujours l’Allemagne et l’Italie et, à un moindre degré, la France, mais à un rythme plus modéré. - Une deuxième phase de stabilisation dans un nombre croissant de pays (i.e. Suède, Belgique), voire de légère baisse au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Toutefois, ces améliorations apparaissent nettement plus modérées que celles observées après d’autres pics (après la crise de 2008 ou celle de la zone euro), ce qui suggère davantage une érosion qu’une franche décrue.
Lors de la période de hausse, l’accélération de l’inflation et le durcissement de la politique monétaire qui en a découlé ont pesé sur les entreprises. Leur activité a été affectée, notamment par une nette baisse de la demande et donc de la croissance, et par le renchérissement du coût des financements bancaires et de marché.
A contrario , l’assouplissement de la politique monétaire et son impact sur les taux d’emprunt des entreprises sont de plus en plus notables (graphique 3 ).
TAUX D’INTÉRÊT DES NOUVEAUX PRÊTS AUX SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES
Maintien des niveaux de marge Parallèlement, les entreprises sont pour la plupart parvenues à maintenir leurs niveaux de marge. Leur situation financière a ainsi été relativement préservée. De plus, dans la plupart des pays, nos prévisions de croissance pointent vers un rebond en 2026 ; ce point positif supplémentaire devrait se refléter dans les chiffres d’affaires.
Ces éléments se traduisent par de meilleures statistiques en matière de retards de paiement. C’est le cas au Royaume-Uni (-3,4 jours entre le pic au T2 2022 et le niveau moyen de 12,2 jours calculé au T2 2024) et, de façon moins marquée, aux Pays-Bas ou en Belgique (chiffres Altares). Cette amélioration dans les retards de paiement ne concerne toutefois pas tous les pays. On observe ainsi de légères hausses au cours des derniers trimestres (1 jour de plus environ) en Italie ou en Allemagne.
Ces données suggèrent que l’inflexion récente des défaillances d’entreprises pourrait se poursuivre. En outre, les hiérarchies observables sur le graphique 2 pourraient se maintenir et les niveaux de défaillances augmenter encore modérément en France, en Allemagne et en Italie.
Incidence relative des défaillances sur l’accès au crédit des entreprises L’analyse des portefeuilles de crédits bancaires permet néanmoins de relativiser l’incidence des défaillances sur l’économie, y compris sur l’accès au crédit des entreprises. L’encours des prêts non performants aux sociétés non financières (qui concernent les SNF en difficulté ou celles susceptibles de l’être, mais pas nécessairement défaillantes) a enregistré une augmentation modérée depuis son dernier point bas à EUR 173 mds au T1 2023 (EUR 184 mds au T4 2024 pour notre échantillon de pays).
Cette hausse apparaît encore plus modeste lorsque l’encours des créances douteuses est rapporté à celui des prêts performants. Ce dernier est, de surcroît, demeuré relativement stable durant la même période. Le ratio des créances douteuses[2] des entreprises a ainsi augmenté, depuis son point bas au T4 2022, de seulement 21 pb. Il s’établit à 3,41% au T4 2024, un niveau historiquement faible (graphique 4 ).
RATIO ET ENCOURS DES CRÉANCES DOUTEUSES DES ENTREPRISES
La hausse des créances douteuses a été tempérée par l’effacement de créances devenues irrécouvrables mais aussi, et surtout, par celles cédées ou titrisées malgré des volumes d’émissions réduits depuis la pandémie[3] . Finalement, plus de 85% des banques de la zone euro considèrent que, depuis 2022, leur ratio de créances douteuses ne les avait pas conduites à modifier leurs critères d’octroi de crédits aux entreprises[4] .
À l’échelle de la zone euro, la production nouvelle cumulée sur un an de crédits aux entreprises a augmenté de 16,5% entre décembre 2021 et décembre 2024, alors que le taux d’emprunt moyen, toutes maturités confondues, est passé de 1,24% à 4,24%. Cette bonne dynamique doit néanmoins être relativisée par le faible niveau des flux de financements en début de période. La mise en place de mécanismes de garantie des prêts, en réponse à la pandémie, avait permis à de nombreuses entreprises d’accéder à un crédit abondant et peu cher. Une partie d’entre elles avait, par ailleurs, levé des financements de marché à taux très faible quand les taux étaient bas.
La poursuite de la hausse du ratio des prêts détériorés aux entreprises (en phase 2 selon la terminologie d’IFRS 9[5] ) suggère que le ratio des créances douteuses, dont il est un indicateur avancé, pourrait croître. Les banques de la zone euro seraient néanmoins largement en capacité d’absorber une détérioration de la qualité de leurs portefeuilles.
Les revenus nets d’intérêts sont supérieurs à ceux qui prévalaient durant l’ère des taux bas, tandis que les coûts d’exploitation sont moindres du fait des stratégies de maîtrise des coûts et de la désinflation. Même dans le cas, peu probable, d’une hausse du coût du risque telle qu’il excèderait le résultat d’exploitation, les fonds propres CET1 sont très sensiblement supérieurs aux exigences règlementaires (16,0% en moyenne à l’échelle du système bancaire de l’UE depuis le T4 2023 pour des exigences combinées de 11,3%), notamment afin de respecter les exigences implicites de marché.
France : du mieux, mais une vigilance toujours de mise pour les services et les PME Les défaillances d’entreprises françaises ont atteint, en avril 2025, un niveau inédit depuis décembre 1991 (un peu plus de 67 000 en cumul annuel, graphique 5 ). Elles se sont toutefois stabilisées dans la construction et le commerce (qui totalisent un peu moins de la moitié des défaillances) et ont entamé un repli parmi les agences immobilières (-4% entre décembre 2024 et avril 2025). Dans la construction et l’immobilier, ces dynamiques s’accompagnent d’un rebond modéré de l’activité dans la construction neuve et des transactions dans l’ancien.
FRANCE : DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR SECTEUR (MILLIERS, SOMME SUR 12 MOIS)
Les défaillances dans le secteur des services continuent de battre des records, notamment dans les services aux entreprises et l’hôtellerie-restauration (avec des difficultés de trésorerie pour ce dernier secteur). Cela est probablement lié à un effet « démographique ». Les nouvelles entreprises dans les services représentent aujourd’hui 69% des créations (contre 59% en 2015). Une dynamique qui ne se tarit pas (+3,7% a/a en mai 2025).
Cet effet « démographique » joue sur le nombre de défaillances dans le secteur depuis 2019 où un premier rebond a pu être observé. Ce même effet contribue plus généralement à expliquer que les défaillances atteignent désormais des pics historiques.
Effet de la démographie des entreprises françaises L’effet de la démographie des entreprises est capté, dans une certaine mesure, par le poids économique relatif des défaillances d’entreprises[6] . Cet indicateur, calculé par la Banque de France, a atteint des niveaux historiquement élevés mais proches de sa moyenne de long terme.
En mai 2025, l’encours des crédits bancaires aux entreprises nouvellement défaillantes ne constituait que 0,52% de l’encours total des crédits aux entreprises (en difficulté ou non). Le poids des très petites entreprises (TPE) défaillantes a toutefois dépassé très sensiblement sa moyenne historique. Corrigé de l’effet de la défaillance d’une seule TPE (dont l’encours des crédits était très important au regard de son effectif), qui a fait bondir entre avril 2024 et mars 2025 le poids économique de l’ensemble des entreprises défaillantes, ce dernier semble s’approcher d’un plateau.
FRANCE : POIDS DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES* PAR TAILLE
Le remboursement des prêts garantis par l’État, généralement étalé sur 5 ans à partir de mars 2021, semble avoir contribué de façon limitée à la hausse du nombre de défaillances. Au 31 décembre 2024, 68% des EUR 135 mds octroyés avaient été remboursés. Le taux de défaut est proche de celui des prêts non garantis (autour de 4%), ce qui témoigne de l’absence de biais de sélection.
Incidence potentiellement significative sur l'emploi L’impact des défaillances sur l’emploi peut être potentiellement significatif (près de 256 000 emplois étaient menacés à fin 2024 selon Altares). Il tient notamment à la taille des entreprises défaillantes. Les défaillances d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de grandes entreprises ont légèrement diminué (63 sur les douze derniers mois en mai 2025 contre 69 un an auparavant) contrairement aux PME (+13% a/a).
Toutefois, une défaillance ne s’accompagne pas nécessairement d’une cessation d’activité, et une bonne partie des emplois peut être in fine préservée. De fait, si des destructions d’emplois sont observées en France depuis le T4 2024, elles restent modérées.
Le nombre des défaillances devrait se stabiliser dans les prochains mois. La baisse en cours des taux d’intérêt bancaires limite les risques à la hausse, même si le coût des financements de marché tend à se stabiliser à un niveau plus élevé qu’à l’époque des taux bas.
A contrario , avec une croissance autour de 1% par an depuis 2023 et au moins jusqu’en 2026 (comme cela fut le cas entre 2010 et 2015), les possibilités d’un repli marqué des défaillances seront réduites. Les retards de paiement constituent un autre obstacle à une diminution franche. Toutefois, s’ils ont augmenté pour atteindre près de 14 jours de retard moyen en décembre 2024 (selon Altares), leur stabilisation relative depuis lors est un signal positif.
Allemagne : une qualité de paiement qui reste au-dessus de la moyenne En Allemagne, les défaillances d’entreprises dépassent celles de 2019 mais restent au niveau historiquement faible observé durant la deuxième moitié des années 2010 (graphique 7 ). Une période de stagnation du PIB (fin 2021-fin 2024) a érodé la qualité habituelle des comportements de paiement (6,6 jours de retards de paiement moyens au T2 2024 selon Altares), mais celle-ci reste proche de ses standards historiques (6 jours).
ALLEMAGNE : DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR SECTEUR (MILLIERS, SOMMES SUR 12 MOIS)
Par rapport à leurs pics d’activité, les forts replis de la production manufacturière (-14% par rapport à fin 2017) et de la construction neuve (diminution de près de moitié des permis de construire par rapport à la mi-2022) ont entraîné une sous-utilisation prononcée des capacités de production.
Pour autant, les défaillances restent contenues. Les agences immobilières font exception avec des défaillances proches des niveaux observés en 2009, dans un contexte de repli de près de 15% des prix des logements anciens entre le T2 2022 et le T2 2024. Leur récent rebond (+3,5% a/a en mai 2025) s’accompagne désormais d’une relative stabilisation des défaillances.
Un niveau historiquement élevé Partant d’un niveau historiquement élevé (3,68% au T4 2024), supérieur à la moyenne de notre échantillon depuis le T3 2024, après une augmentation déjà sensible, le ratio des créances douteuses des entreprises pourrait poursuivre sa hausse. En effet, le ratio des prêts détériorés, qui en est un indicateur avancé, est passé de 18,2% au T4 2023 à 24,4% au T4 2024, des niveaux et une hausse parmi les plus élevés d’Europe. Le secteur manufacturier, dont le ratio des créances douteuses s’est déjà établi à 5,0% au T4 2024, pourrait être particulièrement affecté.
Toutefois, des signaux positifs font leur apparition : baisse récente des taux d’intérêt, soutien budgétaire aux entreprises (mesure de suramortissement de leurs investissements en équipements) et anticipation d’un rebond de l’activité. Autant d’éléments qui devraient permettre, à terme, d’infléchir la trajectoire des défaillances.
Royaume-Uni : le pire est-il véritablement passé ? Les défaillances d’entreprises ont battu des records au Royaume-Uni en 2023 et 2024 (graphique 8 ) sous l’effet d’une accélération de l’inflation et d’un resserrement monétaire plus importants qu’en zone euro. Dans ce contexte, les retards de paiement ont augmenté de 1,3 jour pour atteindre le niveau élevé de 15,6 jours au T2 2022 selon Altares.
ROYAUME-UNI : DÉFAILLANCES PAR SECTEUR (MILLIERS, SOMMES SUR 12 MOIS)
La poursuite de la décrue reste à confirmer La situation s’est améliorée depuis le T3 2024 avec un léger reflux du nombre de défaillances. En parallèle, les retards de paiement se sont repliés à 12,2 jours au T2 2024. L’enquête Cribis montre que le poids des retards importants (supérieurs à 90 jours) a nettement diminué, passant de 5,7% des paiements au T4 2022 à 2,9% au T4 2024.
Dans le même temps, l’inflation a reflué et la politique monétaire a été assouplie. L’amélioration dans ces deux domaines a toutefois été nettement plus graduelle qu’en zone euro. En cause : les effets de second tour de l’inflation sur les salaires dans un contexte de pénurie de main d’œuvre aggravée par le Brexit.
Nombre de secteurs ont vu leurs défaillances nettement dépasser les précédents pics, singulièrement dans le commerce et les services (services aux entreprises, hôtellerie-restauration, transports principalement). Si une première décrue a été observée dans ces secteurs, les derniers chiffres sont moins encourageants.
La poursuite de la décrue du nombre de défaillances reste donc à confirmer. Si la croissance a été au rendez-vous au T1 2025 (+0,7% t/t), les perspectives demeurent incertaines tant en matière de croissance que de taux d’intérêt.
En effet, le déficit public britannique est massif et le gouvernement est pris dans un conflit entre deux objectifs : consolider ou soutenir l’économie . L’augmentation de la dette publique a conduit les taux longs britanniques à la hausse , une situation qui, si elle se prolongeait, pourrait amoindrir la transmission de l’assouplissement monétaire aux agents non financiers britanniques.
Italie : La détérioration récente n’entame pas les progrès réalisés L’Italie a connu une augmentation très modérée du nombre de défaillances au cours des derniers trimestres (graphique 9 ) sur fond de remontée modérée des retards de paiement et de croissance atone. Toutefois, les niveaux actuels de défaillances sont bien plus modérés que par le passé.
ITALIE : DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR SECTEUR (INDICE BASE 100 = 2021)
Après la crise de la première moitié des années 2010, l’Italie a connu une longue période d’assainissement qui s’est accompagnée d’une réduction nette des défaillances d’entreprises. En parallèle, des progrès majeurs ont été effectués afin de réduire des retards de paiement parmi les plus élevés d’Europe historiquement (de 19,5 jours en moyenne au T1 2021 à 16,1 jours au T1 2023, selon Altares).
Baisse du ratio des créances douteuses sous les 4,0% Ces progrès se reflètent aussi dans le ratio des créances douteuses des entreprises. Partant d’un niveau sensiblement supérieur à la moyenne européenne, il a diminué depuis le T1 2019 jusqu’à se stabiliser sous les 4,0% depuis le T2 2023. Cette stabilité pourrait perdurer durant les prochains mois au regard de celle du ratio des prêts détériorés durant l’année 2024. Elle a également été rendue possible par le dynamisme relatif du marché secondaire des créances douteuses, malgré la fin en décembre 2022 de la garantie publique qui couvrait, sous certaines conditions, les créances douteuses lors de leur vente (GACS). L’encours des créances douteuses au bilan des banques s’est suffisamment replié en 2024 (-7,3%) pour compenser les effets de la baisse des prêts performants (-4,4%) sur le ratio.
Le pays aborde ces derniers mois sans déséquilibre majeur. La croissance du PIB faible de 2023-24 (récession industrielle) a entraîné un rebond modéré des défaillances. Cette remontée apparaît d’ores et déjà contenue dans les services, le commerce ou encore l’industrie. De plus, l’industrie italienne semble bien positionnée pour bénéficier de l’impulsion donnée par les plans de réarmement européens, et notamment le plan allemand, en raison de liens commerciaux étroits entre les deux pays. En revanche, la dynamique toujours haussière des défaillances dans la construction est un point d’attention.
Espagne : une détérioration relative au-delà du changement de méthodologie Les données espagnoles ne sont pas comparables de date à date. En effet, la nouvelle législation sur la restructuration préventive a entraîné une nette hausse des statistiques de défaillances en 2021 et 2022. Ce changement de méthodologie a généré davantage de procédures collectives, ce qui ne traduit pas une détérioration de la situation financière des entreprises espagnoles (graphique 10 ).
ESPAGNE : DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR SECTEUR (INDICE BASE 100 = 2021)
Sur le fond, l’Espagne (comme l’Italie, le Portugal ou la Grèce) se trouve dans une situation beaucoup plus favorable aujourd’hui que durant la décennie précédente, qui avait vu une crise immobilière profonde. Le secteur immobilier a été, depuis lors, assaini et n’a pas eu le temps de réaccumuler de nets déséquilibres.
L’Espagne se distingue ainsi de la moyenne européenne puisque le ratio des créances douteuses des entreprises a poursuivi sa baisse en 2024 (-47 pb). Il s’est même établi en fin d’année à un niveau inférieur (3,37%) à la moyenne européenne, alors qu’il y était historiquement supérieur. La poursuite, à un rythme prononcé, de la baisse de la part des prêts détériorés (7,6% au T4 2024) laisse présager une poursuite du repli du ratio des créances douteuses.
Les défaillances ont légèrement augmenté Par rapport à la fin 2022, où le plein effet de la réforme sur les statistiques pouvait s’observer, les défaillances ont toutefois légèrement augmenté. Les retards de paiement moyens ont davantage fluctué (autour de 15 jours) que connu de véritable tendance selon Altares. En revanche, les retards importants (plus de 90 jours) ont augmenté, passant à 4,6% des paiements fin 2024, selon l’enquête Cribis, contre 3,4% un an plus tôt. Ce chiffre atteignait 6,9% dans le commerce fin 2024, et contribue à expliquer la hausse plus marquée des défaillances dans ce