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France : Poids économique des défaillances d’entreprises, des niveaux élevés à relativiser

20/06/2024
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À l’instar de leur nombre, le poids économique des défaillances d’entreprises enregistre, depuis mars 2022, une augmentation d’une ampleur inédite, partant d’un plancher historiquement bas en 2021. Ce ratio rapporte l’encours des crédits bancaires aux entreprises nouvellement défaillantes[1] à l’encours total des crédits aux entreprises (en difficulté ou non). Ces évolutions procèdent principalement de la poursuite du rattrapage des défaillances d’entreprises. Ce dernier concernerait des entreprises plus fragiles dont la défaillance serait déjà intervenue en l’absence des mesures économiques et sanitaires mises en place en réponse à la pandémie de COVID-19. Le remboursement des Prêts garantis par l’État (PGE) ne semble, en revanche, pas peser de manière excessive sur la situation financière de la majorité des entreprises en ayant bénéficié. Par ailleurs, le nombre d’entreprises créées a fortement augmenté entre 2016 et 2021, ce qui contribue également à expliquer la hausse du nombre de défaillances. L‘analyse du poids économique de ces dernières offre une grille de lecture plus pertinente que celle issue de la simple observation de leur nombre (notamment lorsque les entreprises défaillantes sont distinguées selon leur taille) car il rend mieux compte de leur impact sur les banques. En tout état de cause, les banques françaises apparaissent largement en position d’absorber cette augmentation de leur coût du risque, principalement imputable aux petites entreprises. En effet, leurs revenus nets d’intérêts devraient profiter de l’assouplissement de la politique monétaire et de la baisse des taux à court terme. Enfin, leurs fonds propres excèdent amplement les exigences et recommandations prudentielles.

POIDS ÉCONOMIQUE DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES* PAR TAILLE

L’ampleur inédite de l’augmentation du poids économique des défaillances d’entreprises procède notamment d’un phénomène de rattrapage

L’encours des crédits bancaires mobilisés par les entreprises défaillantes, le mois au cours duquel le Tribunal de commerce ordonne l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, représente depuis mars 2022 une proportion croissante de l’encours total des crédits bancaires mobilisés par l’ensemble des entreprises, qu’elles soient, ou non, en difficulté (cf. graphique 1). Partant d’un plancher historique proche de 0,2% en cumul annuel[2] entre avril 2021 et mars 2022, ce poids économique des unités légales placées en redressement ou en liquidation judiciaire, s’établissait en cumul annuel à 0,57%[3] en mai 2024, dépassant son pic historique d’août 2009 (0,56%). Il se situe ainsi depuis février 2024 à un niveau supérieur à sa moyenne 2010-2019 (0,45%). Tandis que les observations depuis mi-2023 laissaient entrevoir un début de stabilisation du poids économique des défaillances, celles d’avril et de mai 2024 ont contrarié cette perspective.

À l’instar de l’ampleur de l’augmentation du nombre de défaillances d’entreprises (cf. infra), celle de leur poids économique est inédite (+38 points de base entre novembre 2021 et mai 2024 contre +17 bp au maximum lors du choc de 2008-2009). Elle s’explique, notamment, par un effet de « rattrapage du retard de défaillances »[4]. La réouverture – physique – des Tribunaux de commerce après le premier confinement (17 mars 2020 – 11 mai 2020) a permis le traitement progressif des dossiers d’entreprises en difficulté qui s’étaient accumulés durant cette période. En dépit de la mise en place de procédures dématérialisées, seules 1 394 défaillances avaient été enregistrées en avril 2020, un plancher historique depuis 1990, la moyenne mensuelle s’établissant à 4 903 entre 2010 et 2019. Par ailleurs, la levée progressive des mesures d’assouplissement du droit des entreprises en difficulté[5], dont certaines avaient été prolongées jusqu’en décembre 2021, a contribué à accroître temporairement la caractérisation des entreprises défaillantes. Plus généralement, l’arrivée à expiration des reports d’échéances sociales et fiscales, du dispositif de chômage partiel ou encore des remises d’impôts, parmi d’autres mesures publiques, a également contribué à l’accroissement du nombre de défaillances après l’avoir opportunément, mais aussi artificiellement, réduit[6].

Le remboursement des PGE ne contribue généralement pas à la détérioration de la situation des entreprises

Entre mars 2020 et mars 2021, les banques ont accordé EUR 135 mds de Prêts garantis par l’Etat, soit 57% de l’encours des crédits de trésorerie aux sociétés non-financières (SNF) en février 2020. Le début du remboursement des PGE, principalement à partir du deuxième trimestre 2021, ne semble pas avoir contribué de manière significative à l’augmentation du nombre de défaillances. En effet, les dirigeants de TPE-PME ayant bénéficié d’au moins un PGE sont seulement 4% à juger qu’ils ne seront pas en mesure de le(s) rembourser, trois années après leur mise en place[7]. Les rapporteurs de la Cour des comptes[8] estimaient ainsi, en décembre 2021, la probabilité de défaut des PGE entre 3,1% et 4,2%. À cette même date, le ratio des prêts non-performants des sociétés non financières[9] s’établissait à 3,5% (et à 3,6% au quatrième trimestre 2023).

Le faible écart entre le taux de défaut des crédits « classiques » et celui des PGE s’explique notamment par l’exclusion du dispositif des entreprises déjà en difficulté avant la crise sanitaire. Les banques ont, en outre, appliqué leurs critères habituels d’octroi de crédits[10]malgré un faible taux de refus (2,9%[11]). Certaines entreprises en situation financière saine ont adopté un comportement opportuniste afin de constituer une réserve de trésorerie puisque les PGE étaient accordés à prix coûtant, avec une maturité s’étalant jusqu’à 5 ans et un moratoire sur les remboursements d’un an. Ainsi, 35% des entreprises ayant obtenu un PGE n’en avaient pas « consommé » la moitié au quatrième trimestre 2023. Fin novembre 2023, 52% des montants décaissés avaient été remboursés[12]. Le remboursement des PGE a toutefois contribué à la stabilisation de l’encours des crédits mobilisés par les SNF qui s’établissait en avril 2024 au même niveau qu’en novembre 2023 (EUR 1 358 mds) après quatre mois de repli. Mesuré en ratio, l’augmentation du poids économique des défaillances d’entreprises résulte ainsi, dans une modeste mesure, de la stabilisation du dénominateur constitué de l’encours des crédits aux SNF. La trésorerie des entreprises apparaît toujours suffisante, en moyenne, tandis que l’accès aux lignes de trésorerie accordées par les banques demeure relativement aisé en 2024[13].

Défaillances d’entreprises : leur poids économique pourrait s’accroître en même temps que leur nombre

DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR TAILLE (CUMULÉES SUR 12 MOIS)

Le nombre de défaillances d’entreprises dépasse depuis avril 2024 (60 159, en cumul annuel, puis 60 210 en mai[14]) sa moyenne annuelle 2010-2019 (59 342, cf. graphique 2).

Les défaillances n’étaient plus que 27 222 lors du creux historique d’octobre 2021. La Banque de France estime ainsi qu’environ 50 000 défaillances auraient « manqué à l’appel » entre 2020 et 2023. Dans cette perspective, le rattrapage du retard de défaillances d’entreprises qui, sans être défaillantes avant la pandémie de COVID-19, étaient vulnérables et auraient fini par rencontrer des difficultés en l’absence de mesures de soutien, apparaissait encore incomplet en mai 2024.

Il suppose en effet des chiffres supérieurs à la moyenne avant un retour vers cette dernière. La poursuite du rattrapage du nombre de défaillances pourrait, malgré une corrélation imparfaite, entrainer une hausse de leur poids économique.

CRÉATIONS ET DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES (CUMULÉES SUR 12 MOIS)

Une poursuite de l’augmentation du nombre de défaillances est très probable. D’une part, certaines entreprises, déjà vulnérables, auraient été défaillantes sans les mesures publiques, sanitaires et économiques, mises en place en réponse à la pandémie de COVID-19.

D’autre part, au lendemain de la pandémie, la guerre en Ukraine a détérioré la situation d’un certain nombre d’entreprises.

Toutes ont ainsi subi, à des degrés divers, l’augmentation du prix des intrants, largement en lien la composante énergie qui a joué un rôle considérable dans l'inflation (au-delà de l'inflation sous-jacente) ainsi que le rétrécissement des goulets d’étranglement.

Plus généralement, elles ont subi le choc inflationniste qui de transitoire lors du reflux de la crise sanitaire est devenu plus durable avec la guerre en Ukraine.

Enfin, le nombre d’entreprises créées, et donc de défaillances potentielles ultérieures, a fortement augmenté depuis 2016 (cf. graphique 3). Entre 2010 et 2015, 581 857 entreprises étaient créées en moyenne chaque année contre 947 092 entre 2018 et 2023, soit une augmentation de 63%. En posant l’hypothèse que le taux de défaillance demeure constant, un plus grand nombre de défaillances n’est donc pas nécessairement le signe d’un taux de sinistralité plus élevé.

Les petites entreprises ont largement contribué à la hausse du poids économique des défaillances

Le poids économique des défaillances de petites entreprises (PE) est, de loin, le plus élevé parmi les différentes tailles d’entreprises, à l’exception du chiffre exceptionnellement élevé d’avril 2024 pour les très petites entreprises. En mai 2024, il s’établissait à 1,56% pour les PE après avoir légèrement baissé en février et mars 2024, limitant son augmentation sur un an à 17 points de base, atteignant le même niveau qu’en octobre 2023 et en septembre 2011. Il pourrait ainsi se maintenir en deçà du pic historique (1,81%) atteint en mai 2009. Une augmentation du poids économique des défaillances de PE plus importante que celle des autres tailles d’entreprises semble être une régularité historique.

À l’inverse, le poids économique des défaillances de grandes entreprises et de taille intermédiaire (GE-ETI) a peu contribué à l’évolution générale. Il a sensiblement progressé depuis un plancher historique (0,16% en mai 2024 contre 0,02% en avril 2022, pour une moyenne 2010-2019 de 0,12%) mais demeure structurellement très en deçà du poids économique des défaillances d‘entreprises appréhendées dans leur ensemble. Cette progression, somme toute modeste, contraste avec celle, plus substantielle, du nombre de défaillances cumulées sur 12 mois de GE-ETI. Leur rythme d’augmentation s’élevait encore à +47% en mai 2024, après avoir culminé à +279% en juin 2023. Les nouvelles GE-ETI défaillantes sont donc moins grandes et/ou ont des encours de crédits moins élevés que la moyenne des GE-ETI entrées en défaillance par le passé[15]. L’ampleur de la hausse du nombre de défaillances de GE-ETI doit enfin et surtout être appréciée au regard de la faiblesse de leur nombre absolu, ce qui décuple l’effet marginal de chaque défaillance (63 en cumul annuel en mai 2024 contre 12 lors du dernier creux en avril 2022 et 33 en moyenne entre 2010 et 2019). Le point de départ étant très faible, le poids économique des GE-ETI nouvellement défaillantes peut être très différent de celui des GE-ETI entrées en défaillance par le passé. Les écarts entre les statistiques liées aux nouvelles défaillances et celles liées aux anciennes sont susceptibles d’être beaucoup plus importants que pour l’ensemble des entreprises, qui font l’objet d’une plus grande régularité statistique en raison d’un nombre de défaillances bien plus important. Finalement, il aurait été intéressant de calculer la contribution de chaque taille d’entreprises au total du poids économique des défaillances, si des données avec un niveau de désagrégation suffisant étaient disponibles.

Conclusion

La poursuite du rattrapage du retard des défaillances (temporairement évitées par la mise en place des mesures de soutien public en réponse à la pandémie de COVID-19) et la forte augmentation des créations d’entreprises entre 2016 et 2021 contribuent à expliquer la hausse record des défaillances d’entreprises et du poids économique de celles-ci. Nos prévisions de croissance pour l’économie française (0,7% en 2024 après 0,9% en 2023) suggèrent que ces défaillances pourraient atteindre de nouveaux niveaux inédits. Ces derniers devraient être relativisés par la hausse de la population des entreprises. Au demeurant, le rythme des défaillances, dont le glissement annuel est passé d’un pic de 53% en janvier 2023 à 25% en mai 2024, est appelé à baisser, à l’instar de leur poids économique. La baisse des taux, que la BCE vient juste d’entamer le 6 juin 2024, contribuera également à alléger les charges financières des entreprises, principalement endettées à taux variable et plus encore sur la partie « crédits bancaires ». Cette normalisation progressive des défaillances limitera la hausse du coût du risque des banques françaises. La détérioration de la solvabilité moyenne des ménages liée au contenu en emplois modéré des défaillances et aux prêts à l’habitat octroyés quasi-exclusivement à taux fixe devrait, en l’état, n’avoir qu’un effet limité sur les ratios des prêts non-performants, lesquels devraient se maintenir à des niveaux faibles.


[1] Les procédures collectives recensées par l’INSEE s’appliquent à des entreprises défaillantes (en état de cessation des paiements) et seulement à elles. Le législateur définit la cessation des paiements comme l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible (article L.631-1 du Code de Commerce). Le redressement et la liquidation judiciaires sont deux mesures de remédiation qui s’opposent aux procédures de sauvegarde, introduites depuis 2005. Les procédures de sauvegarde s’appliquent de manière préventive aux entreprises en difficulté, mais pas encore défaillantes et jamais aux entreprises en état de cessation des paiements. Elles constituent le troisième type de procédures collectives et ne sont pas comptabilisées statistiquement par l’INSEE qui ne retient que les redressements et les liquidations judiciaires. Il existe également un décalage temporel entre la défaillance proprement dite et le jugement d’ouverture d’une procédure collective. L’INSEE retient ainsi la date de jugement pour dénombrer les défaillances. La Banque de France les dénombre par unités légales car les procédures judiciaires sont généralement ouvertes à ce niveau. Les entreprises, telles que définies par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (loi LME), constituent la plus petite combinaison possible d’unités légales.

[2] Revient à sommer sur une année l’encours des crédits bancaires aux entreprises nouvellement défaillantes, le mois au cours duquel le Tribunal de commerce ordonne l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et à le rapporter à l’encours moyen des crédits bancaires aux entreprises saines et défaillantes durant cette même période.

[3] Selon la Banque de France, l’ampleur de la hausse du mois d’avril 2024 s’explique largement par la défaillance d’une seule TPE qui a conduit le poids économique des TPE défaillantes à atteindre 1,56% contre 0,85% sans.

[4] Banque de France, 2024, Les défaillances d’entreprises – France, mai 2024.

[5] Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale et Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de COVID-19.

[6] Et très probablement évité que les difficultés transitoires de certaines entreprises ne deviennent pérennes et n’accroissent le nombre de défaillances.

[7] Voir notamment, Bpifrance – LeLAB, 2024, 78ème enquête de conjoncture PME, janvier.

[8] Cour des comptes, 2022, Les prêts garantis par l’État – Une réponse efficace à la crise, un suivi nécessaire, Rapport public thématique, Évaluations de politiques publiques, juillet.

[9] Dont le périmètre est plus restreint que celui de l’ensemble des entreprises.

[10] Nicolas et al., 2023, Public-guaranteed loans, bank risk-taking and regulatory capital windfall, Débats économiques et financiers n°41, ACPR.

[11] Cour des comptes, 2022, Les prêts garantis par l’État – Une réponse efficace à la crise, un suivi nécessaire, Rapport public thématique, Évaluations de politiques publiques, juillet.

[12] Banque de France, 2024, La médiation du crédit – Une vigilance renforcée, CCI Ile de France, 8 février

[13] Voir notamment, Banque de France, 2024, Accès des entreprises au crédit 2024T1, Stat info.

[14] Données provisoires.

[15] En juillet 2023, aucune défaillance de grande entreprise n’avait été enregistrée sur un an (cf. Gonzalez, O., 2023, Quel est l’impact économique des défaillances d’entreprises ?, Bulletin de la Banque de France, 248/6 – Septembre-Octobre).

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE