Depuis le début de l’année 2024, les autorités nigérianes ont accéléré la mise en œuvre des réformes qui visent à endiguer la détérioration des comptes extérieurs et retrouver la stabilité macroéconomique. Avec l’assouplissement du régime de change et le relèvement des taux d’intérêt, la banque centrale a envoyé un signal fort aux investisseurs étrangers. Cependant, il faudra du temps et la mise en œuvre d’importantes réformes structurelles pour que les entrées de capitaux décollent significativement et durablement. En parallèle, la consolidation budgétaire est compliquée par un choc inflationniste sans précédent et son impact sur la croissance économique. Le coût élevé de la mise en œuvre des réformes pourrait contraindre le gouvernement à faire marche arrière.
Assouplissement du régime de change
Depuis 2015, les comptes extérieurs du Nigéria se sont détériorés en raison de la baisse tendancielle de la production pétrolière ainsi que des chocs négatifs sur les prix. Confrontée à cette situation, la Banque centrale du Nigéria (BCN) a œuvré pour maintenir la stabilité du taux de change, afin de limiter l’inflation via la hausse du prix des importations. Toutefois, le maintien du taux de change à un niveau artificiellement surévalué s’est fait au détriment de deux éléments. D’une part, pour soutenir le naira, la banque centrale a puisé dans les réserves de change, qui n’ont pas cessé de décliner depuis 2019 (à l’exception d’un bref rebond mi-2021 dû à une émission euro-obligataire et l’octroi des droits de tirage spéciaux du FMI). D’autre part, la BCN a dû introduire à plusieurs reprises des contrôles de capitaux pour rationner l’accès aux devises, créant des distorsions sur le marché officiel des changes qui ont découragé les entrées de capitaux étrangers, déjà historiquement faibles.
Prenant acte de cette situation intenable, les autorités arrivées au pouvoir en mai 2023 ont immédiatement rompu avec leurs prédécesseurs en entamant une réforme en profondeur du régime de change, avec l’objectif de revenir, à terme, à un taux de change déterminé par les forces du marché. Dans un premier temps, elles ont procédé à une dévaluation sans précédent du naira, dans le but de refermer l’écart entre le taux de change officiel et le taux qui prévalait en mai 2023 sur le marché parallèle. Cependant, en l’absence de mesures complémentaires, l’écart avec le taux officiel s’est de nouveau creusé jusqu’à atteindre 37% en octobre 2023.
Les autorités ont dû accélérer les réformes visant à éliminer les multiples distorsions sur le marché des changes. En octobre 2023, la BCN a abrogé un interdit vieux de huit ans qui proscrivait l’accès aux devises pour l’importation de 43 catégories de biens. En février 2024, elle a mis un terme au plafonnement des taux de change sur les transactions interbancaires ainsi que sur les opérations internationales de transfert d’argent. En parallèle, elle a également amélioré la transparence du marché officiel en rendant publique la méthodologie utilisée pour le calcul du taux de change au jour le jour.
Combinée à une nouvelle dévaluation en janvier 2024, cette vague de réformes semble avoir porté ses fruits : depuis février dernier, l’écart entre les taux de change officiel et parallèle s’est refermé. Toutefois, des contrôles de capitaux persistent. Afin d’attirer les capitaux étrangers malgré cela, la BCN compte sur le retour à une politique économique plus orthodoxe.
Vers un retour à l’orthodoxie monétaire
La BCN a longtemps poursuivi des objectifs qui entraient en contradiction avec son mandat de lutter contre l’inflation, notamment à cause de la monétisation fréquente du déficit budgétaire.
Pour redonner confiance en la politique monétaire, il était donc crucial pour les nouvelles autorités de signaler un changement de cap. La BCN, avec un nouveau gouverneur à sa tête, a interrompu le financement du déficit budgétaire au S2 2023 et rappelé la règle longtemps enfreinte selon laquelle toute nouvelle avance contractée par le gouvernement auprès de la BCN devrait être remboursée sous trois mois. En parallèle, le gouvernement s’est acquitté de la moitié des avances qui avaient été contractées au S1 2023, et compte rembourser les NGN 4 000 mds restants (1,7% de PIB) dans les prochains mois. Avec la réduction de ce fardeau, la BCN a pu agir plus librement pour lutter contre l’inflation, bien que tardivement. Entre février et fin-mai 2024, le taux directeur a été relevé de 750 points de base, pour être porté à 26,25%. À ce niveau, le taux d’intérêt réel ex ante est maintenant estimé être légèrement positif, car il est attendu que l’inflation recule au S2 2024. D’autres hausses de taux directeur ne sont pas à exclure. En outre, la BCN a également repris les opérations d’Open Market visant à absorber la liquidité excessive des banques.
En redonnant la priorité à la lutte contre l’inflation et en réformant le marché des changes, la BCN a envoyé un signal fort aux investisseurs. En conséquence, selon les données du Bureau national des statistiques, les entrées nettes de capitaux étrangers ont bondi à USD 3,4 mds au T1 2024 (contre USD 1,1 md au trimestre précédent). Principalement portées par les entrées nettes d’investissements de portefeuille (61% du total des entrées nettes de capitaux), elles ont ainsi atteint un niveau inédit depuis le T1 2020. Cela a aidé la BCN à apurer ses arriérés sur le marché des changes, qui s’élevaient depuis plusieurs mois à USD 7 mds. En outre, le taux de change s’est apprécié en mars et en avril, pour la première fois en plus d’un an. Cependant, l’éclaircie n’a pas duré. Le naira s’est de nouveau déprécié en mai, et devrait rester très volatil dans les prochains mois. Surtout, les réserves de change restent à un niveau historiquement bas et alarmant. Selon la BCN, après une période de volatilité en avril-mai, elles atteignaient USD 34 mds fin juin, soit le même montant qu’un an plus tôt. Toutefois, selon le FMI, près d’un quart de ces actifs seraient illiquides. Pour attirer des capitaux de manière durable et retrouver un niveau confortable de liquidité extérieure, les autorités devront maintenir leur nouveau policy mix sur le long terme et introduire d’importantes réformes structurelles. Or, les difficultés s’accumulent, tant la consolidation budgétaire est difficile à poursuivre et le choc inflationniste sans précédent.
Consolidation budgétaire de plus en plus difficile
Avec des recettes budgétaires inférieures à 10% du PIB, et dont 40% en moyenne proviennent du pétrole, les finances publiques sont très fragiles. De surcroit, dans un contexte de cours élevés du pétrole, les subventions aux carburants étaient devenues de plus en plus coûteuses, absorbant 24% des recettes budgétaires en 2022.
Le nouveau gouvernement a donc hérité d’une situation très fragile du côté des finances publiques également, et s’est fixé l’objectif de la consolidation budgétaire. En 2023, le déficit s’est contracté à 4,8% de PIB, contre 6,7% en 2022. Les recettes non-pétrolières ont augmenté de 1 point de pourcentage de PIB, grâce à l’amélioration de la collecte fiscale. Le gouvernement a également modéré ses dépenses. Toutefois, et malgré l’annonce choc, en mai 2023, de la fin des subventions aux carburants, celles-ci ont été réintroduites de façon implicite par la dévaluation du naira, dont l’impact s’est répercuté sur les consommateurs ainsi que sur l’État. En effet, si les prix à la pompe ont été relevés pour les consommateurs (ils ont augmenté de 129% en juin 2023 puis ont été relativement stables jusqu’en avril 2024), l’État a dans le même temps continué de vendre du carburant sur le marché local à un prix nettement inférieur au coût de ses importations de pétrole raffiné. En conséquence, les subventions indirectes sur le carburant représentaient encore 0,8% du PIB en 2023, et devraient grimper à 2,8% du PIB en 2024, compte tenu de la dévaluation de janvier dernier. À l’heure actuelle, le gouvernement ne prévoit pas de relever à nouveau le prix domestique du carburant, car l’impact d’une telle mesure serait accablant pour une économie déjà étouffée par un taux d’inflation record. Pour soutenir les ménages, le gouvernement prévoit d’accroitre les prestations sociales, dont certaines avaient été suspendues en 2023 à cause de scandales de détournements de fonds. Dans l’ensemble, la poursuite de la consolidation budgétaire s’avère donc difficile en 2024, et le déficit devrait rester proche de son niveau de 2023. Compte tenu d’un climat social fragile, le risque de dérapage budgétaire est élevé.
En outre, la hausse drastique des taux d’intérêt domestiques devrait peser fortement sur le paiement des intérêts de la dette publique qui absorbait déjà 35% des recettes budgétaires en 2023. Note positive, grâce aux réformes, le soutien accru des bailleurs multilatéraux avec des prêts à taux concessionnels devrait atténuer quelque peu la dynamique de hausse de la charge d’intérêt sur la dette publique. Par ailleurs, la dette reste encore modérée à 46% du PIB en 2023.
Inflation galopante et croissance en berne
La hausse des prix des carburants et la dépréciation du naira (de 71% entre mai 2023, avant la première dévaluation, et mi-juin 2024) ont plongé le Nigéria dans une profonde crise économique. Le pays est importateur net de produits alimentaires et ceux-ci constituent 51% du panier de l’indice des prix à la consommation. L’inflation atteignait 34% en glissement annuel en mai 2024, un niveau inédit depuis 1996. Ces derniers mois, les manifestations se sont multipliées à travers le pays, notamment contre la hausse du prix de l’électricité imposée par le gouvernement, et pour la revalorisation du salaire minimum. Alors que la croissance économique devrait accélérer à 3,3% en 2024 grâce au rebond de la production pétrolière, l’activité hors hydrocarbures pourrait être affectée par le ralentissement de la demande et la montée des troubles à l’ordre public.
La crise actuelle vient s’ajouter à des années de quasi-stagnation économique. Entre 2015 et 2023, le PIB du Nigéria a enregistré une croissance annuelle moyenne de 1,5%, bien inférieure au taux de croissance de la population (2,6%). En 2023, le taux de pauvreté atteignait 46% de la population, et selon les Nations Unies, plus de 26 millions de Nigérians seraient exposés à l’insécurité alimentaire en 2024. Ce contexte social pourrait contraindre les autorités à revenir sur certaines de leurs récentes réformes de policy mix.
Par ailleurs, de nombreuses réformes de fond restent à mettre en œuvre, par exemple pour améliorer les infrastructures dans le secteur de l’énergie et renforcer les aides au secteur agricole – ce qui permettrait d’accompagner la BCN dans sa lutte contre les pressions inflationnistes par des mesures du côté de l’offre.
Achevé de rédiger le 01/07/2024.