Eco Emerging

Économies émergentes : les ressorts de la confiance

12/07/2024
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Depuis le début de l’année, la croissance des pays émergents résiste toujours très bien. Elle se reflète dans la confiance des entreprises et des ménages mais également dans celle des investisseurs étrangers sur les places obligataires et boursières. Le durcissement monétaire américain du début 2022 jusqu’à la mi-2023 a pourtant eu un impact négatif important sur les flux d’investissement de portefeuille. Mais cet impact a été largement compensé par l’attrait que constituent les places émergentes pour les investisseurs, privés comme institutionnels, soit pour des considérations purement financières (carry trade) ou par souci de stratégie de diversification. L’assouplissement monétaire à venir aux États-Unis devrait permettre, par ce biais, une détente des rendements obligataires locaux et, ce faisant, contenir la hausse quasi-générale des charges d’intérêts sur la dette publique observée au cours des dernières années.

FLUX ENTRANTS D’INVESTISSEMENTS DE PORTEFEUILLE DES NON-RESIDENTS VERS LES PRINCIPAUX MARCHÉS ÉMERGENTS HORS CHINE (MDS USD)

Depuis le début de l’année, la croissance dans le monde émergent résiste toujours très bien, voire se renforce dans plusieurs pays. Au T1 2024, le PIB agrégé de notre échantillon de 26 pays a continué de progresser sur un rythme légèrement supérieur à 1% t/t pour le troisième trimestre consécutif. Sur un an, la hausse ressort à 4,7%. Hors Chine, le constat est identique. Mais, contrairement à la Chine, les principales économies émergentes n’ont pas bénéficié, ou du moins dans une moindre mesure, du redressement des exportations.

Qu’elle soit un facteur explicatif en tant que tel ou le miroir d’autres facteurs, la confiance des entreprises, des investisseurs et, dans une moindre mesure, des ménages s’est améliorée, ce qui a contribué au dynamisme de la demande intérieure et limité l’effet du durcissement monétaire américain et des politiques monétaires locales sur les taux d’intérêt domestiques.

Confiance retrouvée des ménages, des entreprises et des investisseurs financiers étrangers

Au cours du T2, les indices PMI se sont consolidés ou sont restés nettement au-dessus de 50, seuil au-delà duquel l’activité manufacturière est a priori en expansion. Seule l’Afrique du Sud fait exception avec une stagnation de ce baromètre.

Les indices de confiance des ménages offrent un tableau plus contrasté ; une franche amélioration jusqu’aux derniers mois connus pour les pays d’Europe centrale, et, dans la majorité des cas, un plafonnement depuis la fin 2023 après un net redressement en 2022-2023, en ligne avec i/ le ralentissement de l’inflation souvent couplé avec un assouplissement des politiques monétaires, ii/ le rattrapage salarial et iii/ la progression de l’emploi. En revanche, en Chine, le moral des ménages est resté en berne depuis le début de la crise immobilière dont les séquelles sont toujours présentes (cf. infra). En Argentine, la confiance des ménages plonge depuis le début de l’année en raison de la thérapie de choc infligée par J.Milei à sa population pour tenter de juguler l’hyper-inflation (cf. infra). En Afrique du Sud, elle stagne en dessous de la ligne de flottaison sur fond de quasi-récession. Enfin, en Turquie, le moral des ménages est dans une situation intermédiaire avec une tendance à l’amélioration depuis 2022 mais à un niveau encore historiquement faible et surtout un profil très erratique.

La confiance des investisseurs étrangers sur les places boursière et obligataire se maintient et a fait preuve d’une étonnante résistance/capacité de rebond aux chocs réels ou financiers extérieurs au cours des quatre dernières années. Ce fut également le cas au cours des six derniers mois malgré l’intensification des risques géopolitiques et la révision par les marchés financiers du timing et de l’ampleur de l’assouplissement monétaire américain.

D’après les données de balance de paiements, les flux nets entrants d’investissements de portefeuille des non-résidents (en titres de dette et en actions) sur les principales places émergentes (cf graphique 1) ont atteint USD 179 mds de novembre 2023 à mai 2024 (USD 95 mds hors Chine) et USD 277 mds depuis le premier relèvement du taux directeur de la Réserve fédérale américaine (FED) en mars 2022 (USD 338 mds Chine exclue). Or, le durcissement monétaire américain a été particulièrement marqué (+525 points de base entre le 17/03/2022 et le 27/07/2023).

Les places financières émergentes seraient-elle devenues moins sensibles au durcissement monétaire venant d’outre-Atlantique ?

Politique monétaire aux États-Unis et investissements de portefeuille dans les pays émergents : un lien de causalité toujours très fort

RÉSIDUS D’ESTIMATION DES ÉQUATIONS DE FLUX D’INVESTISSEMENTS DE PORTEFEUILLE DES NON RÉSIDENTS VERS LES PRINCIPAUX MARCHÉS ÉMERGENTS HORS CHINE (EN ÉCART-TYPES DES FLUX D’INVESTISSEMENTS)

D’après le FMI, une hausse de 100 points de base des rendements obligataires à long terme US entraîne une hausse équivalente des taux d’intérêt domestiques des pays émergents au bout de 2 ans[1]. On peut donc supposer que le durcissement monétaire américain a eu un effet d’entrainement important sur les flux d’investissements de portefeuille en titres de dette de la part des investisseurs non-résidents (ce que l’on appelle communément le flight to quality). Mais cet impact négatif a visiblement été plus que compensé par d’autres facteurs.

Pour vérifier ces suppositions, nous avons modélisé et simulé les flux entrants (nets) d’investissements en titres de dette des non-résidents à partir d’une équation linéaire simple, estimée sur un panel de 16 pays observés sur la période T1 2012-T4 2019, avec comme variable dépendante les flux d’investissements (en % du PIB) et comme variables explicatives 1/ la croissance sur un trimestre du PIB réel 2/ une mesure du carry trade entre les rendements des obligations d’État en monnaie locale du pays considéré et le rendement des obligations d’État américaines 3/ le taux des FED funds et 4/ un trend temporel commun à tous les pays[2].

Cette équation reproduit de façon satisfaisante les flux d’investissements sur la période récente (appliquée aux variables agrégées sur les 16 pays, la simulation de l’équation donne des résidus faibles et peu auto-corrélés depuis 2021 - cf. graphique 2).

Le dernier durcissement monétaire américain aurait, selon notre équation, généré d’importantes sorties d’investissements depuis 2022 : -3,6% du PIB en cumul sur la période T1 2022-T1 2024, soit USD -384 mds, à comparer avec des flux cumulés observés de USD 51 mds. L’évolution de la variable carry trade laisse supposer qu’environ USD 34 mds d’entrées de capitaux auraient résulté d’opérations d’arbitrage purement spéculatives. Enfin, la contribution de la croissance du PIB réel a été pratiquement nulle.

C’est donc le trend temporel qui a, pour l’essentiel, compensé les sorties consécutives au durcissement monétaire américain. Cette variable, qui sert de variable de contrôle dans l’équation, capte probablement les stratégies de diversification des investisseurs en faveur des marchés émergents dans un contexte de besoins de financement croissants des Etats et des entreprises sur leurs marchés obligataires locaux. C’est notamment le cas des investisseurs institutionnels (fonds souverains, banques centrales) dont les motivations sont très différentes de celles des carry traders.

La confiance des investisseurs non-résidents transparaît également au travers de leurs investissements de portefeuille en actions. L’estimation économétrique des flux d’investissement, avec la même méthodologie que celle utilisée pour les flux d’investissement en titres de dette, mais avec un ensemble de variables explicatives un peu différent, est de bien moindre qualité[3]. Sur la période récente, l’équation surestime puis sous-estime très largement les évolutions observées (cf. graphique 2). Une variable de stress financier spécifique à la crise du Covid permettrait de réduire ces écarts[4]. Mais, au-delà de ces réserves d’ordre économétrique, l’impact du durcissement monétaire américain a été tout aussi fort que pour les flux d’investissement de dette puisque la valeur de l’élasticité au taux des Fed Funds est très proche dans les deux équations et les flux d’investissements étaient d’un montant équivalent fin 2019.

En 2024, l’assouplissement attendu de la politique monétaire américaine devrait générer des flux d’investissements de portefeuille à destination des marchés émergents et donc favoriser, toutes choses égales par ailleurs, la détente des rendements obligataires même si cette courroie de transmission est a priori moins puissante que par le passé[5]. Les ménages et les entreprises pourraient en retour en bénéficier si cette baisse se transmet aux taux débiteurs appliqués par les banques. Surtout, elle permettrait de contenir la hausse quasi générale des charges d’intérêts sur la dette publique observée au cours des dernières années.

Achevé de rédiger le 9 juillet 2024

[1]Fiscal Monitor – April 2024

[2]L’échantillon de pays comprend le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, la République de Corée, Taïwan, la Thaïlande, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Turquie, la Russie et l’Afrique du Sud. Il ne comprend pas la Chine car, par rapport aux autres pays, les investissements de portefeuille sont encore très réglementés. La période retenue ne commence qu’en 2012, les données de rendements obligataires n’étant pas disponibles auparavant, et s’arrête volontairement au T4 2019 car, au-delà, les données portent la marque des chocs extérieurs purement exogènes (crise de la Covid, guerre en Ukraine). Or, étendre l’horizon temporel de l’échantillon au prix de l’introduction de deux variables indicatrices temporelles supplémentaires n’améliore pas la précision de l’estimation.

La variable de carry trade est l’écart des rendements obligataires divisé par la volatilité du taux de change contre USD (calculée sur une période 5 ans).

L’estimation des paramètres a été réalisée en appliquant la méthode des moindres carrés ordinaires aux données en écart aux moyennes individuelles (estimateur Within) sous la forme dynamique la plus simple (i.e avec une variable endogène retardée d’un trimestre). L’estimation par variable instrumentale (qui est a priori recommandée pour les modèles dynamiques) n’est pas nécessaire compte tenu de la faible autocorrélation des résidus.

La croissance du PIB et la variable de carry trade ont été introduites avec un retard d’un trimestre pour pallier d’éventuels biais de simultanéité. Seul le taux des FED funds intervient de manière contemporaine dans l’équation. La variable temporelle sert de variable de contrôle.

Au final, l’estimation des paramètres donne une valeur de -0,11 pour le taux des Fed funds, 0,5 pour la variable de carry trade et 0,05 pour la croissance du PIB réel. L’impact de cette dernière variable est très faible.

[3] La variable de carry trade est remplacée par le rendement des obligations d’État (en monnaie locale) comme proxy du facteur d’actualisation. La qualité globale de l’estimation est très inférieure à celle de l’équation précédente, la moyenne des résidus, mesurés en écart-type de la variable endogène, est de 1,2 contre 0,7 pour les flux d’investissements en titres de dette. L’estimation donne une valeur de -0,14 (statistiquement significative) pour le taux des Fed funds, -0,07 pour le rendement des obligations (non significatif statistiquement) et 0,01 pour la croissance du PIB réel (non significatif statistiquement).

[4]Mais au détriment de la condition de parcimonie que la taille finie de l’échantillon dans sa dimension temporelle mais surtout individuelle impose. C’est une deuxième raison pour laquelle nous avons restreint l’estimation à la période pré-Covid.

[5]La part de titres obligataires d’État libellés en monnaie locale détenue par des investisseurs non-résidents a diminué depuis (au moins) le milieu de la décennie passée d’environ 25% à 15%.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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