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Arabie Saoudite : Le coût élevé de la diversification

06/02/2025
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La croissance économique est bridée par les restrictions de production pétrolière décidées par l’OPEP+. Hors hydrocarbures, l’activité demeure néanmoins solide, tirée par la consommation et la politique d’investissements massifs des autorités dans le cadre du programme de diversification économique Vision 2030. Cette solidité s’accompagne d’importants déficits budgétaires et désormais courants nécessitant des émissions de dette records. Heureusement, les marges de manœuvre financières restent confortables. En revanche, la nouvelle présidence de Trump pourrait bouleverser en profondeur de nombreux équilibres.

Indicateurs économiques de l'Arabie saoudite

Une croissance solide mais bridée

ARABIE SAOUDITE : LE SECTEUR NON PÉTROLIER,
PRINCIPAL MOTEUR DE LA CROISSANCE

Après une contraction de son PIB de 0,8% en 2023, l’économie saoudienne a retrouvé le chemin de la croissance. Mais son élan demeure bridé par les coupes de production de pétrole mises en place dans le cadre de la politique de l’OPEP+. L’Arabie Saoudite a produit 9 millions de barils/jour (mbj) en 2024 contre 9,6 mbj en 2023 et 10,5 mbj en 2022. Si le PIB réel pétrolier n’est plus en récession depuis le T3 (graphique 1), il aura diminué de l’ordre de 4% sur l’ensemble de l’année 2024, contribuant à tirer la croissance économique vers le bas à 1,3%. Comparé aux attentes initiales (4,4%) lors de l’élaboration du budget, l’atterrissage est donc assez brutal. Les espoirs de rattrapage pour 2025 risquent de se heurter au même écueil mais dans une moindre mesure.

Nos prévisions de croissance pour cette année ont été d’ores et déjà été ramenées à 3,4% (4,6% pour le gouvernement) afin de tenir compte des annonces faites en décembre par l’OPEP+ à savoir : 1/ la prolongation de trois mois des restrictions volontaires de production de pétrole; 2/ la levée très progressive des restrictions jusqu’à fin septembre 2026, soit un an plus tard que prévu. Pour l’Arabie Saoudite, qui supporte une grande partie de l’effort, cela va se traduire par un manque de 0,4 mbj en 2025. À 9,2 mbj, la production de pétrole saoudienne progresserait ainsi seulement de 2% contre 6% prévu initialement, et il existe un risque que l’OPEP+ procède à de nouveaux ajustements dans l’année tant le marché mondial du pétrole demeure fragile. Néanmoins, une contraction de la production pétrolière apparaît peu probable à ce stade. L’aléa pétrolier, bien que significatif, ne devrait donc pas avoir d’effet récessif comme lors deux dernières années.

Dans ce contexte, l’essentiel de la croissance viendra une nouvelle fois du secteur non pétrolier. L’activité y reste solide (+3,9% en moyenne sur les neuf premiers mois de 2024), portée par l’investissement (+4,1%) et la consommation des ménages (+2,9%). Les perspectives sont bien orientées. La poursuite des mégaprojets d’infrastructures dans le cadre du programme de diversification économique Vision 2030 et la vigueur du marché du travail (taux de chômage historiquement bas à 3,7% ; hausse continue du taux de participation, en particulier des femmes) devraient ainsi permettre au secteur hors hydrocarbures de continuer de croître à un rythme d’au moins 4%.

L’inflation reste contenue

Malgré la robustesse de la demande domestique et une hausse de plus de 10% des loyers (21% de l’indice des prix à la consommation, de loin sa principale composante), alimentée par une urbanisation soutenue et l’expansion de la population active, le risque inflationniste est contenu. La hausse de l’IPC s’est établie à 1,7% en moyenne en 2024 contre 2,3% en 2023. Elle ne devrait pas excéder 2% cette année. Plusieurs facteurs de modération sont en effet à l’œuvre, en particulier la force du dollar US sur lequel est ancrée la monnaie saoudienne.

Revers de la médaille, la politique monétaire de l’Arabie Saoudite est étroitement liée à celle de la Réserve fédérale américaine (Fed). Bien que le choc inflationniste mondial ait relativement épargné le pays, le taux directeur est passé d’un point bas de 1% début 2022 à 6% mi-2023, avant d’être graduellement réduit à partir de septembre 2024. Il est actuellement de 5% et devrait se maintenir si l’assouplissement monétaire aux États-Unis s’interrompait. Pour l’instant, la politique monétaire « importée » n'a pas de conséquence négative sur la dynamique du crédit. La croissance du crédit bancaire au secteur privé est resté supérieure à 10% en 2024, soutenue par une forte demande des entreprises. Au regard des perspectives solides de croissance hors hydrocarbures, il y a peu de raisons que cela change en 2025.

Retour des déficits jumeaux en 2025

La vigueur de la croissance non pétrolière a un coût. L’accélération du programme de diversification Vision 2030 s’est traduite par le gonflement total de 30% des dépenses budgétaires au cours des trois dernières années. Dans le même temps, les recettes pétrolières (plus de 60% des revenus budgétaires) ont subi un double effet prix-volume défavorable, dont l’impact a été en partie compensé par le versement exceptionnel d’un « dividende de performance » de la compagnie pétrolière nationale Aramco. D’un montant de 1,8% du PIB en 2023 et de 4% du PIB en 2024, cette opération a permis de contenir le déficit budgétaire entre 2% et 3% du PIB. Mais le versement est supposé s’arrêter cette année, alors que la baisse attendue des cours mondiaux du pétrole va continuer de peser sur les ressources du gouvernement. Face à cela, les autorités ont présenté un budget conservateur. Les dépenses y sont attendues en baisse de 4,5%, ce qui représenterait le plus gros effort de consolidation en 20 ans (hormis en 2015 et 2016). Les dérapages budgétaires sont néanmoins fréquents. Ainsi, les dépenses budgétaires devraient - au mieux - se stabiliser à un niveau élevé, et le déficit budgétaire se creuser à 3,7% du PIB.

La bascule de la balance courante dans le rouge au T3 2024 (déficit de USD 9 mds) est un autre révélateur des pressions macroéconomiques induites par l’envolée des dépenses publiques (graphique 2). Traditionnellement excédentaire, l’économie saoudienne a désormais besoin d’un cours du Brent autour de USD 80/baril pour équilibrer sa balance courante contre moins de USD 55 en 2022. Le pays devrait donc enregistrer en 2025 des déficits budgétaires et courants, situation inédite depuis la pandémie.

Vers un nouveau montant de dette record

L’Arabie Saoudite va continuer d’émettre de gros volumes de dette après déjà avoir été l’un des pays émergents les plus actifs sur les marchés financiers internationaux en 2024. Sans compter les prêts syndiqués, le gouvernement a levé USD 17 mds de dette euro-obligataire l’an dernier, auxquels se sont ajoutés USD 9 mds pour le fonds souverain PIF (principal véhicule du programme Vision 2030), ainsi que USD9mds pour Aramco.

Ces montants records d’émission pourraient être dépassés en 2025. En effet, le gouvernement doit couvrir USD6,6mds d’amortissement de dette euro-obligataire cette année (contre USD 1 md en 2024). Pour l’instant, la capacité de l’État saoudien à s’endetter reste forte : la position extérieure créditrice représente plus de 70% du PIB à fin 2023, la dette du gouvernement central est modérée (30% du PIB) avec une structure favorable (maturité moyenne de 9,2 ans, 61% du stock domestique) et un coût faible (les charges d’intérêts absorbent 3,6% des ressources budgétaires).

Trump 2.0 : un exercice d’équilibriste pour le royaume

Le recours massif à l’endettement change profondément le rôle du pays au niveau mondial. De fournisseur net de capitaux, l’Arabie Saoudite est désormais un importateur net afin de couvrir ses besoins de développement. Sur les neuf premiers mois de 2024, la balance financière a affiché un solde net positif de USD 34 mds contre un flux négatif d’un montant similaire l’année précédente. Hors opérations spéciales dans le secteur des hydrocarbures, les investissements directs étrangers ne représentent que 1% à 1,5% du PIB. L’entrée en vigueur cette année d’une nouvelle législation sur l’investissement est censée renforcer l’attractivité du Royaume. En attendant que ces espoirs se matérialisent, les autorités devront donc continuer d'assumer une grande partie de la charge de la transformation économique via de l’investissement public. Malgré un recalibrage du programme Vision 2030, cette période de transition s’accompagne ainsi d’une hausse de la vulnérabilité de l’économie aux fluctuations pétrolières.

Dans ce contexte, la stabilité de l’environnement extérieur en général, et du marché du pétrole en particulier, est primordiale pour l’Arabie Saoudite. Or, la nouvelle présidence de Trump risque de bouleverser de nombreux équilibres, notamment en raison de sa politique énergétique qui vise à accroître la production pétrolière américaine à moyen terme tout en cherchant à maintenir des cours mondiaux assez bas. L’Arabie Saoudite pourrait ainsi être mise à contribution, dans un premier temps, en augmentant sa production, mais le timing est incertain. Sur le plan commercial, le pays ne devrait pas être directement visé par une hausse des droits de douane. Néanmoins, une intensification des tensions entre les États-Unis et la Chine devrait rendre l’exercice d’équilibriste entre ses deux partenaires stratégiques encore plus délicat. Si la Chine est désormais le principal partenaire commercial de l’Arabie Saoudite (18% des échanges totaux en 2023 contre 6,5% pour les États-Unis), les États-Unis conservent une longueur d’avance en matière d’investissement. Des opportunités seront également à saisir. De fait, les autorités saoudiennes et l’administration Trump partagent une même approche transactionnelle en matière de relations internationales. L’Arabie Saoudite pourrait notamment en profiter pour renforcer son influence dans un Moyen-Orient en pleine reconfiguration. Celle-ci sera déterminante pour éviter que les tensions autour de l’Iran dégénèrent en un nouveau conflit régional, même si l’Arabie Saoudite pourrait aussi bénéficier indirectement d’un durcissement de sanctions sur le pétrole iranien (capacité de substitution, pressions haussières sur les cours du pétrole).

Achevé de rédiger le 30/01/2025

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