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Corée du Sud : Nouveaux défis

06/02/2025
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La croissance économique de la Corée du sud a ralenti tout au long de 2024 et les perspectives de rebond sont limitées. La crise politique et l’instabilité gouvernementale, d’ampleur inédite dans le pays, devraient se traduire par un net ralentissement de la demande interne. Les perspectives du secteur exportateur (semi-conducteurs principalement) dépendront en partie de la politique commerciale retenue par la nouvelle administration américaine. La Corée du Sud n’est pas directement visée par des mesures tarifaires pour le moment mais le bouleversement des chaines de valeurs qu’elles induisent pèsera sur les exportations. La politique économique restera accommodante : la Banque centrale et le gouvernement intérimaire ont déjà proposé des mesures de soutien, mais le stimulus ne suffira pas à relancer significativement la croissance, qui devrait continuer de ralentir en 2025.;

Indicateurs économiques de la Corée du sud

Crise politique inédite

Le climat politique s’est brusquement dégradé au début du mois de décembre 2024, après que le président Yoon Suk Yeol a brièvement instauré la loi martiale. Une procédure de destitution est en cours et le président est suspendu en attendant qu’elle soit menée à son terme. Après plusieurs semaines de rebondissements, il a finalement été arrêté le 15 janvier dernier et inculpé pour insurrection le 25 janvier (un des chefs d’accusation pour lesquels le président ne bénéficie pas d’immunité). Il devra répondre de plusieurs autres chefs d’accusation, dont trahison, corruption et abus de pouvoir. À ce jour, deux présidents intérimaires se sont déjà succédé et les tensions restent très importantes, l’opposition des deux « camps » (pro/anti-président) occasionnant de nombreuses confrontations.

Cette séquence politique n’est pas surprenante mais son ampleur est inédite en Corée du Sud. La polarisation de la vie politique s’est accélérée au cours des dernières années et une crise politique était latente depuis les dernières élections législatives d’avril 2024. La coalition (conservatrice) présidentielle, menée par le parti « Pouvoir des nationaux », n’a remporté que 108 sièges, alors que la coalition d’opposition, menée par « le Parti démocrate », a remporté 170 sièges. La conjonction de la popularité présidentielle très faible et d’une majorité d’opposition au Parlement avait déjà conduit au blocage de nombreuses propositions gouvernementales.

La solidité des institutions coréennes ne s’est toutefois pas démentie. La Banque centrale a annoncé dès le début de la crise qu’elle se tenait prête à intervenir si nécessaire pour assurer la stabilité des marchés financiers. Dans le même temps, faute de vote, le Parlement a reconduit le budget de l’année 2024 et d’éventuelles dépenses supplémentaires seront étudiées au cas par cas (le budget 2025 était en discussion au Parlement lors de la tentative d’instauration de la loi martiale).

Pour le moment, les conséquences financières restent limitées. Les pressions initiales sur le won se sont partiellement résorbées (fin janvier, le won restait déprécié de 2,5% vis-à-vis du dollar américain par rapport à début décembre). La vulnérabilité externe de la Corée du Sud est de toute façon limitée : les réserves de change représentent environ sept mois d’importations et la position extérieure nette du pays est créditrice (et se renforce continument depuis près de 15 ans), ce qui réduit sa vulnérabilité aux chocs financiers et aux fuites de capitaux.

Ralentissement de la croissance

Les conséquences sur la croissance du PIB seront sans doute plus significatives. Après +2,2% en moyenne annuelle en 2024, on s’attend à une croissance de 1,6% en 2025. La croissance a déjà ralenti tout au long de l’année 2024, atteignant 1,2% en g.a. au dernier trimestre, et la capacité de rebond est limitée. La situation politique devrait entraîner un ralentissement de la consommation privée et de l’investissement. Les indices mesurant la confiance des consommateurs et des investisseurs ont chuté en décembre dernier. Dans le secteur de la construction, l’investissement a déjà ralenti au cours des trois derniers trimestres. Dans le même temps, les perspectives du secteur exportateur (semi-conducteurs principalement) dépendront en partie de la politique commerciale de la nouvelle administration américaine. Le policy mix devrait rester accommodant : des mesures destinées à soutenir la croissance seront très certainement votées dans les prochains mois (c’est quasi systématiquement le cas en Corée en période de ralentissement de l’économie), mais le stimulus ne devrait pas être suffisant pour renforcer significativement la croissance.

Soutien de la Banque centrale

CORÉE DU SUD : RALENTISSEMENT DE L’INFLATION

La Banque centrale a indiqué qu’elle cherchera à soutenir la croissance économique au cours des prochains trimestres. Compte tenu de la crise politique et de ses potentielles répercussions financières, le taux directeur est resté inchangé (à 3%) lors de la réunion du 16 janvier dernier, mais l’accès au crédit a été facilité pour les petites et moyennes entreprises. Le communiqué de la Banque centrale laisse entendre que plusieurs baisses de taux sont probables au cours des mois à venir. En dépit de la dépréciation de la monnaie et des fluctuations des prix des matières premières, l’inflation devrait rester contenue (celle-ci est ressortie à 1,9% en g.a. en décembre, après 1,5% en novembre). Par ailleurs, les prévisions de croissance viennent d’être révisées à la baisse : la Banque centrale n’attend plus qu’une croissance du PIB réel de 1,6-1,7% en 2025 (contre 1,9% en lors du dernier exercice de prévision de novembre dernier).

Cela dit, la politique monétaire coréenne est toujours contrainte par les risques financiers liés à la dette élevée des ménages (environ 90% du PIB). Les nombreuses mesures macroprudentielles mises en place ont jusqu’à présent permis de contenir ces risques. En dépit de la volonté de certains membres du comité de « traduire la baisse des taux dans le crédit aux ménages », la Commission des services financiers a indiqué vouloir contenir la hausse de la dette à moins de +3,8% (en termes réels) en 2025.

Nouveau bouleversement des chaînes de valeur ?

CORÉE DU SUD : LE SURPLUS COMMERCIAL
AVEC LES ÉTATS-UNIS PROGRESSE

La Corée du Sud ne devrait pas être épargnée par le changement de politique économique américaine. La situation est très différente de celle qui prévalait lors du premier mandat de Donald Trump. En effet, la structure du commerce extérieur coréen et l’intégration du pays dans les chaînes de valeur se sont modifiées au profit des États-Unis et au détriment de la Chine.

En 2024, 18,7% du total des exportations était à destination des États-Unis (12% en 2017) et 19,5% à destination de la Chine (25% en 2017). Entre 2017 et 2024, l’excédent commercial avec les États-Unis a presque triplé, alors que le solde commercial avec la Chine est progressivement passé de l’excédent au déficit (voir graphique 2). En novembre dernier, le Trésor américain avait d’ailleurs replacé la Corée sur la liste des économies « à surveiller », ce qui pourrait attirer l’attention de l’administration Trump, même si aucune augmentation de droits de douane n’a pour le moment été annoncée. Le déficit commercial bilatéral américain avec la Corée (USD 55 mds en 2024) reste toutefois largement inférieur à celui enregistré avec la Chine (environ USD 300 mds). D. Trump ne s’est pour le moment pas prononcé en faveur d’une potentielle renégociation de l’accord de libre échange avec la Corée (KORUS), comme cela avait été le cas lors du premier mandat.

Plusieurs éléments pourraient jouer en faveur de la Corée du Sud : en 2023, les États-Unis ont capté près de 45% du total des IDE coréens (soit USD 28 mds), loin devant la Chine (moins de 3%, soit USD 1,9 md). Le secteur des semi-conducteurs est un des principaux bénéficiaires. En 2017, les États-Unis recevaient 33% du total des IDE coréens dans ce secteur et la Chine 7%. Par ailleurs, la valeur ajoutée des exportations coréennes est très élevée, et la Corée du Sud ne figure pas sur la liste des pays « connecteurs » qui permettent à la Chine de contourner les tarifs douaniers américains (les exportations de ces pays contiennent une valeur ajoutée locale relativement faible et une valeur ajoutée chinoise élevée).

Cela dit, même si elle ne subit pas d’augmentation spécifique des tarifs douaniers, l’économie coréenne sera affectée par les hausses des droits de douane américains imposées aux produits chinois. Le secteur exportateur coréen serait indirectement touché. D’éventuelles représailles chinoises pourraient également avoir des conséquences, notamment une dévaluation compétitive qui pourrait déstabiliser les monnaies asiatiques. De plus, un contrôle renforcé des exportations chinoises pourrait désordonner les chaines de valeur de la région, dans lesquelles la Corée est très intégrée. À court terme, les mesures de soutien proposées par le gouvernement et la Banque centrale ne suffiraient sans doute pas à contrebalancer les effets de la dépréciation du yuan sur les exportations et la croissance coréennes si la Banque centrale chinoise menait une stratégie de dévaluation compétitive.

La mise en œuvre des réformes structurelles visant à renforcer la compétitivité industrielle, prévues de longue date, est par ailleurs menacée par la crise politique actuelle. Or, ces réformes sont cruciales pour le secteur exportateur du pays, notamment face à la concurrence grandissante de la Chine, de l’Union européenne et du Japon dans le secteur des semi-conducteurs notamment.

Achevé de rédiger le 31 janvier 2025

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