Après la première baisse des taux décidée lors de la réunion de juin de la BCE, l'attention se porte à présent sur le calendrier et la rapidité des prochaines réductions du taux de rémunération des dépôts. Les indications fournies sont vagues : les décisions dépendront des données économiques. Afin d’y voir plus clair, il est utile d'estimer la règle de politique monétaire (la relation entre les décisions passées et l'inflation, entre autres variables pertinentes). Cette règle montre combien la différence entre l’inflation observée et la cible d’inflation joue un rôle-clé. Toutefois, des réserves importantes sont de mises. La règle estimée implique un ajustement très lent du taux de dépôt, ce qui est difficile à justifier lorsque la BCE est en mode d’assouplissement. La lecture entre les lignes des discours des membres du Conseil des gouverneurs est d’une importance cruciale afin de passer outre l’inertie inhérente à la règle stratégique estimée. En théorie, l’assouplissement monétaire antérieur peut être riche d’enseignements, mais depuis le début de l’euro, nous n’avons qu’un seul véritable point de référence.
Depuis la première baisse des taux décidée lors de la réunion de juin de la BCE, l'attention des ménages, des entreprises et des marchés financiers se porte à présent sur le calendrier et la rapidité des prochaines réductions du taux de rémunération des dépôts. La ligne officielle est que ces décisions dépendront des données économiques, mais cela amène à s’interroger sur la teneur de la réaction du Conseil des gouverneurs aux prochaines statistiques. Depuis quelques mois, ses membres ont fréquemment souligné l’importance- de trois facteurs-clé (la solidité de la transmission monétaire, la récente dynamique sous-jacente de l'inflation et les perspectives d’inflation). Toutefois, le mystère surles décisions de politique monétaire qui pourront en découler reste entier. Les données qui motiveront ces décisions n'ont pas encore été publiées et, de plus, il est difficile de savoir sur quels paramètres se fonde la fonction de réaction. Pour une banque centrale, il est parfaitement rationnel d'entretenir le flou sur cet aspect (sans quoi elle s'engagerait à appliquer une règle de politique monétaire stricte, ce qui lui lierait les mains), mais cette ambiguïté n'est pas du goût des investisseurs. Dans une certaine mesure, les modèles économétriques permettent de clarifier la situation. Ces modèles permettent de simuler la réaction de l'activité, de la demande, de l'inflation aux chocs exogènes (à partir d'hypothèses sur l'évolution discrétionnaire de la politique monétaire et de la politique budgétaire, des cours du pétrole, de variables étrangères). À cette fin, la politique monétaire revêt un caractère endogène : elle réagit à l’évolution de l'inflation, de la croissance, du taux de chômage, etc. Pour la zone euro, un document de travail sur le Nouveau modèle à l'échelle de la zone euro (NAWM II) publié récemment par la BCE fournit une estimation de la règle de taux d’intérêt. D’après les auteurs de ce document, cette règle permet bien de suivre la politique effectivement menée.[1]
Cette équation, qui exprime la règle de politique monétaire (encadré 2), comporte plusieurs variables explicatives, à savoir l'écart entre inflation observée et inflation cible (inflation gap), la variation de l'inflation gap, l'écart entre croissance réalisée et croissance potentielle (output gap), la variation de l’output gap, ainsi qu'une hypothèse à propos du taux neutre et de l'objectif d’inflation. L’équation est également assortie d'un « coefficient d'inertie » estimé, afin de prendre en compte le fait que chaque trimestre, le taux directeur dépendra essentiellement de la valeur qu'il avait au trimestre précédent dans la mesure où, le plus souvent, ce taux directeur est soit stable soit sujet seulement à une évolution graduelle. Sur la base de cette règle de politique monétaire et des prévisions d’inflation et de croissance de juin des services de la BCE, il est possible d'établir une projection pour le taux de rémunération des dépôts de la BCE[2] (encadré 1).
Comme le montre le graphique 1, une baisse est anticipée compte tenu des nouveaux progrès réalisés en termes de désinflation, l'inflation devant franchir le niveau cible au premier trimestre 2026. L’output gap s'améliore, mais il demeure négatif, ce qui pèse également sur le taux directeur estimé, quoique de manière limitée compte tenu du faible coefficient de cette variable. De fait, le facteur clé est la projection d’inflation, dont le coefficient est un multiple des autres coefficients. Toutefois, l’impact de la désinflation est atténué par le degré élevé d'inertie observé par le passé, le dernier coefficient affichant une valeur de 0,93. Il en résulte que cette règle quantitative ne permet guère de formuler des prévisions de taux d’intérêt fiables lorsque l'inflation diminue alors que la politique monétaire demeure restrictive. Du fait de cette inertie, le niveau élevé auquel se maintient le taux de rémunération des dépôts estimé, en termes réels, est impossible à justifier puisque, dans le même temps, l'inflation devrait avoir complètement convergé vers le niveau cible. Malgré cette réserve importante, cet outil s'avère utile à d'autres fins. Tout d'abord, d'un point de vue conceptuel, il nous rappelle que le taux nominal neutre (la somme du taux neutre, qui est un taux réel, et l'objectif d'inflation) constitue le point d'ancrage de la politique monétaire. Une fois que l'ensemble des dynamiques transitoires ont fait ressentir leurs effets, le taux d’intérêt officiel devrait correspondre au taux nominal neutre. Ensuite, il permet de simuler la sensibilité du taux directeur estimé aux différentes hypothèses économiques. Comme nous l'indiquons plus haut, les prévisions d’inflation sont la principale variable qui est prise en compte, tandis que la trajectoire de l’output gap revêt peu d'importance.
Ce raisonnement nous amène à la conclusion que pour prévoir l'évolution des taux d’intérêt à court terme en zone euro, il convient de produire de bonnes prévisions d'inflation et, pour pallier l’inertie inhérente à la règle estimée de politique monétaire, de suivre et d'interpréter les décisions de la BCE (ECB Watching). Les assouplissements monétaires décidés par le passé peuvent fournir quelques indications, mais depuis la création de l’euro nous disposons d'un seul point de référence, à savoir l’assouplissement monétaire décidé en 2001 (graphique 2).[3] De fait, en 2001, l'inflation était tombée de 3,1 % en mai à 2,0 % en novembre, et la BCE avait rapidement ramené le taux de rémunération des dépôts de 3,75 % en avril à 2,25 % en novembre. Il serait dangereux de généraliser à partir d'une seule observation.