Claudia Sheinbaum a été élue présidente du Mexique le 2 juin dernier. Les défis politiques et économiques auxquels elle sera confrontée au cours de son mandat sont nombreux et concernent surtout la soutenabilité des finances publiques, la réforme du secteur de l’énergie (point particulièrement sensible au Mexique, surtout dans le contexte de nearshoring et d’un regain d’attraction de la part des investisseurs étrangers) et la renégociation du traité commercial avec le Canada et les États-Unis (UMSCA) en 2026. Dans l’immédiat, membre du parti la Morena de l’ancien président sortant, la nouvelle présidente doit trouver la bonne distance vis-à-vis d’Andres Manuel Lopes Obrador et de ses soutiens. Les discussions concernent notamment la réforme de la justice qu’il avait lui-même proposée.
Large victoire du parti Morena
Le 2 juin dernier, Claudia Sheinbaum a été élue présidente du Mexique pour les six prochaines années. La nouvelle présidente (dirigeante du parti Morena, ancienne cheffe du gouvernement de la ville de Mexico et protégée du président sortant) a été élue à une large majorité (60% des suffrages exprimés), encore plus marquée que celle de son prédécesseur, Andres Manuel Lopes Obrador (AMLO, élu à 53% des suffrages exprimés en 2018). Le même jour, se présentaient devant les électeurs pour le renouvellement de leur mandat 128 sénateurs, 500 députés, 8 gouverneurs d’Etats ainsi que le nouveau chef du gouvernement de la ville de Mexico.
Dans l’ensemble, les résultats sont largement favorables au parti Morena de l’ancien président: la coalition législative est en position de disposer de la majorité qualifiée (c’est-à-dire deux tiers des voix) dans les deux assemblées. Autrement dit, le prochain gouvernement devrait pouvoir appliquer sa politique économique et sociale relativement facilement. Cela signifie également que le prochain gouvernement, s’il le souhaite, pourra entériner des réformes modifiant la constitution (ce que n’a pas pu faire le président sortant au cours de son mandat, en dépit d’essais répétés). Les candidats du parti Morena ont également remporté la gouvernance de six des huit états, et conservé le gouvernement de la ville de Mexico.
La question de la réforme du système judiciaire
Conformément à la constitution mexicaine, la présidente élue prendra ses fonctions le 1er octobre prochain et la session parlementaire débutera au début du mois de septembre. Cette période de latence doit lui permettre de clarifier l’orientation qu’elle souhaite donner à son mandat. Pour le moment, elle semble indiquer une voie plus consensuelle qu’AMLO, tournée vers les énergies renouvelables et plus ouverte aux investisseurs privés (notamment étrangers). L’éloignement de la politique menée par AMLO devrait cependant être progressif, il s’agit de ne froisser ni le président ni ses nombreux soutiens et de conserver la majorité afin de sécuriser l’adoption des projets de loi.
Durant la campagne, Claudia Sheinbaum avait déjà assuré respecter l’autonomie de la Banque centrale et de la Justice, rester « fiscalement responsable » et créer des conditions favorables pour augmenter sensiblement l’investissement privé.
Le peso et l’indice boursier mexicain ont pourtant chuté dès le lendemain de l’élection (graphique). Mais plutôt qu’une défiance vis-à-vis de la nouvelle présidente, la vive réaction des marchés financiers traduit plus la crainte qu’ AMLO utilise la courte période de majorité qualifiée dont il disposera jusqu’en septembre (au moment de l’ouverture de la session parlementaire, avant de quitter ses fonctions le mois suivant) pour faire voter plusieurs réformes constitutionnelles, dont une très contestée du système judiciaire. Cette réforme propose de diminuer le nombre de juges de la Cour suprême (de 11 actuellement à 9) et la durée de leur mandat (de 15 à 12 ans). Les juges et magistrats des Hautes Cours de justice devraient également être désignés par un vote populaire. Mais les opposants à cette loi craignent surtout que les juges élus soient majoritairement issus de la majorité présidentielle, ce qui ne garantirait plus l’indépendance du système judiciaire.
Un autre point très polémique de la réforme est l’élimination des « suspensions » créées par la loi dite « d’injonction », c’est-à-dire la possibilité donnée à un citoyen ou un parti politique de demander une injonction lorsqu’une loi qu’il juge non-constitutionnelle vient d’être votée. Si l’injonction est accordée, la loi est suspendue tant que la Cour suprême n’a pas statué sur la constitutionnalité de la loi. Plusieurs injonctions ont été demandées au court du mandat d’AMLO, notamment concernant la réforme du secteur de l’énergie.
Les opposants à la la suppression de la loi d’injonction craignent qu’elle empêche l’examen approfondi de propositions de lois pouvant durablement modifier le pays, et notamment son cadre économique. Ce qui pourrait peser lourdement sur l’environnement des affaires, et plus particulièrement sur les entrées d’IDE dans un contexte de relocalisation (notamment des entreprises américaines) au Mexique.
Les inquiétudes se font déjà sentir : certes le montant total des IDE a progressé en 2022 et 2023, mais en raison de deux opérations spéciales (la restructuration de la compagnie aérienne Aeromexico et la fusion des deux entreprises audiovisiuelles Televisa et Univision, respectivement). Surtout le montant des « nouveaux investissements » a diminué continûment depuis le début de l’année 2022 (graphique).
Claudia Sheinbaum ne s’est pas formellement opposée au projet présenté par AMLO, mais a précisé que des consultations publiques se tiendraient et que l’indépendance du système judiciaire mexicain n’était pas menacée.
Grandes lignes de la politique économique
Courant juin, la présidence a dévoilé le nom de plusieurs membres de la prochaine équipe gouvernementale, parmi lesquels le maintien de l’actuel ministre des Finances (Rogelio Ramirez de la O) à son poste et la nomination de l’ancien secrétaire d’État aux Relations extérieures (Marcelo Ebrard) au poste de ministre de l’Économie. L’expérience de ce dernier pourrait s’avérer un atout important lors d’une éventuelle renégociation du traité commercial avec les États-Unis et le Canada (UMSCA) prévue en 2026.
Concernant le secteur de l’énergie, les diverses déclarations sont pour le moment contradictoires et peu détaillées. Durant la campagne C. Sheinbaum, qui est une ancienne membre du GIEC, s’est prononcée en faveur d’une accélération de la transition bas carbone du pays et a multiplié les engagements de principe. Un des objectifs est d’étendre à l’ensemble des entreprises les normes environnementales auxquelles se conforment les entreprises étrangères, en améliorant notamment une offre d’électricité la plus décarbonée possible, tout en profitant pleinement des opportunités offertes par le nearshoring. Dans le domaine des énergies renouvelables, les investissements privés pourraient être favorisés, mais les détails ne sont pas encore connus.
Paradoxalement, le nouveau Gouvernement semble pourtant vouloir rester sur la ligne dessinée par AMLO de « souveraineté énergétique », avec un rôle prépondérant de l’État dans les projets (anciens comme nouveaux) liés à l’énergie. D’après les premières déclarations, le gouvernement ne prévoit pas de changer le modèle économique de l’entreprise nationale pétrolière PEMEX, et n’envisagerait pas non plus un support financier régulier envers l’entreprise.
Les détails concernant le soutien à PEMEX et plus généralement la politique budgétaire du nouveau gouvernement sont très attendus, particulièrement par les agences de notation et les investisseurs : le déficit budgétaire s’est creusé au cours des dernières années (on attend un déficit autour de 5% du PIB en 2024, après 3,3% en 2023) et les charges d’intérêt ont sensiblement augmenté (elles représentaient 15,1% des revenus budgétaires en 2023, soit plus de 2,5% du PIB). En mars, le gouvernement sortant a présenté les éléments préliminaires du budget (qui sera voté en novembre prochain), que la présidente a repris à son compte. L’objectif principal est une réduction du déficit (autour de 2,5% du PIB), quasi-exclusivement en réduisant les dépenses, tout en maintenant celles relatives aux grands projets d’infrastructures en cours (tels que le Train maya).
A ce jour, Claudia Sheinbaum et son équipe n’envisagent pas de réforme fiscale visant à augmenter les revenus, alors que la rigidité des dépenses a augmenté de manière significative au cours du mandat d’AMLO (soutien accru à l’entreprise nationale pétrolière PEMEX, hausse des transferts sociaux notamment vers les personnes âgées, épuisement des fonds souverains). Nous attendons donc une réduction du déficit beaucoup moins rapide : outre des paiements d’intérêts sur la dette plus élevés, le nouveau gouvernement devra composer avec des marges de manœuvre toujours très limitées.
Achevé de rédiger le 27 juin 2024