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Chili | L'économie reste dépendante du secteur minier

24/06/2025
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La croissance du PIB résiste plutôt bien au Chili, portée par le secteur minier et une demande intérieure solide. Les perspectives sont relativement favorables : l’inflation est contenue, la consolidation budgétaire devrait se poursuivre et le risque politique, à l’approche de l’élection présidentielle en fin d’année, reste modéré. Enfin, en dehors des annonces concernant le secteur du cuivre, les conséquences directes sur l’économie chilienne de la hausse des tarifs douaniers imposés par l’administration Trump sont relativement faibles. Les effets indirects, la volatilité des prix des matières premières et les incertitudes sur le rythme des avancées de la transition bas-carbone mondiale représentent, en revanche, un risque très important pour l’économie chilienne.

La croissance résiste

Portée par le secteur minier, l’activité économique a plutôt bien résisté au Chili au cours des quatre premiers mois de l’année. Le PIB a progressé de 2,3% en glissement annuel au T1 et l’indice mensuel d’activité signale une nouvelle accélération en avril, à 3,3%. Les perspectives restent plutôt favorables pour les mois à venir : nous attendons une croissance du PIB proche de 2,2% en 2025, après 2,4% en 2024.

Prévisions économiques du Chili

La demande intérieure devrait rester solide, soutenue par la récente augmentation du salaire minimum et la bonne tenue du marché de l’emploi. Après une croissance de 1,1% en 2024, la consommation des ménages a progressé de 1,5% en g.a. au T1. Néanmoins, le ralentissement attendu de la demande mondiale se traduira par un ralentissement des exportations.

Chili : exportations totales et exportations de cuivre

Persistance des pressions inflationnistes

L’inflation a ralenti en mai dernier pour le deuxième mois consécutif (à 4,4% en g.a., après 4,5% en avril) mais reste au-delà de la cible (3%) fixée par la Banque centrale, comme c’est le cas depuis juillet 2024. L’inflation sous jacente demeure restée stable (à 3,7%). Les pressions inflationnistes restent élevées, et reflètent l’augmentation des prix de certains services publics (électricité). Le taux d’inflation devrait rester supérieur à la cible au cours des prochains mois. Au mois de juin, la Banque centrale a de nouveau laissé son taux directeur à 5% ; il est inchangé depuis décembre 2024.

Chili : inflation et taux directeur

La consolidation budgétaire se poursuit

Le déficit budgétaire s’est creusé en 2024 (à 2,9% du PIB, dépassant l’objectif à 2% fixé par le gouvernement), les recettes inférieures aux prévisions (notamment dans le secteur non minier) n'ayant pas été entièrement compensées par les réductions de dépenses mises en œuvre en fin d'année.

Fin avril, le gouvernement a relevé l’objectif de déficit public pour l’année 2025 à 1,4% (contre 1,1% précédemment) et a annoncé des mesures supplémentaires de réduction des dépenses, en plus des mesures prévues dans le budget initial. Nous attendons une baisse du déficit en 2025, mais il devrait être supérieur à l’objectif du gouvernement : l’approche des élections présidentielles (en novembre 2025) rend peu probable la mise en place de mesures strictes de réduction des dépenses.

Par ailleurs, une réforme du système des retraites (en discussion depuis plus de 15 ans) a été adoptée fin janvier 2025. Les principaux objectifs étaient l’amélioration de la couverture (beaucoup de Chiliens sont exclus totalement ou partiellement du système actuel), la gestion peu transparente des fonds de pension privés, mais surtout le taux de remplacement (c’est-à-dire le pourcentage du revenu d’activité perçu par un salarié lorsqu'il fait valoir ses droits à la retraite). Actuellement, le taux de remplacement est d’environ 38% pour un homme et de 35% pour une femme. C’est largement inférieur à la moyenne de 63% pour l’ensemble des pays de l’OCDE.

Après d'importantes concessions de la part du gouvernement, la réforme comprend notamment une nouvelle augmentation (progressive) de 7 points de pourcentage du taux de cotisation totale versée par l’employeur (ce qui, ajouté au taux actuel de 10 % financé par les salariés, rapprocherait progressivement le Chili du taux de cotisation moyen des pays de l’OCDE, qui est de 18%), et une augmentation de la pension universelle garantie (PGU), tout en maintenant les principes du modèle chilien de capitalisation individuelle. Un autre objectif, à terme, est de reconstituer l’épargne de retraite. Celle-ci a nettement diminué à la suite des multiples retraits autorisés par le gouvernement au moment de la crise du Covid-19 pour soutenir l’activité. Alors qu’ils représentaient 80% du PIB en 2019, les actifs de l’épargne retraite représentaient 60% du PIB fin 2024.

Selon les estimations du gouvernement, le coût budgétaire total des réformes prévues pourrait atteindre environ 1% du PIB d'ici 2032 et se maintenir à ce niveau par la suite. Nous prévoyons toutefois que le coût net sera légèrement inférieur. En effet, l'augmentation de la PGU devrait être en partie compensée par les gains liés au projet de loi contre l'évasion fiscale.

Au total, l’objectif fixé par le gouvernement d’atteindre l’équilibre structurel d’ici 2029 nous semble difficile à atteindre : le soutien financier à Codelco (entreprise nationale d’exploitation du cuivre) pourrait être important dans les années à venir (sa dette a progressé au cours des cinq dernières années, entre besoin d’investissements massifs pour maintenir les infrastructures et déclin de la production pour des raisons techniques). De plus, les dépenses sociales resteront élevées, quel que soit le gouvernement élu à la fin de l’année, tandis que les recettes générées grâce à la réforme fiscale restent incertaines.

La dette de l'administration centrale a augmenté mais est restée modérée, à 41,7% du PIB en 2024 (contre 28% du PIB en 2019). Cette dynamique devrait se poursuivre, la dette atteignant 42,6% du PIB en 2026.

Le secteur du cuivre dans l’attente des décisions de Trump

Comme pour la plupart des pays de la région (hors Mexique), l'administration Trump a imposé des droits de douane « réciproques » de 10% sur les marchandises venant du Chili.

À ce jour, les effets directs sont limités pour l’économie chilienne : d’une part, les exportations à destination des États-Unis ne représentent que 17% du total des exportations chiliennes, soit environ 5% du PIB (contre près de 40% du total vers la Chine, son premier partenaire commercial). D’autre part, le secteur du cuivre n’étant à ce jour pas concerné par les taxes, le taux effectif pour le Chili est de seulement 5%.

Cependant, le Chili est fortement exposé au fluctuations des prix des matières premières : le pays est le premier producteur et exportateur mondial de cuivre et le deuxième producteur mondial de lithium (derrière l’Argentine). Le secteur minier au sens large (auquel le cuivre contribue pour une très large majorité) représente plus de 18% du PIB et un peu plus de 55% du total des exportations.

Le prix du cuivre et les exportations chiliennes ont fortement progressé au cours des premiers mois de l’année (en anticipation des potentielles hausses des tarifs douaniers, annoncées par le gouvernement américain), ce qui a encouragé de nouveaux investissements dans le secteur minier chilien.

D’après les prévisions de l’Agence Internationale de l’Energie, la demande de cuivre devrait rester solide en 2025 et 2026. Même en cas de ralentissement plus marqué qu’attendu de la demande chinoise (50% de la demande mondiale), l’émergence de nouveaux marchés (Inde et Vietnam notamment) devrait permettre de maintenir le dynamisme de la demande mondiale. Côté offre, plusieurs problèmes techniques et besoins de maintenance limiteront la production au Pérou, en République démocratique du Congo et au Panama. Bien que la commission nationale du cuivre ait annoncé augmenter la production chilienne de cuivre de 3% par an en 2025 et 2026 (après plusieurs années de stagnation, également en raison d’opérations de maintenance), cela ne suffira pas à compenser la pénurie au niveau mondial.

Au début du mois de juin, les annonces de l’administration Trump concernant le secteur de l’acier et de l’aluminium ont ravivé la crainte d’une hausse des tarifs sur le cuivre. Dans notre scénario central, ces menaces ne seront pas suivies d’effets : environ 12% des exportations chiliennes de cuivre sont destinées aux États-Unis, tandis que le cuivre chilien représente environ 60% des importations américaines de cuivre. Par conséquent, si des droits de douane supplémentaires étaient imposés spécifiquement sur le cuivre, les États-Unis nuiraient principalement à leurs propres importateurs et utilisateurs tout en restant fortement dépendants du Chili.

Par ailleurs, comme plus de la moitié de la capacité mondiale de raffinage se trouve en Chine (ou, comme c’est le cas au Chili, appartient à des entreprises chinoises), la hausse des droits de douane d’un matériau critique se traduirait probablement par une montée substantielle des tensions géopolitiques. Le gouvernement chilien pourrait être soumis à une forte pression de la part de l'administration Trump pour réduire ses liens économiques avec la Chine, son premier partenaire commercial, et surtout l’acteur principal de l’ensemble de la chaîne de valeur des matériaux critiques, et principalement du cuivre et du lithium.

À moyen terme, le possible ralentissement du rythme des avancées de la transition écologique mondiale (lié notamment à la politique économique de l’administration Trump), synonyme de moindre demande de cuivre, représentent un risque important pour l’économie chilienne. En particulier, les prix du cuivre et du lithium ont une incidence directe sur les recettes fiscales et peuvent avoir des répercussions sur l’activité, y compris dans les secteurs non miniers.

Achevé de rédiger le 20 juin 2025

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