Edito

Qu'est-ce qui a fait fléchir Powell ?

25/08/2025
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Dans son discours très attendu, prononcé lors du symposium annuel des banquiers centraux à Jackson Hole, son dernier en tant que président de la Réserve fédérale (Fed), Jerome Powell a créé la surprise en ouvrant grand la porte à une baisse de taux à la prochaine réunion du FOMC. Il a adopté un ton très éloigné de celui — hawkish — de sa conférence de presse consécutive à la réunion du FOMC du 30 juillet dernier et de son compte rendu publié quelques jours avant son discours. Les marchés — actions et obligations —ont bondi de joie. Mais est-ce justifié ? Tout dépend de la cause de ce revirement : soulagement face à l'évolution de l'inflation ? Crainte accrue de récession? Capitulation face aux pressions politiques ? Le président Powell lui-même a invoqué un « changement de l’équilibre des risques ». Mais que cela signifie-t-il concrètement ? Nous voyons quatre niveaux d'explication : les données, la fonction de réaction, le casting, et la politique.

Les données

Le rapport sur l'emploi américain du 1er août a fait beaucoup de bruit. Il a, en effet, révélé que les créations d'emplois avaient été bien inférieures aux attentes en juillet, mais aussi au cours des deux mois précédents, de sorte que l'emploi à la fin juillet était à peine supérieur à celui d'avril. Néanmoins, le taux de chômage n'a que légèrement augmenté, à 4,2%, ce qui reste un niveau historiquement bas. Les chiffres de l'inflation — l'autre volet du double mandat de la Fed — se sont également éloignés de l'objectif : l'inflation des prix de détail et de gros ont accéléré en juillet pour dépasser les 3%. De plus, les enquêtes auprès des entreprises confirment l’intention de la plupart d'entre elles de répercuter sur les consommateurs les hausses de prix dues aux droits de douane. En outre, plusieurs indicateurs des anticipations inflationnistes des ménages ont également augmenté en août[1].

Cette tension entre les deux volets du mandat de la Fed est certes un revers mais elle avait été anticipée par le FOMC lors de sa réunion de juillet. Ce qui n’avait pas été anticipé, c'est l'ampleur du ralentissement des créations d'emplois.

La fonction de réaction

À l’issue de la dernière réunion du FOMC, le président Powell avait souligné que l'indicateur le plus pertinent pour mesurer la réalisation du mandat de « plein emploi » de la Fed était le taux de chômage. Il avait alors écarté les inquiétudes concernant le ralentissement de la croissance de l'emploi, arguant que la demande et l'offre sur le marché du travail semblaient se modérer au même rythme, laissant le marché globalement à l’équilibre.

Si cette dynamique est toujours d'actualité, le président Powell a reconnu à Jackson Hole qu'il s'agissait d'un « équilibre curieux ». Il a ainsi semblé abandonner sa précédente analyse au profit d'une autre moins optimiste, défendue depuis quelques temps par le gouverneur Waller (qui avait voté en faveur d'une baisse de taux au FOMC de juillet). Celle-ci fait valoir que les risques de détérioration augmentent et que l'équilibre observé pourrait rapidement céder la place à une forte hausse des licenciements et du chômage.

L'accent mis précédemment sur l'écart important entre l'inflation et son objectif, et donc sur la nécessité de s'attaquer en priorité à ce risque, a disparu. Le président Powell a plutôt souligné que, même s’il existait un risque que l'impact des droits de douane sur les prix ne soit pas temporaire, cela « ne semblait pas probable », se ralliant une nouvelle fois à l'opinion défendue de longue date par M. Waller. Mais pourquoi maintenant alors que le compte rendu de la réunion du FOMC de juillet indique clairement qu'il s'agissait alors d'une opinion minoritaire ?

Le casting

Début août, la gouverneure Adriana Kugler a surpris en démissionnant du conseil d'administration de la Fed. Elle n'avait pas assisté à la réunion du FOMC de juillet et devait rester en fonction jusqu'en janvier 2026.

Sa démission a toutefois libéré un siège auquel le président Trump a nommé Stephan Miran, actuellement président de son Conseil des conseillers économiques. S'il est confirmé par le Sénat avant les 16 et 17 septembre, M. Miran soutiendra une baisse d'au moins 25 points de base des taux en septembre (il s'est publiquement déclaré favorable à une baisse de 50 points de base). Plus récemment, des allégations de fraude hypothécaire ont été portées contre la gouverneure Lisa Cook, ce qui a conduit le président Trump à exiger sa démission. Cela pourrait lui permettre de nommer au conseil d'administration de la Fed, avant la réunion du FOMC de septembre, un autre membre partageant ses idées, et renforcer encore la tendance probable de la majorité du FOMC en faveur d’une baisse de taux. Cela donnerait également la majorité du conseil d'administration aux membres nommés par Trump.

Les décisions de politique monétaire sont prises par le FOMC et non par le conseil d'administration. Cependant, ce dernier dispose de pouvoirs importants, notamment celui de potentiellement mettre fin à tout moment au mandat des présidents des banques régionales (qui composent le reste du FOMC)[2]. Tout au long de son mandat, Jerome Powell a montré une capacité inégalée à créer un consensus. C'est un art qui nécessite d'anticiper où se situera le dénominateur commun.

La politique

Ces derniers mois, l'indépendance de la Fed vis-à-vis du pouvoir exécutif a été remise en cause à un degré jamais atteint depuis l'administration Nixon, même si à l'époque la pression s'exerçait principalement à huis clos. Aujourd'hui, elle s'exprime chaque semaine sur les réseaux sociaux et à la télévision, avec l'intention claire de tester ou de contourner les limites des lois qui protègent les présidents et les gouverneurs de la Fed contre toute destitution arbitraire.

Au-delà des attaques verbales du président à l'encontre du patron de la Fed, il existe un courant sous-jacent plus large parmi ses alliés qui remet fondamentalement en cause le modèle de gouvernance actuel de la Fed et réclame des réformes radicales. Parmi eux figurent le dernier candidat nommé au conseil d'administration de la Fed et l'un des principaux candidats à la succession de J. Powell[3].

L'indépendance de la banque centrale ne peut exister dans le vide ; sans un large consensus politique et sociétal en sa faveur, elle est vouée à dépérir. Ce contexte place « l'équilibre des risques » dans une perspective totalement différente : relâcher la pression politique sur l'indépendance de la Fed, en se montrant ouvert à un changement d'orientation de la politique monétaire, avec un risque limité pour la crédibilité de la Fed en matière de lutte contre l'inflation ; ou risquer d’entraîner la destruction de l'ensemble du cadre institutionnel qui la sous-tend.

C'est dans ce contexte que le président Powell a jugé nécessaire de mentionner, dans son discours, que « les membres du FOMC prendront leurs décisions [de politique monétaire] en se fondant uniquement sur leur évaluation des données et de leurs implications pour les perspectives économiques et l'équilibre des risques. Nous ne dérogerons jamais à cette approche ». Mais qui est ce « nous », au-delà du FOMC actuel, dont la durée de vie est limitée ? Et dans quelle mesure l'engagement de « ne jamais déroger » est-il rassurant, alors qu'il ne peut de facto lier les futurs FOMC ?

Seul le président Powell connaît le poids relatif de ces différentes considérations mais s'il y a une raison de se réjouir ici, c'est la décision de plier pour éviter de rompre. Sauf surprises extrêmement positives dans le rapport sur l’emploi du 5 septembre, la Fed devrait annoncer une baisse de taux de 25 pb le 17 septembre et rester très prudente sur la suite.

C’est maintenant et au cours des prochains trimestres que le risque d'envolée de l’inflation est le plus élevé. Désamorcer un conflit frontal avec la Maison-Blanche et, ce faisant, éviter un FOMC qui pousserait une politique monétaire trop stimulante pendant cette période, est le meilleur moyen de consolider l'atterrissage en douceur que la Fed de Powell a réalisé jusqu'à présent.

[1] Il convient de noter que les enquêtes sur les anticipations inflationnistes publiées mi-août par l'Université du Michigan et la Fed de New York ont toutes deux enregistré une hausse des anticipations inflationnistes des ménages (à court et à long terme) en juillet, celles de l'Université du Michigan avoisinant les 4 % à long terme et celles de la Fed de New York s'établissant autour de 3 %.

[2] Pour plus d'informations à ce sujet, voir « Who has to leave the Federal Reserve next? » (Qui doit quitter la Réserve fédérale ?), Brookings, David Wessel, 8 août 2024.

[3] Voir Stephan Miran, « Reform the Federal Reserve’s Governance to Deliver Better Monetary Outcomes » | Manhattan Institute et Kevin Warsh, « Central Banking at a Crossroads », conférence du G30 du printemps 2025, disponible sur YouTube.

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