Le premier semestre 2025 a été marqué par deux tournants majeurs : la guerre tarifaire mondiale, déclenchée par les États-Unis, et les annonces d’un réarmement de l’Europe et d’un plan d’investissements allemand massif, signes du sursaut du Vieux Continent. Le second semestre, qui sera marqué par les suites de ces annonces, risque d’être tout aussi agité. En effet, l’incertitude autour du point d’atterrissage des droits de douane demeure entière. L’ampleur de l’impact inflationniste des tarifs aux États-Unis et la durée du statu quo monétaire de la Fed sont également incertaines. La politique budgétaire, américaine notamment, reste une source potentielle de perturbations sur les marchés financiers. Pour l’heure, ces derniers cherchent plutôt à voir le verre à moitié plein mais restent nerveux et vulnérables face aux mauvaises nouvelles. Il nous paraît plus probable qu’elles seront plus nombreuses de l’autre côté de l’Atlantique.
Cinq questions et cinq réponses pour 2025
En début d’année, nous avions identifié cinq questions clés pour juger si 2025 serait une bonne année ou pas pour l’économie mondiale et l’Europe[1] :
1/ Les États-Unis déclencheront-ils une guerre tarifaire mondiale ?
2/ La Chine va-t-elle enfin stimuler sa consommation intérieure de manière structurelle ?
3/ La politique budgétaire causera-t-elle un déraillement ?
4/ L’Europe entendra-t-elle les alertes qui ont retenti en 2024 ?
5/ Le Royaume-Uni peut-il se sortir de la morosité de 2024 ?
Six mois plus tard, il est temps de dresser un premier bilan et d’affiner certaines questions pour le second semestre, avec une nouvelle interrogation majeure : le second semestre sera-t-il aussi agité que le premier ?
La réponse, en résumé, aux cinq questions posées en début d’année est :
1/ Oui : même si une réponse négative aurait été préférable, les États-Unis ont bien déclenché une guerre tarifaire mondiale.
2/ Oui et non : les autorités chinoises cherchent à stimuler la consommation intérieure pour contrebalancer les effets négatifs sur l’activité de l’offensive tarifaire américaine. Mais, non, pour l’heure, ce soutien n’apparaît pas suffisant pour changer durablement les moteurs de la croissance chinoise.
3/ Non : la politique budgétaire n’a pas causé de déraillement mais le sujet reste pleinement d’actualité.
4/ Oui : l’Europe a entendu les alertes de 2024 et c’est la meilleure nouvelle de ce premier semestre.
5/ La dernière question reste en suspens mais le rapprochement du Royaume-Uni avec l’Union européenne est une évolution clairement positive.
Où s’arrêtera la guerre tarifaire mondiale déclenchée par les États-Unis ?
Le sujet de la guerre tarifaire reste plus que jamais d’actualité et la question initiale évolue : à quel niveau les droits de douane vont-ils atterrir ? L’incertitude reste entière. On ignore encore sur quel type d’accord la période de négociations de 90 jours va déboucher, notamment celles entre les États-Unis et l’UE d’ici le 9 juillet et celles entre les États-Unis et la Chine d’ici le 12 août.
La légalité des droits de douane « réciproques » est, par ailleurs, mise en cause aux États-Unis. La menace de droits de douane sectoriels supplémentaires reste brandie (sur les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques, notamment, qui bénéficient d’une exemption aujourd’hui) et de nouvelles hausses dans les secteurs déjà frappés ne peuvent être exclues (telles que celles de 25% à 50% sur l’acier et l’aluminium, annoncées le 3 juin). Il est, en revanche, à peu près sûr que les droits de douane effectifs moyens atterriront à un niveau plus élevé qu’avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. L’ampleur exacte du choc tarifaire et de ses répercussions reste incertaine, mais il y a bien un choc. Et le choc d’incertitude qui le double est aussi, si ce n'est plus, perturbant et pénalisant pour l’activité économique.
Pour le moment, les traces du choc tarifaire sur l’activité et l’inflation sont peu visibles. C’est en partie trop tôt compte tenu des nombreux revirements de l’administration Trump. La situation est loin d’être stabilisée, l’incertitude génère de l’attentisme et le phénomène des achats anticipés introduit beaucoup de volatilité dans les données. Mais les prévisionnistes s’accordent désormais à anticiper un ralentissement marqué de l’économie américaine entre 2024 et 2025 (de l’ordre de 1 point de pourcentage), tandis que les scénarios pour la zone euro sont moins défavorables, voire positifs[2]. Ainsi, d’après leurs dernières prévisions, le FMI anticipe une croissance marginalement inférieure en 2025 (0,8% en moyenne annuelle après 0,9% en 2024) tandis que la BCE la voit marginalement supérieure (0,9% après 0,8%), et pour l’OCDE elle serait un peu plus élevée (1% en 2025 après 0,8%). Notre propre scénario est plus optimiste : nous tablons sur 1,2% de croissance en 2025 pour la zone euro.
Le choc tarifaire aura-t-il un impact inflationniste aux États-Unis ?
Pour l’heure, aux États-Unis, les chiffres d’inflation disponibles (jusqu’à avril) ne portent pas de trace significative des hausses de droits de douane déjà effectives, notamment vis-à-vis de la Chine. Les signes avant-coureurs se limitent à la forte remontée des anticipations d’inflation des ménages et au net redressement des prix des intrants dans les enquêtes sur le climat des affaires.
De notre point de vue, il ne fait aucun doute que l’inflation américaine remontera sous l’effet de la hausse des droits de douane : la question qui se pose est celle de l’ampleur de ce surcroît d’inflation. Trois éléments sont de nature à le limiter : si les entreprises acceptent de rogner leurs marges[3], le ralentissement de la demande et, au moins à court terme, la baisse des prix du pétrole. Une appréciation du dollar US jouerait aussi à la baisse sur l’inflation américaine mais le billet vert n’est pas orienté en ce sens actuellement. Et à l’horizon du second semestre, il est probable qu’il continue de glisser. Compte tenu de l’incertitude actuelle, il faut aussi avoir en tête que le processus de répercussion des hausses des droits de douane sur les prix à la consommation prendra du temps, échelonnant et diluant dans le temps ses effets haussiers sur l’inflation.
La Fed prolongera-t-elle son statu quo sur les taux jusqu’à la fin de l’année ?
Notre scénario central pour les États-Unis est de type stagflationniste : une inflation plus haute malgré une croissance plus basse. Dans ce scénario, la Fed n’a pas d’autre choix que de prolonger son statu quo monétaire jusqu’à la fin de l’année. Elle ne peut pas reprendre ses baisses de taux compte tenu des risques à la hausse sur l’inflation. De plus, tant le ralentissement économique reste contenu (ce qui est le cas à ce stade au regard notamment des développements sur le marché du travail), il n’appelle pas de baisses de taux.
À l’inverse, la Fed ne peut pas augmenter ses taux directeurs pour faire face au risque inflationniste compte tenu des risques baissiers sur la croissance. Le statu quo paraît la meilleure option en attendant de voir plus comment la situation pourrait évoluer. La BCE n’est pas confrontée au même dilemme. Jusqu’en juin, les conditions étaient assez clairement réunies pour qu’elle poursuive ses baisses de taux (inflation de retour à la cible, faiblesse de la croissance). Amorcé il y a 1 an, le cycle de baisse des taux de la BCE est proche de son terme : nous tablons sur une dernière baisse de 25 points de base en septembre compte tenu des risques baissiers sur la croissance.
La politique budgétaire causera-t-elle un déraillement (bis) ?
Cette question, déjà posée en début d’année, reste d’actualité. Sur les six premiers mois de l’année, plusieurs épisodes de tensions sur les taux longs ont eu lieu. Même les États-Unis se retrouvent désormais sous surveillance : la détérioration de leurs finances publiques, que le One Big Beautiful Bill Act en cours de discussion risque d’accentuer, ne passe plus inaperçue. Du côté européen, le tournant budgétaire allemand et le plan ReArm EU posent aussi d’importantes questions de financement mais le soutien potentiel à la croissance ressort plus clairement que dans le cas américain.
Le second semestre sera-t-il aussi agité que le premier ?
Une fois encore, l’incertitude règne et c’est l’une des raisons pour lesquelles il faut plutôt s’attendre à un nouveau semestre agité. Les marchés financiers cherchent plutôt à voir le verre à moitié plein mais ils restent nerveux et vulnérables face aux mauvaises nouvelles. Il est fort probable qu’elles seront plus nombreuses de l’autre côté de l’Atlantique.