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Inde : la politique budgétaire en soutien à la croissance

02/09/2025
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En dépit d’une croissance robuste entre avril et juin 2025 (probablement surestimée), le gouvernement multiplie
les mesures de soutien à l’économie indienne.

Le « conseil de la taxe sur les biens et services », qui se réunira les 3 et 4 septembre, devrait valider la baisse des taux de TVA. Cette mesure permettrait de contrecarrer les effets de la hausse des tarifs douaniers américains sans pour autant fragiliser les finances du gouvernement central.

Forte croissance du PIB

La croissance du PIB réel a atteint +7,8% en glissement annuel (g.a.) au 1er trimestre de l’année budgétaire 2025/2026 (avril-juin 2025). C’est l’un des rythmes les plus élevés parmi les pays émergents d’Asie avec celui du Vietnam (+8% en g.a. sur la même période). La réalité est toutefois plus nuancée puisque le très faible déflateur du PIB (+0,9% en g.a.) a augmenté la croissance réelle. Cet effet ne devrait pas durer.

L’activité a été soutenue par le dynamisme de la consommation des ménages ruraux et la forte hausse des dépenses publiques. La consommation des ménages urbains est restée molle, comme l’illustre le niveau faible des ventes automobiles, des recettes de TVA et du trafic aérien. Les investissements ont décéléré. Même si les exportations sont restées robustes, la contribution des exportations nettes à la croissance du PIB a été négative en raison de la hausse des importations conjointement à la forte augmentation des stocks. Le secteur des services a enregistré la plus forte croissance (+9,3% en g.a.), tandis que l’activité de l’industrie minière s’est contractée.

Risques sur les exportations et les investissements privés

Une forte décélération de la croissance du PIB est attendue dans les prochains trimestres. L’économie indienne reste principalement tirée par la demande intérieure, mais elle pourrait être pénalisée par le durcissement de la politique commerciale américaine à court, moyen et long terme.

Un maintien, par l’administration Trump, des droits de douane américains sur les produits indiens, à des niveaux très supérieurs à ceux des autres pays d’Asie (le taux effectif a été réhaussé de 2,4% fin 2024 à 36,2% aujourd’hui contre 19,3% au Vietnam), pèserait sur la croissance (-0,6pp sur une année complète[1]). Les États-Unis sont le premier partenaire commercial à l’exportation de l’Inde (18,3% de ses exportations de biens en 2024) et son premier investisseur (hors Singapour et Maurice par lesquels transitent les flux financiers internationaux).

Les secteurs les plus fragilisés par la hausse des droits de douane américains seraient les plus intensifs en main d’œuvre. Le secteur électronique étant exempté pour l’instant, la joaillerie et le textile (respectivement 11,5% et 10% de ses exportations vers les États-Unis) sont les secteurs d’activité les plus touchés. Si les secteurs de l’électronique et de la pharmacie étaient taxés à 25%, le tarif effectif pour les produits indiens atteindrait 43% et l’impact sur la croissance indienne pourrait alors s’élever à 0,7pp de PIB.

Quel serait l’impact sur les investissements étrangers ? En dépit d’une croissance solide, d’une main d’œuvre abondante et bon marché, de conditions fiscales avantageuses, l’Inde peine à attirer les investissements directs étrangers (IDE). Les entrées nettes d’IDE, bien qu’en légère accélération au T1 2025, n’ont atteint que 0,7% du PIB au cours des quatre derniers trimestres (vs. 4,6% du PIB en Malaisie et 4,1% du PIB au Vietnam). Malgré la forte incertitude qui pèse sur l’évolution du commerce mondial, on pouvait espérer que l’Inde tirerait profit du durcissement de la politique tarifaire américaine et attirerait davantage les entreprises étrangères désireuses de diversifier leurs sites de production manufacturière.

En outre, les IDE en Inde sont principalement concentrés dans les services, l’électronique et les télécommunications (43% des IDE reçus), lesquels ne sont pas concernés, pour le moment, par la hausse des droits de douane américains. Cependant, la « surtaxe » imposée par Washington sur les biens indiens vient changer la donne. Si elle se maintenait, elle contraindrait fortement le développement industriel du pays, et pèserait non seulement sur la croissance à court terme mais aussi sur les perspectives à moyen et long terme.

Politique budgétaire expansionniste pour soutenir la croissance

Face à ces risques baissiers sur la croissance, le gouvernement a annoncé en août dernier une réforme fiscale pour stimuler la consommation des ménages dans les prochaines semaines. Même si le détail des taux qui s’appliqueraient aux différents biens de consommation n’est pas encore connu, les produits taxés à 12% pourraient ne plus l’être qu’à 5% et ceux taxés à 28% (comme l’automobile) verraient le taux réduit à 18%.

Sachant que le multiplicateur fiscal pour un choc de TVA est estimé à 1,08, que la consommation de biens non durables s’élève à 24% du PIB et celle de biens durables et semi-durables à 5,9% du PIB, la baisse des taux de TVA pourrait générer une hausse de la croissance de 0,6pp. La question est de savoir si, en adoptant une telle mesure, le gouvernement ne prend pas le risque de fragiliser ses finances publiques.

La baisse des taux de TVA ne fragiliserait pas les finances publiques

Les finances publiques sont le talon d’Achille de l’économie indienne. Le faible niveau des recettes budgétaires (9,3% du PIB pour l’année budgétaire 2024/2025) et la lourde charge d’intérêts sur la dette - qui consomme 36,3% de ses recettes - contraignent fortement la capacité du gouvernement à soutenir l’activité et à réaliser les investissements indispensables pour attirer les entreprises étrangères et développer l’industrie.

Le gouvernement s’est engagé depuis de nombreuses années dans un processus de consolidation. Toutefois, bien qu’en baisse depuis le point haut atteint en 2020/21, les déficits du gouvernement central et du gouvernement général étaient encore supérieurs, l’année dernière, au niveau d’avant l’épidémie de COVID-19. Ils s’élevaient pour l’année budgétaire 2024/2025 à respectivement 4,8% et 7,8% du PIB (vs. 4,6% et 7,2% en 2019/2020) et la dette totale atteignait 82,9% du PIB.

Dans le budget pour l’année 2025/2026, le gouvernement central projette de ramener son déficit à seulement 4,4%. Un tel objectif semble atteignable en dépit de la baisse des taux de TVA. En effet, sachant que les recettes de TVA sont collectées à 65% sur les produits taxés à 18%[2] , le manque à gagner sur les recettes fiscales du gouvernement central est estimé entre 0,5% et 0,6% du PIB pour une année complète. Le coût pour le gouvernement central serait compensé par la cessation de la compensation financière versée aux États, qui prendra effet le 31/03/2026 (estimée à 0,5% du PIB). Les États ont déjà inclus dans leurs budgets ce manque à gagner prévu depuis l’instauration de la TVA en 2017/2018. Pour compenser la perte des recettes de TVA (en moyenne 42% de leurs recettes totales), un taux de TVA de 40% sur les produits de luxe devrait être instauré.

Sans fragiliser les finances publiques du gouvernement central, la baisse des taux de TVA permettrait de soutenir la croissance. Celle-ci pourrait atteindre entre 6,3% et 6,8% pour l’année budgétaire en cours selon le gouvernement indien.


[1] En supposant que l’élasticité des exportations aux tarifs soit de 1 et en tenant compte de la part de la valeur ajoutée indienne dans ses exportations de 85% selon l’OCDE.

[2] Les recettes de TVA sur les produits taxés à 5%, 12% et 28% représentent respectivement 7%, 5% et 11% des recettes totales du gouvernement général.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE