Voici ma dernière contribution à Ecoweek avant mon départ à la retraite dans quelques semaines. Si je reviens sur ma longue carrière dans le secteur bancaire et la gestion d'actifs, j’en arrive à la conclusion que l'histoire se répète dans une certaine mesure. À mes débuts en 1987, alors que j’étais chargé d’étudier la soutenabilité de la dette publique belge, la hausse des actions américaines et la question de savoir si à Wall Street les valorisations étaient excessives était un sujet très débattu au sein de mon équipe. Ironiquement, aujourd'hui, cette question enflamme de nouveau le débat tout comme le fait que de nombreuses économies avancées ont des difficultés à maîtriser leur ratio d'endettement public élevé. Cela nous rappelle qu'à long terme, la discipline budgétaire est d'une importance capitale, sinon les gouvernements devront faire des choix de plus en plus difficiles. Si l'on regarde les marchés actions, les valorisations devraient rester très cycliques. Mais compte tenu de la rareté des récessions, combinée à la croyance dans un coup de pouce de la Réserve fédérale, les investisseurs pourraient continuer à avancer au bord du précipice et accepter les valorisations élevées de Wall Street.
Au cours de ces dernières années, j'ai rédigé plus de 300 éditoriaux pour Ecoweek . Ce fut une expérience stimulante, même si elle s'est parfois avérée difficile. C’est ici ma dernière contribution avant mon départ à la retraite dans quelques semaines. Dans un moment comme celui-ci, il est tentant de revenir sur les événements économiques majeurs ou les évolutions des marchés financiers afin d'en tirer des conclusions qui pourraient s'avérer pertinentes pour l'avenir.
Après une carrière de près de 40 ans dans le secteur bancaire et la gestion d'actifs, la principale conclusion à laquelle j’arrive est que l'histoire se répète, dans une certaine mesure. Je ne suis certainement pas le premier à le dire et je ne serai pas le dernier. Mais cette conclusion n'en reste pas moins pertinente et, de la part d'un économiste, elle n'a rien de surprenant. Après tout, les économistes et les investisseurs sont formés à rechercher des faits stylisés – des schémas récurrents entre les variables économiques et entre les variables économiques et les marchés financiers – lorsqu'ils analysent et prévoient les cycles économiques.
Mais mon raisonnement va plus loin. Après plusieurs années à l'université de Gand, j'ai rejoint le département de recherche économique de la Générale de Banque en Belgique en juin 1987. Ma première mission a consisté à étudier les finances publiques de la Belgique – qui étaient très mauvaises à l'époque – et ce qu'on appelle l'effet boule de neige, où l'augmentation de la dette publique entraîne une hausse de la charge d'intérêts, qui en retour creuse le déficit et fait gonfler la dette. Pendant l'été et au début de l'automne, l’un des sujets les plus débattus au sein de l'équipe était la hausse des actions américaines et la question de savoir si à Wall Street les cours étaient massivement surévalués. Je me souviens qu'un collègue défendait ce point de vue en se basant sur la hausse spectaculaire du ratio entre la capitalisation boursière des composants de l'indice Dow Jones et le PIB nominal.
Les fortes valorisations des marchés boursiers et les ratios d'endettement public à nouveau sur le devant de la scène Dans ce contexte, il est ironique de constater qu'aujourd'hui, les médias se demandent en boucle si les cours des actions des sociétés d'IA à Wall Street n’alimenteraient pas une bulle boursière. En outre, de nombreuses économies avancées sont confrontées à un défi majeur : stabiliser leur ratio d'endettement public élevé. Il est tentant de dire que la boucle est bouclée ou que l'histoire se répète. Un jeune économiste qui rejoindrait notre banque aujourd'hui pourrait très bien se voir confier les mêmes sujets que ses prédécesseurs il y a près de 40 ans.
On pourrait trouver ma comparaison trop restrictive. En réalité, la valorisation des marchés boursiers et l'état des finances publiques offrent une image très incomplète de la situation économique.
Si l'on élargit la perspective, on trouve aussi de bonnes nouvelles. La première est qu’en France, où je travaille depuis 11 ans, et en Belgique, mon pays d'origine, le taux de chômage est plus bas aujourd'hui qu'au début de ma carrière. La deuxième est que, dans ces deux pays, l'inflation a été maîtrisée la plupart du temps depuis 1985.
Cependant, le ratio de dette publique/PIB était très faible dans les années 80 en France (34,5 % en 1987 selon les données de l'INSEE), mais il a suivi une tendance à la hausse depuis[1] et est à l’origine du défi politique actuel que nous connaissons tous trop bien. En Belgique, la dette publique en pourcentage du PIB a doublé entre 1976 et 1986, passant d'environ 60 % à 120 %, pour atteindre un peu plus de 130 % au cours de la première moitié des années 1990. L'ambition de faire partie de l'Union économique et monétaire dès sa création a rendu l'assainissement budgétaire politiquement acceptable. La discipline budgétaire, suivie d'un environnement conjoncturel favorable, a conduit à une baisse du ratio d'endettement belge sous la barre des 90 % en 2007[2] . Depuis, il a de nouveau augmenté, atteignant 104,4 % en 2024[3] .
La valorisation des marchés boursiers et les finances publiques reviennent au centre de l’attention : simple coïncidence ? En ce qui concerne les finances publiques, la réponse est non. Certes, l'évolution à long terme de la dette publique résulte de facteurs conjoncturels et structurels (croissance, inflation, taux d'intérêt réels, etc.), mais les choix politiques – ou l'absence de choix – jouent également un rôle crucial pour expliquer les différences d’endettement entre pays. Sur le plan économique, ces choix se reflètent dans le solde primaire corrigé des variations conjoncturelles en pourcentage du PIB potentiel. Comme le montre le graphique 1, cet indicateur s'est régulièrement détérioré en France et en Belgique depuis la seconde moitié des années 1990.
SOLDE PRIMAIRE CORRIGÉ DES VARIATIONS CONJONCTURELLES
En ce qui concerne le marché boursier américain, sa performance cumulée au cours des quatre dernières décennies a été impressionnante, mais les fluctuations à court terme ont également été importantes. Une telle volatilité est normale compte tenu des fluctuations cycliques des bénéfices des entreprises et de la surréaction des marchés due aux fluctuations de l'appétit pour le risque. Ce qui est frappant, cependant, c'est que nous nous trouvons (à nouveau) dans un environnement où les valorisations boursières sont très élevées. C’est ce que révèle le graphique 2, qui montre un indicateur populaire et très pertinent[4] , le ratio cours/bénéfice ajusté en fonction du cycle (CAPE), développé par le lauréat du prix Nobel Robert Shiller, et le graphique 3, qui montre la capitalisation boursière américaine en pourcentage du PIB, un indicateur rendu populaire par Warren Buffett[5] .
INDICE COMPOSITE S&P : RATIO COURS/BÉNÉFICE AJUSTÉ EN FONCTION DU CYCLE
ÉTATS-UNIS : CAPITALISATION BOURSIÈRE DES SOCIÉTÉS DOMESTIQUES COTÉES La soutenabilité de la dette publique et le risque de bulle boursière sont encore une fois d’actualité : quelles leçons peut-on en tirer ? En matière de politique budgétaire, la discipline est importante à long terme sinon une situation initialement (plutôt) saine peut se détériorer progressivement et la hausse des coûts d'emprunt, due aux inquiétudes des investisseurs quant à la dynamique insoutenable de la dette, risque de créer un cercle vicieux qui obligerait les gouvernements à faire des choix très difficiles. Soit dit en passant, la question de la discipline s'applique également à la politique monétaire : laisser l'inflation s'écarter de sa cible rend finalement de plus en plus difficile le maintien d'anticipations inflationnistes bien ancrées.
Si l'on examine les marchés actions et, par extension, les classes d'actifs plus risqués que les obligations souveraines de haute qualité, les valorisations devraient rester très cycliques. Mais en raison de la rareté des récessions, combinée à la croyance dans un coup de pouce de la Réserve fédérale (« Federal Reserve put », c'est-à-dire que celle-ci baisserait les taux en cas de correction importante du marché afin de lutter contre son impact négatif sur l'économie), les investisseurs pourraient être prêts à avancer toujours au bord du précipice et accepter des valorisations élevées.