Les finances publiques des économies avancées de notre étude (États-Unis, Allemagne, France, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Japon) subissent une conjonction de contraintes. La remontée structurelle des taux d’intérêt complique d’ores et déjà la donne, mais ses effets ne se font pas encore pleinement ressentir. Lorsque ce sera le cas (à la fin de la décennie), la plupart des pays devront générer des excédents primaires afin de stabiliser leur ratio d’endettement. En parallèle, les finances publiques devront également financer des besoins liés au vieillissement de la population, à la défense et au changement climatique. Dans ce contexte, une croissance plus élevée faciliterait la stabilisation des ratios de dette publique/PIB, et inversement.
Le plein effet de la remontée des taux d’intérêt reste à venir Après la crise de 2008, les finances publiques ont bénéficié d’une longue période de taux d’intérêt faibles. Cela a réduit le service de la dette, facilitant ainsi les ajustements ou limitant la détérioration des déficits.
La donne a changé, et ce probablement durablement. Les finances publiques sont soumises depuis début 2022 à l’augmentation des taux d’intérêt. Un effet que l’inflation est d’abord venue contrecarrer en maintenant le taux d’intérêt réel à un bas niveau. Maintenant que l’inflation a diminué, ce dernier a entamé un rebond. Néanmoins, la maturité moyenne plutôt longue des dettes publiques maintient un taux d’intérêt apparent sur la dette nettement inférieur au taux d’intérêt de marché.
Une divergence existe entre deux groupes de pays :
- En zone euro, l’inflation est déjà modérée, mais la maturité moyenne de la dette est relativement élevée, ce qui continue de retarder la pleine transmission de la hausse des taux d’intérêt au taux apparent.
- Au Royaume-Uni, au Japon ou aux États-Unis, l’inflation reste significative (elle atteint ou dépasse 3%) et joue toujours à la baisse sur le taux d’intérêt réel.
Dans tous les cas (maturité ou inflation élevée), les finances publiques conservent une marge de manœuvre car le taux d’intérêt apparent réel (r) reste inférieur à la croissance réelle du PIB (g). Toutefois, à terme, c’est bien vers une convergence de r vers g que l’on s’oriente. Or, plus le niveau du r-g s’élève, plus le solde primaire doit augmenter pour parvenir à stabiliser la dette publique par rapport au PIB (et a fortiori pour faire baisser le ratio). Jusqu’à devoir générer des excédents primaires pour stabiliser l’endettement voir notre analyse .
Selon nos calculs voir l’analyse , l’Italie est d’ores et déjà dans cette situation, en raison de taux d’intérêt historiquement plus élevés (mais déjà capable de générer les excédents primaires correspondant). La convergence de r vers g est assez avancée aux États-Unis, où la maturité moyenne de la dette est relativement courte (6 ans, voir l’analyse . Ainsi, le taux d’intérêt apparent reflète déjà largement la remontée des taux d’intérêt de marché.
Pour les autres pays, r devrait rattraper g d’ici à la fin de la décennie. L’Allemagne et le Japon, qui sont les pays qui ont le plus expérimenté les taux négatifs, ne subiraient une telle convergence que lors de la prochaine décennie.
ÉCART ENTRE TAUX D’INTÉRÊT NOMINAL APPARENT ET CROISSANCE NOMINALE DU PIB (R-G)
Les dépenses publiques sont soumises à des pressions croissantes Trois types de pression sont communes à tous les pays considérés mais à des degrés divers : la charge de la dette, le vieillissement de la population, et les dépenses de défense. Le FMI a produit une estimation du surcroît de dépenses publiques que ces éléments nécessiteraient à 2050 en Europe. Or, il apparait qu’une partie de ce surcoût pèse déjà sur les finances publiques.
La charge d’intérêt subit d’ores et déjà la remontée des taux d’intérêt. C’est une dépense, dont l’augmentation accentue l’effort à fournir sur le reste des dépenses afin de stabiliser le ratio de dette publique.
En parallèle, le vieillissement de la population exerce également une pression à la hausse sur les dépenses publiques, notamment sur les deux principaux postes de dépenses sociales - la santé et les retraites - alors même que ces dépenses pèsent déjà lourd.
Aux États-Unis, le CBO estime que les postes liés à la retraite et à la santé vont croître pour atteindre 11,2% en 2050, contre 8,3% en 2024. Concernant le Japon, les prévisions du FMI indiquent une part de près de 23,0% pour la somme retraites/santé en 2040.
Concernant les retraites, le poids du vieillissement sur les finances publiques dépend du ratio entre ceux qui cotisent (les actifs) et ceux qui reçoivent les prestations (notamment les retraités). Ce ratio varie d’un pays à l’autre, mais il a fortement diminué partout et se trouve déjà nettement inférieur à 2 dans la plupart des pays, dont le Japon, l’Italie, l’Allemagne ou la France. Et l’évolution actuelle et projetée de la démographie est telle, que ce ratio devrait continuer de se détériorer à l’avenir.
Pour limiter l’impact du vieillissement sur les dépenses sociales, plusieurs pays ont engagé des réformes qui repoussent l’âge de départ à la retraite. En outre, des mesures favorisant le cumul emploi-retraite ont récemment été annoncées en Allemagne. Face à l’évolution de la pyramide des âges, plusieurs pays ont mis en place des dispositifs visant à augmenter le taux d’emploi. Certains concernent les jeunes (apprentissage, formation professionnelle), mais la plupart ciblent les travailleurs plus âgés. Les Pays-Bas illustrent particulièrement cette dynamique : le taux d’emploi des 55-64 ans y atteint près de 75%.
Selon nos estimations, si la France continuait à augmenter, comme elle a commencé à le faire, le taux d’emploi de 55-64 ans pour atteindre la moyenne européenne – soit un gain de 4 pp – elle pourrait dégager chaque année EUR 25 mds (soit 0,8% du PIB) supplémentaires pour ses finances publiques. Ce résultat proviendrait à la fois d’une hausse des recettes (cotisations sociales, TVA et impôt sur le revenu, les actifs ayant une consommation et un revenu supérieurs aux retraités) et d’une réduction des dépenses (moins de pensions versées).
Le poids croissant des dépenses sociales résulte également de choix. Ceux-ci portent autant sur le niveau des prestations (en France, par exemple, le niveau moyen des pensions est comparable au salaire moyen, alors qu’il y est inférieur dans les autres pays) que sur leur évolution (notamment le degré d’indexation sur l’inflation durant la crise inflationniste, supérieur à 100% en France, souvent inférieur dans d’autres pays).
DÉPENSES SOCIALES (% DU PIB)
L’effort de réarmement exercera, lui aussi, une pression croissante Les États-Unis consacrent d’ores et déjà 3,5% de leur PIB aux dépenses de défense. Ils devraient maintenir leur effort à ce niveau et les autres pays membres de l’OTAN devraient converger vers cette norme. L’Union européenne s’y est engagée à l’horizon de la fin de la décennie, contre environ 1,9 % du PIB en moyenne en 2024. Le Royaume-Uni a également entrepris de faire croître ses dépenses, même si les contraintes budgétaires impliquent que la montée en charge devrait rester progressive (de l’ordre de 0,1 pp par an pour atteindre 2,6% du PIB en 2027). Le Japon a, lui, fortement accru son budget pour le rapprocher du niveau minimal requis par l’OTAN (2% en 2025, contre près de moitié moins jusqu’en 2022). L’enjeu est de taille pour tous les pays car cette contrainte pèse de conserve avec celles précédemment citées.
En Europe, les plans annoncés au printemps 2025 avancent, dans l’ensemble, conformément au calendrier et selon le montant des enveloppes définies voir notre analyse . Selon nos estimations, les dépenses de défense atteindraient 2,8 % du PIB en 2027.
L’effort n’est toutefois pas homogène. La majeure partie devrait provenir de l’Allemagne (voir l’ EcoPerspectives Allemagne ), ce qui a été autorisé par la suspension temporaire des règles européennes limitant le déficit budgétaire, ainsi que par le biais d’une exception à la règle allemande du frein à l’endettement. Un effort que les finances publiques allemandes peuvent se permettre étant donné un ratio de dette publique contenu. À l’inverse, l’Espagne ne devrait augmenter ses dépenses que vers 2% du PIB.
Par ailleurs, l’effort restera progressif, notamment dans les pays où le déficit public élevé réduit les marges de manœuvre budgétaires. Pour la France, l’augmentation du budget de la défense de EUR 6,7 mds, annoncée dans le cadre du projet de loi de Finances 2026, équivaut à environ 0,2 point de PIB de dépenses de défense en plus. Cette augmentation devrait se maintenir jusqu’à la fin de la décennie, pour atteindre près de 3 % de PIB en 2030.
Des équations que davantage de croissance pourrait permettre de résoudre… ou moins de croissance viendrait compliquer Dans une analyse récente voir le détail , nous avons montré que le ratio d’endettement devrait continuer de baisser d’ici la fin de la décennie au Japon, en Italie et en Espagne, en partant néanmoins d’un niveau élevé. Aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni, la hausse devrait se poursuivre. Elle s’enclencherait en Allemagne. Toutefois, dans la plupart de ces pays, selon nos prévisions, le ratio de dette publique se stabiliserait en fin de décennie grâce à des efforts de consolidation budgétaire. Les États-Unis se distingueraient avec un solde budgétaire primaire qui resterait, à horizon 2030, très nettement en dessous du niveau requis pour stabiliser le ratio de dette publique sur PIB.
Ces scénarios de consolidation budgétaire progressive dépendent de paramètres soumis à de forts aléas : la croissance du PIB, le rythme de consolidation budgétaire et le niveau des taux d’intérêt. Or, ces éléments interagissent.
Les risques sur la croissance nous apparaissent équilibrés et la probabilité de leur survenance non négligeable. La survenue d’un choc négatif engendrerait une trajectoire de croissance plus erratique que dans un scenario par nature lissé, ce qui entraînerait une pause dans la consolidation et compromettrait d’autant plus une stabilisation de l’endettement public au terme de la décennie. Cette situation appellerait une réponse de politique monétaire de nature à générer un rebond de la croissance, que ce scenario baissier n’incorpore pas.
À l’opposé, les hypothèses actuelles autour de la croissance potentielle peuvent sous-estimer les effets de l’innovation, notamment en matière d’intelligence artificielle. Celle-ci soutient actuellement la croissance réelle, directement par l’intermédiaire d’investissements dans les biens d’équipements technologiques et dans les logiciels et, indirectement, via des effets de richesse. Une adoption rapide par le reste de l’économie, encore embryonnaire aujourd’hui, constituerait un scénario haussier sur la croissance, même si son impact positif sur les recettes fiscales pourrait être amoindri par l’éventuel contenu faible en emplois de cette croissance. Les efforts européens de réarmement sont également porteurs de croissance et de gains de productivité. Ils sous-tendent nos prévisions d’un rebond de l’activité dans la zone euro au cours des deux prochaines années mais le soutien devrait aller au-delà de cet horizon. Les investissements liés à la transition énergétique et à la décarbonation sont un autre facteur de croissance.
Nous évaluons donc, à l’aide du graphique 3, l’étendue de ces risques haussiers ou baissiers sur la trajectoire probable de consolidation budgétaire.
Logiquement, pour les pays où l’effort de consolidation demandé est déjà important, la répétition de chocs négatifs éloignerait durablement le solde primaire du seuil permettant de stabiliser le ratio d’endettement, notamment en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. En Espagne, en Italie et, dans une moindre mesure, au Japon, l’impact d’une croissance plus basse sur le déficit primaire ne serait pas suffisant pour engendrer une augmentation du ratio de dette publique.
En cas de choc positif (croissance supérieure de 0,5 point à notre scénario actuel), en France et au Royaume-Uni, le déficit primaire stabilisant la dette publique pourrait être atteint dès 2028. Aux États-Unis, compte tenu du niveau très dégradé du déficit budgétaire, un tel surcroît de croissance ne permettrait pas une stabilisation du ratio de dette, mais il l’en rapprocherait. Dans les autres pays de la zone euro ou au Japon, une croissance plus élevée contribuerait à esquisser une trajectoire d’endettement public plus favorable (stabilisation dès 2028 en Allemagne, diminution plus prononcée de la dette publique en Italie, en Espagne ou au Japon).
ÉVOLUTION DU SOLDE BUDGÉTAIRE PRIMAIRE DANS DIFFÉRENTS SCÉNARIOS DE CROISSANCE
Les finances publiques devront également faire face à d’autres besoins Ces besoins ont notamment trait au verdissement de l’économie, à la politique industrielle et au développement de l’IA. L’ampleur avec laquelle ces besoins pèseront sur les finances publiques est difficile à évaluer, car elle dépendra des stratégies nationales et notamment du partage des financements nécessaires entre le secteur public et le secteur privé. Toutefois, ce coût pourrait être conséquent.