La croissance de la zone euro a plutôt bien résisté aux chocs jusqu’ici (accompagnée notamment par une accélération des nouveaux crédits sur fond de baisse des taux) et devrait progressivement accélérer. Les exportations resteront fragilisées par la concurrence chinoise et le protectionnisme américain. Toutefois, le rebond prévisible de l'activité en Allemagne bénéficiera à la croissance de la zone euro. Au demeurant, la bonne tenue du marché du travail soutient le pouvoir d’achat des ménages, sans susciter de tensions inflationnistes, offrant à la BCE de la visibilité et des marges de manœuvre si nécessaire.
Croissance : résistance en 2025, accélération ensuite CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE) La croissance a été irrégulière au S1 2025, notamment en raison de la nette augmentation des exportations vers les États-Unis au T1 (Allemagne, Irlande) puis du contrecoup au T2. Ce qui frappe, c’est le rythme relativement soutenu de cette croissance (0,3% t/t en moyenne par trimestre sur le semestre), malgré l’augmentation des tarifs douaniers américains. La hausse serait du même ordre au S2 2025 (+0,2 % au T3, +0,3 % au T4), avant un renforcement en 2026 (+0,5 % en moyenne par trimestre). L’accroissement des dépenses militaires en Europe et les plans de soutien à l’investissement public et privé en Allemagne, ajouteraient, respectivement, 0,3 et 0,5 point de croissance en 2025 et 2026. La bonne tenue du marché du travail et l’inflation modérée soutiendraient plus particulièrement la consommation des ménages. La récession industrielle devrait prendre fin (le PMI manufacturier est repassé en août au-dessus des 50 pour la première fois en trois ans), ce qui permettrait à l’Allemagne et à l’Italie de renouer progressivement avec la croissance. La nécessité d’accroitre les dépenses liées à la transition énergétique et écologique, combinée à la baisse passée des taux de la BCE et à la hausse induite du volume du crédit, viendront également en soutien de l’investissement des entreprises.
Le dynamisme des nouveaux crédits pourrait être modéré par la stabilisation des taux Les nouveaux crédits à l’investissement aux entreprises sont demeurés dynamiques en juillet 2025 (en cumul annuel, +15,2% a/a) alors que les taux d’intérêt sont relativement stables depuis février (environ 3,6% pour ceux avec une période de fixation initiale du taux>5 ans). Le taux des nouveaux crédits de trésorerie (taux variable et période de fixation initiale du taux<3 mois) a poursuivi sa baisse en juillet 2025 (-5 pb m/m à 3,31%), mais devrait se stabiliser. Les nouveaux crédits de trésorerie cumulés sur un an ont accéléré en juillet 2025 à 9,0% a/a, ce qui pourrait refléter des difficultés de trésorerie de certaines entreprises ou un accroissement des stocks.
En ce qui concerne les ménages, la stabilité du taux des nouveaux crédits à l’habitat, toutes maturités confondues, durant le S1 2025 (3,3% entre février et juillet) pourrait globalement se poursuivre au S2. La tarification des prêts à taux fixe (environ 75% des nouveaux crédits à l’habitat en zone euro) repose largement sur le taux swap 10 ans/3 mois (augmenté d’une prime de liquidité) dont la baisse depuis 2024 contraste avec la hausse des taux souverains. Ainsi, le coût des nouveaux prêts à taux fixe (supérieurs à 10 ans) est demeuré stable à 3,12% entre avril et juillet 2025. Il devrait le rester car la BCE ne devrait plus réduire ses taux selon notre scénario. Ainsi, les nouveaux crédits à l’habitat vont perdre le principal facteur de soutien à leur dynamisme récent (en cumul annuel, +28,7% a/a en juillet 2025). Au demeurant, certains ménages attentistes pourraient être incités à passer à l’achat dès lors qu’ils n’anticiperaient plus de baisse supplémentaire des taux. Les banques et les ménages anticipant une relative stabilité de la demande de crédits à la consommation, ces derniers devraient, quant à eux, conserver une dynamique proche de celle constatée actuellement (en cumul annuel, +1,3 % a/a en juillet 2025) tandis que leur taux demeure historiquement élevé (7,5% en juillet 2025 contre 5,5% en moyenne entre 2018 et 2022).
Les tensions sur le marché du travail pourraient s’accentuer À 6,2% en juillet, le taux de chômage en zone euro s’est établi à un niveau comparable à son plus bas historique et devrait continuer à se replier. L’hétérogénéité entre les pays se réduit. La remontée du chômage observée en France et en Allemagne depuis un an est limitée (+0,2 point et +0,3 point sur un an). Elle est, par ailleurs, largement compensée par les améliorations observées en Europe du Sud, qui devraient se poursuivre. La Commission européenne estimant que le taux de chômage plancher qui permet d’éviter une accélération de l’inflation (NAIRU) est de 6,5% en zone euro, le marché du travail serait déjà sous tension. Une baisse supplémentaire du taux de chômage pourrait s’accompagner de pressions salariales plus importantes. Parallèlement, le rebond des gains de productivité est insuffisant pour abaisser les coûts unitaires du travail (+ 3,1% en g.a. au T2) qui constituent l’indicateur le plus pertinent des coûts de production. Néanmoins, à brève échéance (fin 2025), les hausses de salaires devraient refluer, favorisant le repli de l’inflation dans les services (cf. graphique 2 ).
ZONE EURO : ÉVOLUTION DES SALAIRES ET INFLATION (EN %) Inflation : peu d’écart à la cible L’inflation resterait stable autour de la cible de 2% et les risques équilibrés : si les dynamiques internes (marché du travail plus tendu, croissance des salaires supérieure aux gains de productivité) sont de nature à alimenter la hausse des prix, notamment dans les services, les facteurs exogènes modéreraient celle-ci : l’EUR/USD continuerait de s’apprécier modérément (1,22 fin 2026 selon nos prévisions), la stabilisation du prix des hydrocarbures allègerait la composante énergie, tandis que les coûts de fret ont continué de se normaliser après les tensions de 2024. Par ailleurs, la hausse des importations en provenance de Chine s’est amplifiée avec la baisse du yuan et cette tendance pourrait se poursuivre. Dans cette perspective, cette désinflation importée limiterait le risque d’une réaccélération de l’inflation en zone euro.
La BCE en bonne position Eu égard aux perspectives d’inflation, la BCE est dans une position confortable. À 2% actuellement sur le taux de la facilité de dépôt, le cycle de baisse des taux d’intérêt est, selon nous, clos, dans la mesure où l’activité devrait se renforcer. Face au risque plus fréquent de choc sur les prix et l’activité, la BCE tolérera des écarts à la cible, même prolongés, pour autant que ceux-ci ne soient pas trop importants et qu’ils ne remettent pas en cause l’ancrage des anticipations d’inflation – un objectif réussi jusqu’à présent (selon la BCE, les anticipations d’inflation médianes des ménages à long terme (5 ans) étaient stables à 2,1% en juillet). Cette tolérance transparait dans les dernières projections d’automne (11 septembre) de la BCE, avec des prévisions d’inflation sous la cible des 2% en 2026 (1,7%) et 2027 (1,9%). Néanmoins, en cas de choc négatif impliquant un risque baissier persistant sur les prévisions d’inflation, la BCE a laissé la porte ouverte à baisser davantage ses taux directeurs. Parallèlement, le processus de resserrement quantitatif devrait se poursuivre avec une politique de ventes passives alimentant la réduction du bilan de la BCE en 2026.
L’accroissement du déficit budgétaire resterait maîtrisé La politique budgétaire européenne sera modérément expansive en 2026. Le déficit public en zone euro devrait augmenter en 2025-26, mais celui-ci se maintiendrait proche de la cible des 3% du PIB. L’accroissement du déficit en Allemagne serait compensé par une amélioration du solde primaire en France, en Italie et en Espagne. La remontée des taux obligataires aurait un effet relativement limité à court terme sur le service de la dette, du fait de l’allongement des maturités moyennes des titres souverains (8,3 ans en moyenne en zone euro), mais accroîtrait progressivement l’effort de consolidation budgétaire dans les pays les moins bien positionnés, en France notamment. La mise en route du mécanisme européen de prêts pour la défense (SAFE, les pays européens devant soumettre leurs requêtes à la Commission d’ici au 30 novembre) et la clause dérogatoire (permettant pendant 4 ans aux gouvernements nationaux d’accroître leurs investissements dans la défense jusqu’à 1,5% du PIB sans que cela soit pris en compte dans le calcul du déficit public) permettront néanmoins de faciliter une partie de l’effort de consolidation au niveau national.
ZONE EURO : ÉCHANGES COMMERCIAUX AVEC LA CHINE Comptes extérieurs : les freins aux exportations se renforcent Choc tarifaire américain, appréciation de l’euro, montée en gamme chinoise : les obstacles aux exportations européennes se cumulent en 2025. Si l’évolution de la politique commerciale des États-Unis reste incertaine, l’accord avec ces derniers (taxant à hauteur de 15 % la majorité des exportations européennes) est plus favorable que pour la plupart des pays (notamment car, dans le cas de l’UE, ces 15% incluent les tarifs préexistants et, en principe, à venir). La concurrence chinoise, frein structurel majeur aux exportations européennes, s’est durcie depuis la Covid et la dépréciation du yuan, amorcée en 2022 : les exportations de la zone euro vers la Chine ont chuté de 33 % (déc. 2019–juin 2025, cf. graphique 2 ) et de 27 % vers l’ASEAN sur la même période. Les baisses structurelles d’activité dans les secteurs intermédiaires (pétrochimie, plasturgie, sidérurgie), sur fond de décarbonation des économies, seront notamment difficiles à enrayer. Dans le même temps, les importations européennes en provenance de Chine ont bondi de 41 %. Face au risque portant sur la demande américaine et chinoise, l’UE mise sur une diversification (Mercosur, Inde, Philippines, Indonésie), mais elle devra d’abord et surtout relancer ses échanges internes. Les exportations intra-zone euro ont en effet reculé de 2 % depuis fin 2019 (cf . notre focus dans ce numéro pour un panorama plus global des dernières évolutions du commerce international).
Les tensions commerciales entre l’UE et la Chine se sont progressivement amplifiées depuis l’automne 2024, période d’instauration des taxes européennes sur les véhicules électriques chinois (des représailles ont été introduites par la Chine, sur les spiritueux et le porc). Force est toutefois de constater que le déséquilibre entre les deux zones continue de s’aggraver. L’effet de normalisation post-Covid évacué (les importations en provenance de Chine et le déficit bilatéral de l’UE avaient bondi en 2020-2021), le déficit est reparti à la hausse à partir de 2024. La concurrence des biens chinois sur le sol européen continue donc de s’accroître et risque de s’amplifier avec le reroutage probable vers l’Europe des exportations chinoises vers les États-Unis.
Achevé de rédiger le 12 septembre 2025