La relation historique entre les indicateurs économiques joue un rôle central dans les attentes des marchés. Aux États-Unis, la règle de Sahm est un « fait stylisé » d’importance : lorsque la hausse du taux de chômage atteint un certain seuil, comme on l'a vu récemment, une récession s’ensuit ou est déjà amorcée. Les statistiques de l'emploi publiées début août ont montré que ce seuil critique avait été franchi, entraînant une détérioration du sentiment des investisseurs. À Jackson Hole, Jerome Powell a expliqué que l'attention de la Fed se tournait désormais vers le marché du travail et a envoyé un message clair indiquant que le cycle de baisse des taux commencerait en septembre. En zone euro, la relation négative entre les prévisions d'embauche des entreprises et les attentes des ménages en matière de chômage au cours des 12 prochains mois est également un fait stylisé important. Les investisseurs ont donc été soulagés de voir le premier critère augmenter en août après plusieurs mois de baisse, bien que les anticipations de chômage des ménages aient connu une légère détérioration. Les attentes en matière de chômage et les perspectives d’inflation sont fortement corrélées avec les anticipations des ménages sur l'évolution de leurs ressources financières, lesquelles influencent les dépenses de consommation. À mesure que le processus de désinflation se poursuit, les analystes et la BCE devrait progressivement s’intéresser davantage au marché du travail, comme c'est déjà le cas aux États-Unis.
Le mois d'août est souvent marqué par de la volatilité sur les marchés. Cette année n'a pas fait exception à la règle, après la publication de statistiques décevantes sur le marché du travail américain et la décision surprise de la Banque du Japon de relever son taux directeur, tout en indiquant qu'elle entendait poursuivre ce processus de resserrement. Bien que les marchés aient rapidement rebondi par la suite, les événements — notamment aux États-Unis — viennent nous rappeler l'importance des interactions entre les faits (les indicateurs économiques), les faits stylisés (la relation historique entre les indicateurs économiques et entre ces données et l'évolution du marché) et le sentiment. Les mauvaises nouvelles économiques peuvent déclencher une détérioration du sentiment, ce qui peut conduire à une faiblesse accrue des données futures s'il existe un lien historiquement étroit entre ces données et l’économie en général. Ce phénomène illustre le risque d'une spirale négative autoentretenue (« self-fulfilling pessimism », ou pessimisme auto-réalisateur phénomène décrit par Susan Collins, présidente de la Réserve fédérale de Boston[1]).
Début août, le constat que le taux de chômage aux États-Unis avait augmenté pour le quatrième mois consécutif, pour atteindre 4,3 %, avait fait naître la crainte de l'imminence d'une récession dans la mesure où le seuil de récession de la « règle de Sahm » avait été franchi.[2] Cette « règle » donne une parfaite illustration d'un fait stylisé. Selon les données historiques, lorsque le taux de chômage franchit ce seuil, cela marque le début d’une récession. Toutefois, ce signal ne doit pas être considéré comme infaillible.
En revanche, il nous contraint à accorder plus d'attention encore aux éventuelles données qui iraient dans ce sens. Telle est également l'approche suivie actuellement par la Réserve Fédérale. Lors de son allocution au colloque de Jackson Hole, Jerome Powell, le Président de la Fed, a insisté sur le fait que « l’économie continue à croître à un rythme soutenu. Toutefois, les données d’inflation et du marché du travail montrent une situation en pleine évolution. Les risques haussiers sur l'inflation ont diminué. Et les risques baissiers sur l'emploi ont augmenté ».[3] Il s'agit d'un message sans équivoque selon lequel le cycle de baisses des taux devrait commencer à l'occasion de la réunion des 17-18 septembre du comité directeur de la Réserve Fédérale (FOMC), le rythme des réductions futures étant conditionné aux données et notamment aux statistiques sur le marché du travail.
La zone euro n'est pas non plus étrangère aux faits stylisés. Au stade actuel, un fait stylisé important est la relation entre les prévisions d'embauche des entreprises et les attentes des ménages en matière de chômage au cours des 12 prochains mois. Comme le montre le Graphique 1, lorsque le premier critère diminue, le second tend à augmenter. Bien que les attentes en matière de chômage n'entrent pas dans la composition de l'indice de confiance des ménages de la Commission européenne[4], elles pourraient tout de même exercer une influence sur la consommation des ménages.
Le Tableau 1 présente la relation entre plusieurs indicateurs de confiance des ménages et la croissance trimestrielle de la consommation réelle des ménages.[5] La situation financière au cours des 12 prochains mois offre le meilleur résultat, suivi de près par l'indice de confiance de la Commission. Les attentes en matière de chômage affichent la corrélation statistique la plus faible.[6] Ces résultats, qui montrent le rôle central des anticipations des ménages sur l'évolution de leurs ressources financières, amènent à se poser la question de savoir quels facteurs pourraient influencer la consommation des ménages. En théorie, les prévisions d'inflation et les attentes en matière de chômage pourraient jouer un rôle.[7] Ces deux indicateurs sont pris en compte dans les données de l'enquête de la Commission européenne sur la confiance des ménages, à travers respectivement la tendance des prix sur les 12 prochains mois et les attentes en matière de chômage au cours des 12 prochains mois. Or, étant donné que la relation entre ces données et les anticipations financières est susceptible de fluctuer, l'échantillon de données a été décomposé en sous-échantillons plus petits, plutôt que d'utiliser l'ensemble des données dans une régression unique. Les résultats de cette analyse sont présentés dans le Graphique 2.
Il est intéressant de noter qu'on observe d'importantes fluctuations de la relation globale (R², représentée par la ligne en pointillés) entre les anticipations financières et les attentes en matière de chômage et d'inflation. Au cours de la période récente, cette relation globale a été élevée. Par ailleurs, le test T (représenté par les lignes de couleur bleue et verte) des deux variables explicatives fluctue également. Il est utile de garder cette observation à l'esprit au moment d'analyser la manière dont les anticipations des ménages sur leur situation financière sont susceptibles d'évoluer à court terme. Sur la base de la dernière régression, les attentes en matière d'inflation et de chômage revêtent une importance égale. Selon un scénario de poursuite du processus de désinflation, on pourrait prévoir que les anticipations sur l'évolution des prix joueront un rôle moins important dans les anticipations des ménages sur l'évolution de leurs ressources financières. Par conséquent, les analystes et la BCE devraient progressivement s'intéresser davantage au marché du travail, comme c'est déjà le cas aux États-Unis. En dépit de la légère détérioration des attentes des ménages en matière de chômage observée en août, il est plutôt rassurant d'observer que les prévisions d'embauche des entreprises se sont redressées après plusieurs mois de baisse pour revenir désormais à un niveau proche de leur moyenne à long terme.