Notre scénario central d’un décollage de la zone euro et d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine, confirmé par les derniers indicateurs disponibles, se caractérise par une convergence des taux de croissance. Il pourrait, toutefois, se trouver perturbé par les incertitudes politiques des deux côtés de l’Atlantique (issues incertaines des élections législatives anticipées en France et de l’élection présidentielle américaine). Par ailleurs, si la BCE a amorcé, comme attendu, son cycle de détente monétaire en juin, apportant un soutien opportun à la croissance, la Fed temporise encore. Ce prolongement du statu quo, même s’il paraît fondé pour l’heure, constitue un autre risque baissier. La croissance bénéficie toutefois d’autres facteurs de soutien et de résistance, au premier rang desquels les gains de salaires réels. Le dynamisme du tourisme, le soutien des politiques publiques (telles que Next Generation EU en Europe, et l’IRA aux États-Unis), les investissements en faveur de la transition bas-carbone, la dissipation du choc énergétique constituent également des facteurs favorables.
L’incertitude entourant l’issue des élections européennes, qui se sont tenues du 6 au 9 juin, est désormais levée, le résultat est connu. Mais l’incertitude sur les implications concrètes de ces résultats sur l’agenda de l’Europe reste importante. De prime abord, la composition du nouveau Parlement européen élu pour 2024-2029 a, globalement, peu changé, avec les partis centristes, rassemblant le PPE, le groupe S&D et Renew Europe, toujours majoritaires (399 sièges sur 720 selon le décompte du 27 juin, toujours provisoire) même si c’est dans une moindre mesure (cf. graphique). La forte progression des partis d’extrême-droite (CRE et ID) au détriment du groupe Renew Europe et des Verts constitue le premier fait marquant de ces élections. À ce stade, il est difficile de savoir quelles seront les implications exactes de cette reconfiguration politique sur les priorités de l’agenda européen, à quel point les compromis nécessaires pour continuer de le faire avancer seront faciles ou difficiles à trouver.
À l’issue du Conseil européen du 27 juin, les axes prioritaires pour les cinq prochaines années[1] ont été définis. Il s’agit « face à une nouvelle réalité géopolitique, de rendre l'Europe plus souveraine et mieux équipée pour relever les défis à venir ». Ce programme stratégique repose sur trois piliers : une Europe libre et démocratique, une Europe forte et sûre, une Europe prospère et compétitive ». Ce dernier point pourra notamment s’appuyer sur les rapports d'Enrico Letta (sur le marché unique), de Christian Noyer (sur les marchés de capitaux européens) et celui, à venir, de Mario Draghi (sur la compétitivité). La convergence des taux de croissance entre la zone euro et les États-Unis que nous prévoyons à l’horizon 2025, si elle se matérialise, ne constituerait qu’un tout petit pas en avant au regard du fossé économique qui s’est creusé entre les deux régions. Ce sont les conditions de ce sursaut que cherchent à mettre en place ces rapports. L’ambition pour l’UE doit être de promouvoir, de manière pragmatique, un nouveau modèle de développement économique à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux. Les 27 se sont également accordés sur la reconduction d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne, nomination qui doit encore être soumise à l’approbation du Parlement européen, dont le vote est prévu le 18 juillet.
Le deuxième fait marquant des élections européennes est la répercussion politique de leurs résultats en France. Si ceux-ci ont été en ligne avec les sondages, la surprise est venue de l’annonce, dans la foulée, par le Président Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale et donc de la convocation d’élections législatives anticipées (premier tour le 30 juin, second tour le 7 juillet), dont l’issue est hautement incertaine.
C’est dans ce contexte particulier que se situe notre rendez-vous trimestriel d’évaluation de la situation et des perspectives économiques dans les principales économies de l’OCDE. Notre scénario central est celui d’un décollage de la zone euro et d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine et se caractérise par la perspective d’une convergence des taux de croissance (en rythme trimestriel à compter du troisième trimestre 2024 et en moyenne annuelle en 2025). Il pourrait toutefois se trouver perturbé si la reprise en cours de la zone euro ne se matérialisait pas en raison des incertitudes politiques. Deux autres incertitudes importantes continuent de constituer, par ailleurs, un risque baissier sur la croissance américaine, au premier chef, mais aussi sur le reste du monde par effet de ricochet. Ce sont, d’une part, les conséquences du prolongement du statu quo monétaire de la Fed (jusqu’à, possiblement, une première baisse en décembre seulement) et, d’autre part, l’issue de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre.
Scénario central : résistance de la croissance, poursuite de la baisse de l’inflation, détente monétaire et consolidation budgétaire
Parallèlement à ces risques baissiers, il existe toutefois des facteurs de soutien et de résistance de la croissance qui sous-tendent notre scénario central actuel. Tout d’abord, les gains de salaires réels à la faveur de la baisse de l’inflation plus rapide que la modération, encore limitée, des salaires. Devraient jouer également favorablement : le dynamisme du tourisme (effets JO en France) ; la dissipation du choc sur les prix de l’énergie (qui a été plus pénalisant pour la zone euro que pour les États-Unis) ; la diminution du degré de restriction monétaire – pour reprendre les termes de Christine Lagarde – qui est entamée dans la zone euro et qui est à venir aux États-Unis ; la bonne tenue, toujours, du marché du travail ; et les besoins d’investissements dans la transition bas-carbone qui sont considérables et urgents. À noter, également, le soutien des politiques publiques (NGEU et toutes ses déclinaisons pour l’Europe[2] ; l’Infrastructure, Investment and Jobs Act, le CHIPS Act et l’Inflation Reduction Act aux États-Unis).
Par ailleurs, un élément central de notre scénario de convergence des taux de croissance de la zone euro et des États-Unis est le rebond (modéré) attendu de la consommation des ménages de ce côté de l’Atlantique (et le potentiel que représente, pour cela, l’excès d’épargne accumulé, encore en augmentation d’après les dernières estimations de la BCE[3]) et la décélération de celle des ménages américains (qui ont déjà largement puisé dans leur épargne).
La consolidation budgétaire constitue toutefois un frein dont il faut tenir compte. Et il ne s’agit pas d’un risque : cette consolidation est certaine tant elle est nécessaire et ce, des deux côtés de l’Atlantique. En Europe, les règles de gouvernance et de discipline budgétaire sont de nouveau en vigueur et douze pays ont été identifiés comme ne satisfaisant pas au critère de déficit, ce qui constitue un préalable à l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif[4]. L’incertitude porte sur la nature et l’ampleur de cette consolidation budgétaire à venir et, dans le contexte politique actuel, un autre élément de risque l’accompagne : cette consolidation se fera-t-elle de manière ordonnée ou pas ? On retiendra toutefois, comme le souligne la Banque de France à l’égard de la France, mais cela vaut pour tous les pays, que « la période à venir de reprise progressive et d’assouplissement monétaire n’est pas défavorable au redressement budgétaire nécessaire pour maîtriser la dette publique »[5]. En d’autres termes, c’est le bon moment de procéder à un ajustement budgétaire contracyclique mesuré.
L’inflation reste sous surveillance étroite, notamment l’évolution dans le bon sens du triptyque salaires-marges-productivité (modération attendue des premiers, compression des secondes et redressement de la dernière), mais elle suscite peut-être un peu moins d’inquiétudes qu’il y a quelques mois car le processus de désinflation suit son cours, la cible de 2% se rapproche malgré tout, même si c’est toujours lentement[6].
Perspectives par région
Les aléas entourant notre scénario central penchent, de notre point de vue, plutôt du côté baissier au moment où nous écrivons ces lignes. En tout cas, une incertitude accrue pèse sur la poursuite du décollage de la zone euro. Les dernières enquêtes sur le climat des affaires pour le mois de juin ont plutôt soufflé le froid[7]. Le bilan conjoncturel reste néanmoins, pour l’heure, positif. La conjoncture prenait, globalement, jusque début juin, meilleure tournure. Notre nowcast estime ainsi à +0,3% t/t la croissance du deuxième trimestre, soit le même rythme qu’au premier trimestre. Et cette perception d’une amélioration de la situation est plutôt commune aux différents pays de la zone euro examinés dans cette publications (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Grèce, Autriche), sans occulter certaines difficultés sectorielles (marché immobilier) et défis structurels (productivité, compétitivité face à une concurrence accrue) qui subsistent et qui contraignent la reprise.
Ailleurs en Europe, le Royaume-Uni fait également face à une issue politique importante, celle des législatives qui se tiennent le 4 juillet. Le parti vainqueur reprendra les rênes d’une économie en manque de souffle, un peu plus à la peine que la zone euro (le PIB de la zone euro est, par exemple, un peu plus de 3% au-dessus du niveau d’avant-Covid du T4 2019 quand celui du Royaume-Uni se situe à un peu moins de 2% au-dessus de cette référence). Le Danemark, en revanche, se distingue par une économie plus dynamique (PIB 9% au-dessus de son niveau prépandémique), portée par les performances du secteur pharmaceutique, une dépendance à double-tranchant toutefois.
Du côté des États-Unis, s’il existe aussi des signaux conjoncturels négatifs ou plus mitigés, suggérant que le ralentissement économique pourrait devenir plus net, les indices PMI du mois de juin se sont révélés positifs. Les évolutions du marché du travail font l’objet d’une surveillance attentive. Son ralentissement est considéré pour l’heure comme un rééquilibrage salutaire, en ligne avec l’objectif recherché de la Fed, mais les craintes d’une détérioration à venir sont en hausse. De l’autre côté du Pacifique, au Japon, c’est la faiblesse du yen qui retient l’attention, la devise nippone restant pénalisée par le différentiel de politique monétaire entre la Fed (qui tarde à baisser ses taux) et la BoJ (qui, pourtant, les relève, à contre-courant de la plupart des autres banques centrales, mais de manière très prudente). Quant à la Chine, les performances économiques du pays restent contrastées, soutenues par le dynamisme du secteur manufacturier (exportations, investissements) mais ternies par les tensions commerciales ainsi que par la crise immobilière sans fin qui pèse sur la demande intérieure.
Avec la contribution d’Elisa Petit, stagiaire
Achevé de rédiger le 28/06/2024