Depuis l’adoption du pacte vert européen le 11 décembre 2019, l’action européenne en faveur du climat a été singulièrement enrichie. La crise sanitaire, loin de paralyser cette action, a été le théâtre de l’adoption, en décembre 2020, de NextGeneration EU. Ce plan de relance a permis de mobiliser des moyens considérables pour répondre aux besoins de l’Union européenne en matière de transition climatique et digitale, de santé et d’éducation. Alors que sa mise en œuvre est à mi-parcours, de premiers effets positifs sont observables. D’autres mécanismes (dont RepowerEU, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou encore le Critical Raw Material Act) sont venus enrichir ce plan afin de répondre aux nouveaux défis apparus depuis la pandémie de Covid-19 et avec la guerre en Ukraine (sécurité des approvisionnements, dépendance énergétique). Mais le cœur du dispositif demeure l’adaptation au changement climatique, domaine sur lequel l’Europe se montre à l’avant-garde.
La crise sanitaire, puis la guerre en Ukraine ont profondément marqué les économies européennes, au point d’enclencher un changement de paradigme important dans l’orientation de leurs politiques économiques. Un contexte de croissance réduite (0,5% en zone euro en 2023 en moyenne annuelle), des pressions inflationnistes partiellement contenues (5,4% en 2023 après 8,4% en 2022 en moyenne annuelle) et des marges budgétaires restreintes (dette publique moyenne de 88,6% du PIB en 2023 selon l’estimation préliminaire d’Eurostat) compliquent la conciliation des impératifs climatiques et du renforcement de l’activité économique. L’action européenne est également rendue impérative par celles menées aux États-Unis et en Chine. Tandis que cette dernière a misé sur des montants colossaux en termes d’investissements industriels (singulièrement en R&D) et sa position clé sur certains marchés (métaux critiques notamment), les États-Unis ont joué, sans compter, la carte des subventions dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act (IRA, 2022). L’UE doit également composer avec ses propres problématiques : une désindustrialisation importante d’une partie de ses États membres, une grande dépendance en matière d’approvisionnements énergétiques et en métaux critiques, ainsi que la taille limitée du budget européen.
Pour y répondre, l’Union a dévoilé, ces dernières années, plusieurs plans destinés à transformer son économie à l’aune des différents défis auxquels elle fait face (changement climatique, digital : cf schéma). Alors qu’elle s’apprête à vivre un nouveau moment démocratique déterminant, avec la tenue des élections du 6 au 9 juin, il est opportun de mettre en perspective les efforts fournis jusqu’ici par l’UE et par les États membres. Pour commencer, nous présenterons les grandes lignes des différents plans européens, puis nous expliquerons le fonctionnement du Pacte vert européen et de NGEU.
Depuis 2019, plusieurs plans pour transformer l'économie européenne
Le premier plan dévoilé par l’UE en décembre 2019, avant que la crise sanitaire ne se déclare, est le pacte vert européen (ou European Green Deal). Il se structure autour d’un cadre législatif incarné par la loi européenne sur le climat votée peu après, le 4 mars 2020. Ce pacte vise principalement à faire du Vieux Continent la première région neutre en carbone d’ici 2050. Il inclut notamment le plan industriel du pacte vert (ou Green Deal Industrial Plan) mis en place en février 2023, parfois présenté comme la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain. Ce plan industriel contient quatre volets : (i) une simplification de l’environnement règlementaire, (ii) un accès plus rapide au financement, (iii) une amélioration des compétences et (iv) des chaînes d’approvisionnements plus résilientes. En pratique, ces quatre piliers se matérialisent par des textes législatifs comme le règlement pour une industrie « zéro net » (ou Net-Zero Industry Act), la législation européenne sur les matières premières critiques (ou European Critical Raw Materials Act) ou encore une réforme du marché européen de l’électricité.
La crise sanitaire a fait surgir de nouveaux besoins au sein de l’UE et a justifié la mise en place d’un vaste plan de relance à l’échelle continentale : NextGenerationEU, approuvé le 17 décembre 2020 et doté d’un budget initial de EUR 750 mds, qui a ensuite été porté à EUR 806,9 mds. Ce plan a pour finalité de sortir l’UE de la crise économique entraînée par le choc de la pandémie de Covid-19, tout en préparant les pays à la transition écologique et numérique. Il vise donc à relancer l’économie européenne en intégrant pleinement les objectifs du pacte vert européen. Le plan NextGenEU reprend et renforce de nombreux plans européens existants (InvestEU, Horizon Europe…) mais son principal outil est la création du fonds de relance et de résilience (ou RRF) de EUR 723,8 mds répartis sous forme de prêts (EUR 385,8 mds) et de subventions (EUR 338 mds).
La guerre en Ukraine, déclenchée en février 2022, a mis en avant des vulnérabilités de l’Europe en matière d’approvisionnement énergétique, en particulier vis-à-vis des importations de gaz russe. En conséquence, la Commission européenne a créé le plan RepowerEU qui vise à renforcer la résilience et l’indépendance de l’UE sur le plan énergétique en diversifiant les sources d’énergie et en investissant massivement sur les énergies du futur. Ce plan, doté d’une enveloppe de près de EUR 300 mds (EUR 72 mds de subventions et EUR 225 mds de prêts) sera toutefois amené à évoluer en fonction du recours des pays membres à ses fonds, issus en majorité du plan RRF et en minorité d’autres plans européens (fonds pour l’innovation, fonds de la politique de cohésion, Banque européenne d’investissement [BEI], etc.).
En parallèle de ces différents plans, la Commission européenne a engagé une réforme importante du marché carbone européen (SEQE-UE) soutenu par la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). En plus de favoriser la décarbonation de l’économie, cette réforme a pour but de générer des recettes supplémentaires permettant de financer essentiellement le plan RepowerEU (voir encadré 1).
Le Pacte vert européen en soutien à la décarbonation
Le 11 décembre 2019, la Commission européenne a annoncé le déploiement du pacte vert européen (ou European Green Deal) qui pose les bases d’objectifs climatiques concrets à l’horizon 2050. Un cadre législatif a été mis en place le 4 mars 2020 avec l’adoption, par la Commission, de la loi européenne sur le climat, qui comprend l’objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050 et la réduction de 55% des émissions de GES en 2030 par rapport à 1990 (« Fit for 55 »). Ce plan recouvre plusieurs dispositifs, comme RepowerEU pour le volet énergétique, le fonds pour l’innovation et le plan Horizon Europe pour la recherche et l’innovation, l’instauration du MACF ainsi que le Plan Industriel du Pacte Vert (ou Green Deal Industrial Plan), annoncé début 2023. La crise de la Covid-19 a ralenti la mise en place et le déploiement du Pacte Vert. La relance économique, dans le cadre du plan NextGenEU et du fonds RRF, a cependant été l’occasion d’introduire les premières réformes en faveur de la transition écologique et de la résilience énergétique.
En août 2022, au sortir de la crise sanitaire, les États-Unis ont lancé l’Inflation Reduction Act (IRA). Les réactions ont été vives du côté européen, motivant même la mise en place d’un groupe de travail commun nommé « EU-US Task Force on the IRA » en octobre 2022, qui n’a toutefois pas suffi à rassurer les décideurs européens. L’UE a donc lancé, le 1er février 2023, le plan industriel du pacte vert (Green Deal Industrial Plan), dont l’objectif principal est de soutenir l’investissement privé par des actions publiques.
Un plan structuré autour de trois piliers
(i) Le règlement pour une industrie à zéro émission nette (ou Net-Zero Industry Act, NZIA). Pour cela, la Commission européenne a créé deux nouvelles institutions : la plateforme « Europe zéro net » et la Banque européenne de l’hydrogène. La plateforme Europe zéro net a pour mission de regrouper et de traiter l’ensemble des mesures et réformes liés au NZIA, tout en soutenant l’investissement privé dans les technologies dites « zéro net critiques » qui sont au nombre de 8 : solaire photovoltaïque et solaire thermique, électrolyseurs et piles à combustibles (hydrogène vert), énergie éoliennes terrestres et énergies renouvelables en mer, biogaz et biométhane, batterie et stockage de l’énergie, captage et stockage du carbone, pompes à chaleur et énergie géothermique, technologie des réseaux électriques.
La Banque européenne de l’hydrogène joue un rôle similaire à la plateforme Europe zéro net mais exclusivement pour cette source d’énergie. Elle pourrait également devenir l’intermédiaire privilégié, entre l’UE et les pays membres, concernant de potentielles primes pour l’importation d’hydrogène au sein de l’Union. L’objectif est de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène en Europe et d’en importer la même quantité d’ici à 2030. Sous la supervision de la Banque européenne de l’hydrogène, le fonds pour l’innovation (Innovation Fund) a été abondé à hauteur de EUR 800 millions. Les premières enchères ont été lancées fin novembre 2023 et les projets retenus restent encore à sélectionner.
Selon les estimations de l’UE à l’horizon 2030, la valeur du marché mondial des technologies « zéro net » pourrait être de EUR 600 mds, alors que l’écosystème européen représentait environ EUR 100 mds en 2021. Les objectifs pour 2050 sont de quasiment quadrupler le déploiement des énergies renouvelables, de multiplier par six le déploiement de pompes à chaleur et par quinze la production continentale de voitures électriques. Le tout vise à ce que la production domestique d’énergies vertes réponde à minima à 40% de la demande au sein de l’UE.
(ii) Le second pilier sur lequel s’appuie le plan industriel du pacte vert européen est la législation Européenne sur les matières critiques (ou Critical Raw Materials Act, CRMA). Ce programme a pour but d’étendre et de sécuriser la production des matières premières critiques afin de limiter les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Les matières premières identifiées comme critiques sont : le lithium, le cobalt, le nickel, le gallium, les borates, le tungstène et le titane. L’UE ne disposant pas de ressources naturelles importantes en terres rares (seulement 10% de besoins annuels seront couverts par l’extraction d’ici à 2030), elle a recours à l’importation pour les obtenir. L’UE a fixé des objectifs précis à l’horizon 2030 afin de ne pas dépendre trop fortement d’un unique pays : la production au sein de l’UE (raffinage, recyclage et extraction) devra couvrir 65% des besoins annuels et l’importation de chacune des matières premières en provenance d’un pays ne devrait pas dépasser 65%.
Une autre solution retenue est l’intégration et le développement de la chaîne de production et de l’utilisation des matières premières critiques. En effet, une matière rare doit d’abord être traitée avant d’être intégrée à la chaîne de production. À l’heure actuelle, de nombreux chiffres mettent en avant la dépendance de l’UE vis-à-vis de certains pays : 97% de l’approvisionnement de l’UE en magnésium et 100% des terres rares utilisées dans les aimants permanents sont raffinées en Chine, 63% du cobalt mondial est extrait en République démocratique du Congo, tandis que 98% de l’approvisionnement de l’UE en borate provient de la Turquie. L’UE a ainsi commencé à se rapprocher de nouveaux pays, notamment sur le continent africain, avec par exemple la signature de l’accord sur la facilitation des investissements durables (ou Sustainable Investment Facilitation Agreement, SIFA) avec l’Angola en novembre 2022.
(iii) Le troisième point majeur du pacte vert industriel européen est la réforme du marché de l’électricité. Cette réforme prolonge le « Clean Energy for all Europeans Package » approuvé en 2019 dans le cadre des accords de Paris et des premières discussions autour du pacte vert européen. Elle a deux objectifs principaux : sécuriser l’approvisionnement énergétique des citoyens européens et réduire la dépendance de la production et l’approvisionnement électriques aux énergies fossiles et émettrices de GES. Plusieurs mesures ont ainsi été votées en mars 2023. On y trouve notamment une plus grande stabilité des prix, avec le droit à un contrat à prix forfaitaire décorrélé du prix sur le marché de l’électricité (transférant le risque aux fournisseurs d’électricité), une meilleure information sur la diversité de l’offre existante et la mise en place de fournisseurs en dernier ressort dans chaque État membre afin d’éviter toute pénurie. Cette réforme prévoit également le renforcement des accords d’achat d’électricité (AAE) qui permettent de sécuriser l’approvisionnement et le coût énergétique pour les consommateurs finaux, tout en assurant un rendement minimum aux producteurs d’électricité décarbonée.
En ce sens, les contrats d’écarts compensatoires bidirectionnels (ou Contract for difference, CFD) ont été adoptés le 17 octobre 2023. Ce type de contrats, passé entre un État et un producteur d’électricité, a pour objectif de réduire la volatilité du prix. Ils consistent en la fixation d’un prix plafond, au-dessus duquel l’entreprise devra reverser ses bénéfices excessifs à l’État, et d’un prix plancher, au-dessous duquel les entreprises se verront verser une subvention de la part de l’État. Ce mécanisme permettrait ainsi de garantir la rentabilité des nouvelles infrastructures énergétiques tout en évitant, notamment en période de crise énergétique, une forte hausse des prix de l’électricité. Les CFD entreront en vigueur pour des projets qui démarreront entre trois et cinq ans après l’entrée en vigueur du texte de loi.
L’intégration de tous les acteurs de l’économie
L’accès au financement et les besoins en investissements massifs générés par la transition écologique et numérique vont continuer de croître de manière substantielle. On distingue trois méthodes de financement différentes : le financement public européen, le financement public national et le financement privé. Comme nous l’avons vu précédemment, le financement public européen passe par la mise en place de nombreux fonds dans le cadre des plans NextGenEU, RepowerEU ou d’autres programmes déjà existants (Horizon Europe, InvestEU…).
Au niveau national, le financement est fortement encadré par la politique de la concurrence de l’UE. C’est pourquoi la Commission européenne a adopté l’encadrement temporaire de crise et de transition (ou Temporary Crisis and Transition Framework, TCTF). Le TCTF est intégré au pacte vert européen mais ne fait pas partie du Plan industriel du Pacte vert, bien qu’il réponde au besoin d’un meilleur accès au financement. La finalité de cette réforme est de simplifier le cadre légal et d’étendre le champ d’action des pouvoirs publics nationaux pour toute intervention concernant l’avancement du Pacte vert européen. Ce point présente néanmoins un risque non négligeable de fortes divergences entre pays européens, tous ne disposant pas des mêmes ressources budgétaires pour soutenir leurs entreprises. Or, le RRF n’apporte qu’une réponse partielle à ce problème.
En parallèle, l’UE a mis en place un certain nombre de mesures visant à impliquer des acteurs privés dans le processus de transition écologique. Le plan d’investissement du pacte vert (ou European Green Deal Investment Plan, EGDIP) a donc été voté le 14 janvier 2020. Ce plan a par la suite été repris et approfondi pour devenir InvestEU. Doté de EUR 26 mds, il doit permettre de générer près de EUR 370 mds d’investissements verts supplémentaires d’ici à 2030 selon les estimations de l’UE (contre un objectif initial de EUR 1 trillion). Il s’adresse autant aux acteurs publics qu’aux acteurs privés endossant une mission de service public. Encore en vigueur aujourd’hui, ce programme vise à soutenir l’investissement privé et public en garantissant les fonds engagés par des acteurs sélectionnés (« implementing partners »).
NextGenerationEU : un plan de relance multi-facettes
Le plan NextGenEU, voté le 17 décembre 2020, est doté à ce jour d’une enveloppe de EUR 806,9 mds. Il comprend deux volets : la création du fonds de relance et de résilience (RRF) et le renforcement des différents plans européens préexistants. La Commission européenne est chargée d’affecter le budget entre les États selon deux séries de critères : la première série conditionne 70% de l’enveloppe budgétaire et porte sur des critères structurels (PIB par habitant, taux de chômage, pondération par nombre d’habitants), tandis que les 30% restants sont alloués sur la base de critères conjoncturels liés aux effets de la crise sanitaire (comme la variation du PIB réel en 2020).
Les deux priorités du plan NextGenEU sont la transition écologique, qui doit représenter au minimum 37% de l’enveloppe du plan national de relance et de résilience (PNRR) de chaque État, et la transition numérique pour un minimum de 26%. En plus de mesures liées à la transition écologique et numérique, les États membres sont également tenus de joindre un chapitre intitulé RepowerEU du plan éponyme au sein de leur PNRR. Il comprend des mesures permettant une plus grande résilience énergétique. Enfin, héritier des projets d’Intérêt Commun (PIC), mis en place à partir de 2015 sous la présidence M. Juncker, les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) portent essentiellement sur la construction d’usines ou d’infrastructures énergétiques de grande ampleur. Mais ces PIIEC sont, à l’heure actuelle, peu utilisés par les États membres et ne semblent pas représenter une réponse suffisante au manque de coopération européenne. Afin de garantir la cohérence des plans de relance nationaux et des différentes mesures au sein même des États membres, la Commission européenne a mis en place le Do Not Significant Harm Principle (DNSH). Il prévoit d’interdire le soutien ou la mise en place de projets dégradant fortement l’atteinte des objectifs climatiques ou environnementaux (surexploitation des ressources naturelles, forte émission de GES, etc.).
Le financement inédit du plan NextGenEU
La levée d’une dette commune
Le financement de ces mesures a fait l’objet de décisions historiques dans la gouvernance et l’intégration européenne. Tous les sept ans, les pays membres de l’UE décident du cadre financier pluriannuel qui détermine le budget global et les postes de dépenses pour les années à venir. Le dernier date de décembre 2020 et porte sur la période 2021-2027. Ce budget de l’UE a pour obligation d’être à l’équilibre. Ainsi, les dépenses de l’Union ne doivent pas dépasser les ressources propres qui sont constituées principalement des contributions obligatoires de la part des États membres, des droits de douane et des revenus de la TVA.
La première émission de dette à l’échelle européenne a eu lieu à la suite de la création du fonds européen de stabilité financière (FESF), mécanisme introduit durant la crise des dettes souveraines européennes en 2011, qui obéissait au principe de « back-to-back funding ». Ce terme signifie qu’un État bénéficiaire d’un emprunt souscrit par l’UE était chargé de rembourser individuellement le principal et les intérêts adossés à cette dette. Jusqu’à la pandémie, l’UE était endettée à hauteur de EUR 50 mds, mais il ne s’agissait pas d’une dette commune étant donné que tous les États européens ne supportaient pas le remboursement de la dette mais s’en portaient garants uniquement.
Une nouvelle étape a été franchie en avril 2020, avec la création du programme SURE[1] destiné à soutenir les mesures de chômage partiels dans l’UE via des prêts financés par des levées de dettes communes. Ce processus de mutualisation de la dette entre les pays membres de l’UE s’est ensuite amplifié avec la création du programme NextGenEU en juillet 2020, qui prévoit une émission de dette commune d’un montant maximal de EUR 806,9 mds d’ici à 2026. Une partie des fonds de NextGenEU est attribuée sous forme de prêts aux États membres[2] et leur remboursement obéit au principe de « back-to-back funding ». Ainsi, chaque pays rembourse individuellement les sommes qui lui ont été attribuées sous forme de prêts. Seuls les fonds attribués sous forme de subventions feront l’objet d’un remboursement mutualisé.
Il est toutefois important de noter que la mutualisation de la dette n’est pas le seul outil novateur permettant le financement du plan NextGenEU. La réforme du SEQE-EU et la mise en place du MACF sont censées générer près de EUR 10 mds de recettes supplémentaires par an à partir de 2030, ce qui doublerait le total de recettes annuelles actuelles du SEQE-EU, le portant à environ EUR 20 mds en 2030. D’autres réformes devraient alimenter le budget européen dans les années à venir, comme la taxe sur le plastique ou la mise en place d’un taux d’imposition plancher de 15%, en vigueur depuis janvier 2024, pour les multinationales opérant sur le territoire de l’UE.
Un actif sûr mais différent d’une dette souveraine
Cette nouvelle forme d’émission de dette à l’échelle européenne a plusieurs implications et nécessite certaines garanties. La demande pour les actifs sûrs étant élevée (au vu du contexte actuel de renforcement des exigences prudentielles et de hausse des taux d’intérêt), la dette européenne a immédiatement rencontré une demande importante. La Commission européenne étant considérée comme un émetteur sûr, elle bénéficie d’un taux d’intérêt proche de ceux de l’Allemagne et de la France sans pour autant les égaler[3]. Tout d’abord, le relèvement temporaire du plafond de recettes mobilisables par l’UE auprès des États membres, de 1,4% à 2% du revenu national brut (RNB), destiné à financer le programme NextGenEU, apporte des garanties supplémentaires quant au degré de sureté de cet actif. Il est également prévu que le plan NextGenEU contribue a minima pour 37% aux objectifs climatiques de l’Union. De ce fait, une part significative de la dette européenne devrait être financée par l’émission d’obligations vertes (objectif de 30% d’ici 2026), faisant de l’Union le premier émetteur sur ce marché et renforçant son attractivité. La première émission d’obligations vertes de l’UE a eu lieu le 12 octobre 2021. Par ailleurs, la dette commune européenne ne devrait pas être amenée à perdurer au-delà de 2058, date limite de son remboursement prévue par la Commission européenne, ce qui renforce son caractère singulier vis-à-vis des obligations d’État.
Où en sont les principaux pays de leur plan d’action ?
Les pays européens ont chacun utilisé les fonds débloqués par le RRF en endossant la responsabilité de la classification et du choix du type de dépenses qu’ils souhaitent mettre en place dans le respect de la législation européenne. Cela donne lieu à des plans nationaux variés et pas nécessairement coordonnés (cf. encadré pour des éléments plus détaillés de chacun de ces plans). Les montants déboursés jusqu’à présent (avril 2024) représentent 31% du montant total du fonds. Les déboursements devraient s’accélérer dans les années à venir puisque les États ont jusqu’en 2026 pour engager leurs investissements.
Les PNRR français et allemand sont également complétés par des mesures nationales. Le premier plan français, France Relance, voté en septembre 2020, répond à la crise sanitaire. Il intègre EUR 100 mds de dépenses, équiréparties par tiers, dédiés respectivement à la transition énergétique, à la compétitivité et à la cohésion sociale. EUR 73 mds avaient été décaissés à fin novembre 2023. Les projets financés concernent notamment le plan MaPrimeRenov’, l’incitation à l’achat de véhicules électriques ou encore la décarbonation de l’industrie française. France 2030 a été voté en octobre 2021. Ce plan a un horizon plus lointain que France Relance et dispose d’une enveloppe de EUR 54 mds à déployer sur 5 ans. Une grande partie des ressources de France 2030 est destinée à soutenir des projets privés innovants dans des secteurs clés tels que les énergies du futur (hydrogène, nucléaire nouvelle génération…), la décarbonation de l’industrie ou l’informatique (ordinateur quantique, IA…). Il s’inscrit dans la continuité de France Relance et se concentre exclusivement sur la transition numérique et écologique. Le gouvernement français souhaite engager rapidement les dépenses publiques provisionnées.
Le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz[4] a, en effet, montré que plus l’on retarde la mise en œuvre des actions, plus le coût économique de l’action climatique s’accroît. Ce rapport souligne également l’intérêt d’un soutien public pour attirer les financements privés.
Ainsi, près de 3,5 euros de financements privés seraient générés pour 1 euro de financement public accordé par le plan France 2030 selon le Comité de Surveillance des Investissements d’Avenir (CSIA).
Le CSIA estime que les effets du plan France 2030 sur le PIB réel français seraient compris entre +1,5% à +2,8% d’ici à 2030 et que les créations nettes d’emplois se situeraient entre 288 000 et 600 000.[5]
Le PNRR de l’Allemagne est, en pourcentage du PIB national, parmi les plus faibles de l’UE (0,73% du PIB). Cependant, ce financement européen est largement renforcé par d’autres mesures nationales. En réaction à la crise sanitaire, le gouvernement allemand a ainsi débloqué EUR 130 mds en 2020 via un ensemble de mesures comprenant une baisse de la TVA ainsi que des subventions directes à destination des ménages. Ensuite, en réaction à la hausse des prix de l’énergie, le gouvernement allemand a mis en place trois boucliers énergétiques successifs en 2022 et 2023 d’un montant total potentiel de plus de EUR 200 mds[6]. D’autres mesures, annoncées au début de l’année 2021 et indépendantes du plan NextGenerationEU, participent également à augmenter le soutien public à la transition énergétique, écologique et la résilience de l’économie allemande (aides au développement du réseau ferroviaire pour plus de EUR 1 md, soutien au développement des énergies renouvelables pour près de EUR 30 mds).
L’Italie possède également un fonds complémentaire de EUR 30,6 mds visant à renforcer son PNRR. La Commission européenne a doté la péninsule de EUR 13 mds supplémentaires issus du fonds REACT-EU afin de favoriser la cohésion territoriale entre le Nord et le Sud de l’Italie.
Le PNRR espagnol est le deuxième plus important, en valeur absolue, de l’UE. Il a été modifié en octobre 2023 et y a été ajouté un chapitre sur REPowerEU.
La valeur du plan atteint désormais EUR 163 mds (soit 13,1% du PIB national de 2019), répartis entre EUR 79,8 mds de subventions et EUR 83,2 mds de prêts. À ce jour, l’Espagne a reçu EUR 37 mds de ressources du RRF (22,7% du PNRR modifié).
À ces fonds s'ajoutent EUR 36,7 mds provenant des fonds structurels du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Le plan national « Spain Can », bénéficiaire des fonds du RRF, alloue les sommes aux différents objectifs préalablement établis. Le pays s'était, par ailleurs, doté d’un plan de EUR 16 mds visant à atténuer les effets de la guerre en Ukraine et à soutenir les ménages, à travers des aides directes et des prêts à taux réduits pour aider les ménages et les entreprises à faire face à la flambée des prix.