La théorie quantitative de la monnaie ? cette idée que, dans une économie, l’inflation dépend de la quantité de moyens de paiement qui y circule ? est très ancienne. On en attribue généralement la paternité au philosophe et juriste français Jean Bodin, qui, vers le milieu du XVIe siècle, fut le premier à avoir l’intuition que les causes du « renchérissement de toutes choses » en Europe étaient à rechercher du côté de l’afflux de métaux précieux en provenance du Nouveau Monde.
MONNAIE ET PRIX EN ZONE EURO SUR LONGUE PÉRIODE Aujourd’hui, les agrégats de monnaie continuent de faire l’objet d’une surveillance étroite de la part de la Banque centrale européenne (BCE), signe que, malgré les années et la complexification des circuits de financement, la théorie quantitative conserve une certaine actualité. Dans ses allocutions, l’ancien membre du Directoire de la BCE, Benoît Cœuré (désormais président de l'Autorité de la concurrence de l’OCDE) rappelait volontiers que le lien entre monnaie et inflation n’avait pas disparu[1] . Notre graphique de cette semaine vient plutôt appuyer ce constat.
Il retrace les différents régimes d’inflation vécus dans la zone euro depuis vingt-cinq ans, ainsi que l’évolution sur la même période de la masse monétaire « M3 » rapportée au PIB réel. Une première cassure apparaît au tournant des années 2010, lorsque surviennent coup sur coup la grande crise financière et la crise des dettes souveraines. Le durcissement consécutif des normes prudentielles appliquées aux banques, couplé aux efforts de « deleveraging » des agents économiques (pour beaucoup, les États et ménages du sud de l’Europe) donnent alors lieu à un net ralentissement de la course des agrégats de monnaie et de crédit. L’inflation fléchit, quant à elle, durablement : de 1,7% par an en moyenne dans les années 2000 (hors éléments volatils), elle tombe à 1,1% par an en moyenne dans les années 2010.
Hyperstimulation monétaire et dérapage des prix : parenthèse refermée Il aura fallu une catastrophe sanitaire mondiale ainsi qu’une guerre aux portes de l’Europe pour qu’à nouveau, les choses changent. Pour contrer les effets dépressifs de la Covid 19, les banques centrales ont racheté à grande échelle la dette des États, qui a elle-même beaucoup gonflé. Ce sont des conditions monétaires redevenues soudainement très amples qui, par leur soutien à la demande en phase de pénuries d’offre, ont contribué au redémarrage de l’inflation[2] .
S’il a pu surprendre par son ampleur, le dérapage des prix fut néanmoins transitoire. La Banque centrale a « fermé le bar » par étapes à partir de 2022, lorsque qu’elle a commencé à remonter ses taux d’intérêt, puis à réduire la taille de son bilan. L’inflation est aujourd’hui revenue dans la cible des 2%, tandis que le ratio M3/PIB a peu ou prou retrouvé sa tendance prépandémique. Quant à l’avenir, dans un monde où l’instabilité devient la norme, d’autres embardées de prix sont à prévoir. Toutefois, avec une quantité désormais comptée de carburant monétaire, le risque d’embrasement général apparaît faible.