TRANSCRIPTION
Isabelle Gounin-Levy : La perte d’indépendance des banques centrales est un risque que l’on évoque aujourd’hui pour la Fed. Quelles pourraient en être les conséquences pratiques ?
Stéphane Colliac : L’histoire a démontré que l’indépendance des banques centrales a amélioré la conduite de la politique monétaire. C’est cette indépendance qui a permis à Paul Volcker de remonter brutalement les taux d’intérêt à la fin des années 70, afin de juguler l’inflation. Lorsque le politique fait pression pour réduire les taux d’intérêt sans justification et ainsi soutenir l’économie ou réduire sa charge d’intérêt, on court alors le risque que l’inflation se maintienne. Les ménages anticipent une inflation plus forte. Les marchés aussi. Les uns sont alors tentés de réduire leur consommation, les autres font augmenter les taux longs. Ce sont ces deux risques que doivent aujourd’hui éviter les États-Unis.
Isabelle Gounin-Levy : En attendant, il faut rappeler que la Réserve Fédérale Américaine, poursuit deux objectifs à savoir s’assurer de la stabilité des prix et de l’emploi maximal.
Stéphane Colliac : Les deux composantes de ce mandat dual posent question et ont aujourd’hui des implications différentes en termes de politique monétaire. Cela fait 55 mois que l’inflation excède sa cible de 2% en glissement annuel. Surtout, nous anticipons sa hausse modérée jusqu’à la mi-2026, tirée vers le haut par la transmission des hausses de tarifs douaniers, ce qui pointe vers un biais restrictif. Mais, en parallèle, le marché du travail se détériore nettement, avec la faiblesse des créations d’emplois salariés, qui reflète une détérioration de la situation des entreprises. Ces développements impliquent de privilégier la composante « Emploi » dans les choix à court-terme. C’est ce nouvel environnement qui justifie un assouplissement de la politique monétaire. Nous prévoyons trois baisses de taux de -25pb chacune de la Fed, une par réunion, entre septembre et décembre 2025.
Isabelle Gounin-Levy : A contrario, la Banque Centrale Européenne, semble s’orienter maintenant vers un statu quo. Pourquoi ?
Stéphane Colliac : Il faut d’abord rendre à César, ce qui lui appartient. La BCE a conduit un assouplissement monétaire graduel qui lui a permis en près d’un an de réduire son taux de dépôt de moitié, passant de 4% à 2%. Si elle a pu mener une telle politique, c’est que la précédente politique de resserrement monétaire a permis de réduire les pressions inflationnistes. Le taux d’inflation est ainsi revenu à la cible de la BCE, qui est de 2%
Toutefois, force est de constater que la croissance européenne montre des signes de résilience et que le taux d’inflation est désormais bien ancré sur la cible des 2%. Avec la perspective d’une reprise de la croissance allemande et des effets d’entrainement que cela provoquera dans le reste de la zone euro, il est désormais urgent d’attendre. Le taux de chômage a atteint récemment un plus bas historique en zone euro et la BCE joue la prudence, tant qu’elle ne sera pas certaine que cette reprise n’engendre pas de tensions inflationnistes.