Le soleil brillait la semaine dernière à Washington, DC, lors des Assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI), mais l’ombre des élections américaines imminentes planait sur les réunions rassemblant ministres des Finances, gouverneurs des banques centrales, économistes du secteur privé et professionnels de la finance du monde entier. Le fait que l’économie mondiale soit en meilleure forme que prévu a été éclipsé. Tous les autres sujets de discussion ont été relégués à l'arrière-plan, qu’il s’agisse des mises en garde habituelles du FMI sur divers dangers (dette excessive, croissance insuffisante, protectionnisme), des perspectives pour l'Europe et la Chine (qui s’améliorent) ou les autres marchés émergents (généralement bonnes) ou encore de la question de la finance numérique.
En ce qui concerne les élections américaines, ceux qui espéraient se faire une idée plus précise sur leur issue probable auront été déçus. Alors que les deux camps prétendent avoir l'avantage, le vote apparaît trop serré pour permettre un pronostic. Le Sénat devrait toutefois passer sous contrôle républicain et la Chambre s'aligner sur le résultat de la Maison-Blanche. Cela impliquerait, qu’en cas de victoire de Donald Trump, les Républicains auraient le contrôle intégral de l’Exécutif et du Congrès.
Pourtant, quel que soit le vainqueur de la Maison-Blanche, certaines tendances sont claires : davantage de fragmentation économique et de dette publique américaine, un exceptionnalisme américain accru agissant comme un aimant pour les investissements étrangers, un dollar plus fort et des taux d'intérêt plus élevés. La différence entre les deux candidats sur les questions économiques étant une affaire de degré plus que de fond. Ce sont dans les domaines de la défense et de la politique étrangère que les deux candidats divergent le plus nettement, ce qui a également des implications économiques pour les alliés des États-Unis. Dans l'ensemble, alors que les participants américains se sont montrés globalement optimistes quant aux perspectives économiques du pays, les participants des autres pays sont rentrés chez eux avec un sentiment d'appréhension et le souci de devoir se préparer à l’avenir.
Les décideurs politiques européens ont salué la désinflation rapide constatée sans impact négatif sur leurs marchés du travail. Bien que le rebond attendu de la consommation ne se soit pas encore matérialisé, ils gardent espoir qu'il finisse par se produire et ont écarté les craintes d’une récession. Les risques d'inflation étant désormais considérés comme équilibrés, un débat a émergé sur la possibilité d'accélérer le rythme de l'assouplissement. Cependant, à ce stade, ce point de vue semble très minoritaire. Une accélération n’est pas exclue, mais le seuil de décision pour en décider est placé haut, et nécessiterait un changement important des projections d'inflation. Dans ce contexte, les conditions du marché du travail seront un indicateur important. Par ailleurs, il est apparu clairement que le diagnostic posé dans le rapport Draghi sur la nécessité urgente de stimuler la faible croissance de la productivité en Europe est en fait largement partagé. Les points de vue divergent davantage sur les remèdes à apporter, mais j'ai quitté Washington plus optimiste quant au suivi qui sera donné au rapport.
Les mesures de relance de la Chine sont restées dans l’incertitude. Bien qu'il y ait eu au sommet de l'État chinois un changement net de point de vue sur la nécessité de stimuler l'économie, les observateurs experts de la Chine ne sont pas d'accord sur l'efficacité finale des mesures susceptibles d'être déployées. Au-delà de la Chine, les décideurs économiques des marchés émergents ont également exprimé leur satisfaction quant à l'état de leurs économies et, à des degrés divers, quant aux progrès accomplis dans la lutte contre l'inflation. Ils se préparent toutefois à de probables retombées négatives si les politiques économiques américaines prennent un nouveau tournant expansionniste, inflationniste et protectionniste. Ils ont noté avec inquiétude la tendance sous-jacente au recul du libre-échange en matière de commerce et d'investissement, notamment dans les économies développées, anticipent une économie mondiale fragmentée en blocs, et considèrent la recherche d'une plus grande intégration au sein de ces blocs comme un remède partiel.
Le sujet de la finance numérique, après avoir été pendant des années une question à la mode mais quelque peu marginale lors des réunions, semble être arrivé à maturité, si on en juge par le haut niveau hiérarchique des décideurs de politiques économiques qui en ont débattu cette semaine. Les points de vue continuent de diverger d'une économie à l'autre sur la nécessité d'utiliser les monnaies numériques de banque centrale pour une utilisation au détail (retail), mais l'accent est de plus en plus mis sur la méthode à employer plutôt que sur l’éventualité d’une telle mise en œuvre. Les avis sont moins partagés sur les avantages de la numérisation du financement commercial (wholesale), non seulement pour les paiements, mais aussi pour les règlements et potentiellement toute la gamme des opérations financières commerciales. Dans ce domaine également, les décideurs politiques espèrent – et s'efforcent de – résister aux forces de fragmentation en jeu dans l'arène géopolitique.
De nombreux commentaires publiés la semaine dernière ont déploré la faiblesse des deux institutions hôtes, le FMI et la Banque mondiale. En réalité, les participants semblaient eux-mêmes impuissants face au déclin du multilatéralisme et d’un ordre économique mondial fondé sur des règles communes ; chacun se trouvant réduit à réfléchir, dans son propre domaine de compétence, à la manière de tirer le meilleur parti de ce qui va suivre.