Au début de l'année, nous étions d'avis, on n'était pas les seuls d'ailleurs, que 2024 serait l'année de baisse des taux d'intérêt dans la plupart des pays développés, exception faite du Japon. Aujourd'hui, nous sommes toujours de ce même avis, mais il y a du changement.
Les nuances ont fortement évolué en fonction des données économiques récentes, en particulier celles qui concernent l'inflation. Ainsi, nous tablons désormais sur une première baisse des taux officiels aux US au mois de décembre, ou peut-être au plus tôt à l'automne, tandis que pour la Banque centrale européenne, nous tablons sur un assouplissement cumulé cette année, qui serait plus limité que ce que l'on espérait voir il y a quelques mois.
Il est clair, cependant, en regardant ces deux prévisions pour la Fed et pour la Banque centrale européenne, que la Banque centrale européenne devrait bouger avant la Réserve fédérale. Et parmi les économistes, parmi les central bank watchers, ça donne lieu à un certain débat.
Certains disent qu'il y a un risque que la Banque centrale européenne ne respecte pas sa place dans la file d'attente pour l'assouplissement. Ce que je vais essayer de démontrer et d'expliquer dans cette vidéo, c'est qu'en fait une Banque centrale européenne, comme toute autre Banque centrale, doit décider du timing de sa politique monétaire, de son assouplissement monétaire sur la base des facteurs économiques de sa région.
Dans l'évaluation, si une baisse des taux officiels vient au bon moment, est prématurée ou en fait vient trop tard, il est important de regarder si la banque centrale agit en ligne avec son mandat, avec sa mission. C'est donc une question de comparaison entre la dynamique de l'inflation, les perspectives de l'inflation et de voir comment ces perspectives se comparent à l'objectif d'inflation de la Banque centrale en question.
Donc, c'est une question relative à la fonction de réaction de la banque centrale. Pour ce qui concerne la Banque centrale européenne, comme on le sait, sur la base d'une multitude de discours qui ont traité le sujet, il y a trois facteurs clés qui entrent en jeu dans cette fonction de réaction dans la BCE.
Le premier étant l'intensité de la transmission monétaire, le deuxième étant la dynamique de l’inflation sous-jacente donc la tendance lourde de l'inflation, et puis le troisième, bien évidemment, concerne les perspectives d'inflation, le tout devant être comparé à l'objectif de la BCE, à l'objectif de 2% d'inflation.
En fait, on peut dire que ce qui est important pour qu'une banque centrale soit crédible, c'est que la fonction de réaction soit bien expliquée, soit bien comprise par les marchés financiers et par les agents économiques. La banque centrale doit agir en ligne avec cette fonction de réaction dont elle a expliqué les rouages aux opérateurs de marchés.
Et puis, troisième point : cet effort doit être couronné de succès bien évidemment. Lorsqu'on regarde les développements économiques récents, on peut dire qu'en fait, la BCE a plutôt fait bon boulot. On constate que la désinflation est nette, elle est claire, elle est beaucoup plus avancée qu’aux Etats-Unis, par exemple.
Mais on constate également que depuis le début de l'année, la transmission de la hausse des taux longs qu'on a pu voir aux Etats-Unis dans le taux d'intérêt à long terme en Europe a été plus limitée que par le passé, que ce qu'on a pu modéliser sur base de relations économétriques historiques entre les taux longs US et les taux longs en zone euro.
C'est un sujet dont j'ai traité récemment dans un édito d'EcoWeek. En fait, on peut donc dire que sur base des performances de la politique monétaire en zone euro, que la Banque centrale européenne bénéficie de crédibilité et donc bénéficie d'une autonomie en termes de politique monétaire certainement vis-à-vis de la Réserve fédérale.
Avant de vous quitter, il me reste à répondre à une dernière question qui d'ailleurs n'est pas des moindres, quel impact cela aura-t-il sur l’euro ? En théorie, on pourrait dire effectivement qu'une baisse des taux officiels par la BCE avant une baisse similaire par la Réserve fédérale provoquerait une dépréciation de l'euro qui conduirait à une hausse des prix à l'importation et puis, passé un certain délai, à une hausse de l'inflation plus générale.
À cela, il y a deux points qu'il faut garder à l'esprit. Le premier étant la désynchronisation monétaire dont j'ai parlé dans cette émission, elle est largement anticipée par les marchés financiers. Nous avons pu constater que cette année, l'euro a légèrement fléchi par rapport au dollar et c'est clairement à mettre en rapport avec cette perspective de désynchronisation monétaire entre la BCE et la Réserve fédérale.
Deuxième élément qui est important, c'est que des calculs de recherche par la Banque centrale européenne montrent qu'une dépréciation de l'euro, somme toute, n'a qu'un effet très limité sur l'inflation globale. La BCE a calculé qu'une dépréciation de 1% de l'euro conduirait, avec un certain retard, à une hausse de l'inflation de 0,04%.
Donc à une hausse somme toute assez limitée. La conclusion étant donc que la Banque centrale européenne ne doit pas s'autocensurer, elle ne doit pas se priver de baisser les taux d'intérêt, si elle considère que la dynamique de l'inflation le justifie pour des raisons qui seraient liées à une crainte d'assouplissement de l'euro.
Je vous remercie d'avoir regardé EcoTV et je vous invite à nous rejoindre prochainement. Merci beaucoup.