Edito

Désynchronisation des politiques monétaires entre la BCE et la Réserve fédérale et l’euro

11/06/2024
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Comme prévu, la BCE a abaissé son taux directeur, malgré la révision à la hausse des anticipations d’inflation de ses prévisionnistes. Aux États-Unis, le très bon rapport sur le marché du travail pour le mois de mai rendra probablement la Fed encore plus prudente dans sa décision d’une première baisse de taux. Tant que nous n’aurons pas de resynchronisation (et que les deux banques centrales ne seront pas toutes deux engagées dans un cycle de baisse de leurs taux), la désynchronisation devrait s’accentuer. Cela reflète la différence dans le cycle de désinflation observée actuellement entre les États-Unis et la zone euro. On redoute que cela n’affaiblisse l’euro par rapport au dollar et ne pèse sur l’autonomie politique de la BCE. Ces craintes ne sont pas justifiées. Il faudrait une dépréciation significative de l’euro (qui semble très improbable dans la situation actuelle) pour que la monnaie unique exerce une réelle contrainte sur la fixation des taux directeurs de la BCE. Il importe également de s'intéresser à la situation aux États-Unis du point de vue de la parités EUR/USD. Un environnement de « taux élevés plus longtemps » signifie plus d’incertitude quant aux perspectives de croissance, ce qui entraîne un risque extrême pour les taux d’intérêt à court terme américains et, par conséquent, le dollar. Toute réflexion sur les taux de change doit tenir compte de la totalité des scénarios possibles.

Euro en dollar et différence des taux d’intérêt officiels

Pour une banque centrale, la crédibilité est primordiale. Faute de crédibilité, les anticipations d'inflation cessent d'être bien ancrées ce qui nuit fortement à l’efficacité de la politique monétaire. Or, cette crédibilité est une affaire de cohérence. En premier lieu, il s'agit de la cohérence temporelle, ce qui signifie d'accorder l'action avec les orientations fournies auparavant. Ces dernières semaines, les orientations fournies par certains membres du Conseil des gouverneurs de la BCE signifiaient de plus en plus clairement qu’une première baisse des taux dans ce cycle serait actée lors de la réunion de juin.

Dans ce contexte, il était exclu de ne pas agir, malgré le léger rebond observé dans les derniers chiffres de l'inflation. Il importe ensuite d'assurer la cohérence du point de vue de la politique, ce qui implique d'agir conformément au mandat et à la fonction de réaction. La baisse des taux, malgré l’ajustement à la hausse des prévisions d'inflation des équipes de la BCE), a contraint Christine Lagarde à beaucoup insister, lors de la conférence de presse, sur le fait que cette décision consistait uniquement à « réduire le caractère restrictif de la politique actuelle »[1].

Elle a souligné que la politique demeurait restrictive et que les décisions futures dépendraient des données. Conséquence logique, les rendements allemands à 2 ans ont augmenté d'environ cinq points de base (pb) après cette annonce.

Le lendemain, la publication d'un rapport sur le marché du travail qui reste très vigoureux aux États-Unis[2] a causé une augmentation similaire des rendements allemands dans la foulée d'un bond de 10 pb des rendements sur les bons du Trésor américain à 2 ans. Ces développements devraient intensifier le débat sur la désynchronisation des politiques monétaires entre la BCE et la Réserve fédérale. Cette dernière sera sans doute moins disposée encore qu'auparavant à commencer à abaisser les taux des fonds fédéraux tandis que la première devrait continuer à abaisser le taux de rémunération des dépôts, quoiqu'à rythme graduel[3].

Par conséquent, en attendant que les politiques monétaires des deux côtés de l'Atlantique se synchronisent à nouveau et que les banques centrales soient toutes deux engagées dans un cycle de baisse des taux, ce phénomène de désynchronisation devrait s'accentuer.

Cette situation n'a rien de surprenant dans la mesure où elle reflète simplement le décalage dans les cycles de désinflation aux États-Unis et en zone euro. Certains redoutent toutefois que ce décalage ne conduise à une baisse de l’euro par rapport au dollar, ce qui compte tenu de l’impact qui s’ensuivrait sur les prix à l'importation et sur l'inflation en général, compliquerait la tâche pour la BCE voire menacerait son autonomie en termes de politique monétaire. Ces craintes sont cependant injustifiées.

Tout d'abord, la relation entre la parité EUR / USD et l'écart de taux directeurs est très faible (graphique 1). Ensuite, l’élargissement attendu de l'écart des taux directeurs est limité.[4]

Euro en dollar et différence des taux d’intérêt nominaux à 2 ans

Par conséquent, le différentiel de rendement à 2 ans entre les États-Unis et l'Allemagne (qui dépend fortement des anticipations de politique monétaire) ne devrait pas non plus connaître de variations considérables. Ce point est important, dans la mesure où depuis le début de l'année, cet écart affiche une corrélation étroite avec la parité EUR / USD (graphique 2).

À plus long terme, cette corrélation connaît des fluctuations et du point de vue du différentiel de taux d’intérêt, elle est plus forte en termes réels qu'en termes nominaux (graphiques 3 et 4).

En troisième lieu, la désynchronisation monétaire devrait influencer les perspectives de croissance en zone euro par rapport aux États-Unis. En zone euro, les baisses de taux cette année devraient améliorer la confiance des entreprises et des ménages, ainsi que leurs dépenses, tandis qu'aux États-Unis, où les taux directeurs devraient rester à leur niveau actuel durant la majeure partie de l'année, les perspectives de croissance devraient diminuer. Historiquement, on observe une corrélation plutôt étroite entre l'écart de confiance des entreprises et la parité EUR / USD : lorsque le sentiment s'améliore en zone euro par rapport aux États-Unis, l’euro a tendance à s'apprécier et inversement (graphique 5).[5] Enfin, l'impact sur l’inflation d'une dépréciation de l'euro est plutôt limité.

Euro en dollar et différence des taux d’intérêt nominaux à 2 ans

Euro en dollar et différence des taux d’intérêt réels à 2 ans

Euro en dollar et différence de PMI composite

Les calculs de la BCE montrent qu'une dépréciation de 1 % du taux de change effectif de l’euro « augmente en moyenne le total des prix à l'importation en zone euro et dans ses pays membres d'environ 0,3 % sur un an, et l'indice général des prix à la consommation harmonisés (IPCH) d'environ 0,04 % ».[6]

Il en découle qu'il faudrait une dépréciation significative de l’euro (qui semble très improbable dans la situation actuelle) pour que la monnaie unique exerce une réelle contrainte sur la fixation des taux directeurs de la BCE. À cet égard, il importe également de s'intéresser à la situation aux États-Unis du point de vue de la parités EUR/USD.

Dans l'environnement de « taux élevés plus longtemps » qui prévaut actuellement aux États-Unis et compte tenu des incertitudes que cette situation implique du point de vue des perspectives de croissance, il convient de prendre en compte le risque extrême pour les taux d’intérêt à court terme aux États-Unis et donc aussi pour le billet vert. Toute réflexion sur les taux de change doit tenir compte de la totalité des scénarios possibles.


[1] Source : BCE, Conférence de presse, Christine Lagarde, Présidente de la BCE, Luis de Guindos, Vice-Président de la BCE, Francfort-sur-le-Main, le 6 juin 2024.

[2] En mai 2024, 272 000 emplois avaient été créés contre 182 000 prévus par le consensus de Bloomberg. Le taux de chômage s'est accru jusqu'à 4,0 % (consensus de Bloomberg : 3,9 %), après être ressorti à 3,9 % en avril. Contrairement aux attentes, la croissance du salaire horaire moyen s'est accélérée pour atteindre 4,1 % après être ressortie à 4,0 % le mois précédent. Source : Bloomberg.

[3] Jusqu'à la fin de cette année, nous prévoyons une nouvelle baisse des taux de 25 pb par la BCE en septembre, puis une autre en décembre. Aux États-Unis, nous prévoyons une première mesure d'assouplissement monétaire (25 points de base) par la Réserve Fédérale en décembre.

[4] Depuis la dernière décision de la BCE, l'écart entre la limite supérieure de la fourchette de taux cible des fonds fédéraux et le taux de rémunération des dépôts de la BCE est de 175 pb. Nous prévoyons que cet écart atteindra 200 pb lors de la réunion de septembre de la BCE avant de revenir aux alentours de 175 pb vers la fin 2025.

[5] Les travaux académiques confirment que la dynamique économique influence les taux de change. Voir, à cet égard, Magnus Dahlquist et Henrik Hasseltoft, Economic momentum and currency returns, Journal of Financial Economics, 2020, pp. 152-167.

[6] Source : Eva Ortega, Chiara Osbat, Exchange rate pass-through in the euro area and EU countries, ECB Occasional Paper 241, avril 2020.

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