L’entrée de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale au sein de l’UE en 2004 s’est accompagnée d’une progression impressionnante de leurs économies respectives. L’amélioration de la productivité du travail a permis un rattrapage des salaires réels au cours des 20 dernières années, mais les pressions salariales sont restées très fortes sur la période récente sans toutefois entamer la compétitivité des économies jusqu’à présent. La région reste par ailleurs attractive pour les investissements directs étrangers et continue de bénéficier des activités de nearshoring. A court terme, la consolidation des comptes publics constitue une priorité pour tenir les engagements dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Certains pays sont déjà dans le viseur de l’UE avec l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif.
Convergence économique accélérée
Quatre pays d’Europe centrale (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie), aux côtés de six autres sont devenus membres de l’UE il y a vingt ans de cela. La Roumanie et la Bulgarie leur ont emboîté le pas trois ans plus tard. En rétrospective, cette adhésion a permis un rattrapage économique notable pour ces pays. Le PIB par habitant en volume et en parité de pouvoir d’achat, mesure couramment utilisée pour apprécier et comparer le niveau de revenus entre pays, a progressé de façon spectaculaire entre 2004 et 2024. La Pologne se démarque de ses voisins avec un doublement de son PIB par habitant sur cette période. Pour les autres pays de la région, il a été multiplié par environ 1,5 fois. La tendance a été similaire en Roumanie et en Bulgarie depuis leur entrée en 2007. L’augmentation du PIB par habitant reflète aussi une forte convergence avec les pays développés. Dans la région, le PIB par habitant de la République tchèque se rapproche le plus de celui de l'Allemagne avec un écart de 25% seulement en 2023. Celui-ci est de 30% pour la Pologne, 40% pour la Hongrie et la Slovaquie. La Bulgarie reste encore loin derrière à 48%.
Sur cette même période, les fonds européens reçus par les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) depuis leur date d’adhésion ont contribué à la mise en œuvre des réformes et à renforcer leur capacité à résister aux crises économiques internationales. La Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie ont reçu en cumul EUR 376 mds entre 2004-2022, soit 23,8% de leur PIB de 2022. En 2007-2009, lors de la grande crise financière mondiale, la contraction du PIB des pays d’Europe centrale a été rapidement suivie d’une forte reprise de l’activité économique. Il en a été de même en 2020 lors de la crise de la Covid-19. Fait marquant, la Pologne a été la seule économie à avoir échappé à une récession en 2009 et elle se distingue également en 2020 par une contraction plus faible de son PIB par rapport à celui de ses voisins. Cette résilience signifie aussi que les pays d’Europe centrale ont gardé des séquelles (scarring effect) relativement limitées lors des chocs. Cela a contribué au renforcement de leur poids économique (principalement la Pologne) au sein de l’UE (16,5% du PIB de l’UE en 2023 en PPA courants contre 12,5% en 2004).
Une compétitivité bien orientée
Le modèle économique sur lequel a reposé ce rattrapage économique diffère d’un pays à l’autre. La Slovaquie, la République tchèque et, dans une moindre mesure, la Hongrie ont vu le degré d’ouverture de leurs économies respectives s’accentuer, devenant ainsi plus exposées aux variations de la demande externe. La part des exportations de la Slovaquie, de la République tchèque et de la Hongrie représentent respectivement 89%, 77%, 76% dans leur PIB en 2023 (contre 64%, 57%, 53% en 2004). En revanche, la Pologne et la Roumanie sont des économies dont la croissance repose largement sur la demande intérieure. Par ailleurs, certains pays comme la République tchèque et la Slovaquie se sont spécialisés dans le secteur automobile (respectivement 12,6% et 28,3% des exportations totales) alors que la Pologne a privilégié la diversification de son industrie.
Par ailleurs, quel que soit le choix du modèle économique, l’évolution de la productivité du travail, calculée à partir du PIB et de l’emploi, a été importante au sein des PECO sur la période 2004-2008 et sur la période 2015-2019. Le calcul de la productivité horaire du travail donne des résultats similaires. Plus important, la progression des salaires réels s’est accompagnée d’une augmentation de cette productivité. Depuis peu, la situation semble évoluer moins favorablement. En 2023, les gains de productivité se sont affaiblis en Pologne et ont progressé plus lentement que les salaires réels. La remontée du coût salarial unitaire depuis 2023 en g.a. confirme cette tendance récente. Au cours des prochaines années, les pénuries de main d’œuvre vont maintenir les pressions salariales, donc la priorité va consister à accroître davantage la productivité. Toutefois, les bonnes perspectives en matière d’IDE et la poursuite des versements de fonds européens dans le cadre du budget européen et du plan de résilience et de relance devraient soutenir l’investissement (plafonné autour de 20% du PIB pour la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie, 27% pour la République tchèque et 24% pour la Roumanie ces 20 dernières années), lequel devrait également renforcer la productivité. Les efforts pour améliorer le taux d’absorption des fonds européens, en particulier pour la Slovaquie et la Roumanie viendraient davantage en appui aux perspectives d’investissement.
Des opportunités de nearshoring
Selon le dernier rapport de la CNUCED, les PECO avaient reçu en cumul, l’équivalent de USD 914 mds sous forme d’investissements directs étrangers fin 2023 (contre USD 94,6 mds en 2000). Dans la région, c’est la Pologne qui a reçu l’essentiel des IDE à hauteur de USD 335,5 mds. En % du PIB, le classement désigne plutôt la République tchèque et la Hongrie comme les principaux destinataires pour ce type de capitaux, soit 65% et 56% respectivement de leur PIB en 2023.
Les perspectives pour les flux d’IDE à court et moyen terme sont solides car les PECO devraient bénéficier du processus de réorganisation de l’activité productive des entreprises de la zone euro en cours et à venir. Les arguments récurrents qui plaident en faveur de l’activité de nearshoring incluent notamment la proximité géographique avec la zone euro, la réduction des délais et des coûts d’acheminement et une réglementation globalement favorable en matière d’IDE à en juger par l’indicateur FDI restrictiveness index de l’OCDE. A cela s’ajoute le coût relativement avantageux de la main d’œuvre en dépit des pressions salariales (coût horaire de 14,5 euros en Pologne, 12,8 euros en Hongrie, 18 euros en République tchèque contre 41,3 euros en Allemagne).
Toutefois, la difficulté réside dans l’évaluation des activités liées au nearshoring car le processus de réorganisation de l’activité est étalé dans le temps et certaines données sont connues avec retard. Plusieurs indicateurs permettent néanmoins d’apprécier l’activité de nearshoring et tendent à confirmer le processus en cours. Depuis 2018, l’ampleur des IDE et des projets d’implantation ou de développement (investissements dits « greenfield »), en dépit des incertitudes géopolitiques, témoigne d’une forte attractivité pour la région. Les IDE sont essentiellement concentrés dans le secteur des services (environ 60% en moyenne du stock d’IDE) avec un certain renforcement des secteurs « professionnel, scientifique et technique » et de la « communication et l’information ». La Hongrie se distingue avec une proportion à peu près équivalente des secteurs manufacturier et des services.
Vers une procédure de déficit excessif en 2024 ?
En juin 2024, la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une procédure de déficit excessif pour 7 pays européens dont trois pays d’Europe centrale. Comme attendu, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie font partie de cette liste. La Roumanie l’est depuis 2020. Sur le marché des changes, les devises de ces pays ont peu réagi, cette décision ayant été déjà anticipée par les marchés. Le leu roumain n’a pas été affecté non plus, la devise étant ancrée à l’euro dans le cadre du mécanisme de change européen.
Dans l’ensemble, les déficits budgétaires se sont nettement dégradés depuis 2020 sous l’effet conjugué de la crise de la Covid-19 et du choc énergétique en 2022. Le ratio de la dette publique par rapport au PIB a, par conséquent, fortement augmenté en l’espace de 4 ans (+14 points entre 2019 et 2023 pour la République tchèque et la Roumanie, suivie de la Hongrie et de la Slovaquie (+8,2 et +8,0 points respectivement). Si le coût des mesures de soutien s’atténue, les dépenses militaires et la charge d’intérêts sur la dette publique pèsent toujours sur les comptes. En 2023, la charge d’intérêts de la Hongrie s’est alourdie (4,7% du PIB, 11,1% des revenues contre 2,8% du PIB en 2022) plus fortement encore que celle de l’Italie au sein de l’UE. Cette année, le poids des intérêts resterait élevé.
Toutefois, la dette publique reste soutenable à court et moyen terme grâce à des garde-fous et à des amortisseurs budgétaires. Les autorités des pays d’Europe centrale restent engagées au respect du pacte de stabilité et de croissance. Dans le cas où les pays se retrouveraient sous statut de déficit excessif, (conformément aux réformes actées fin décembre 2023), un ajustement sur 4 ans avec une possibilité d’extension de 3 années supplémentaires pour ramener le déficit budgétaire sous la barre des 3% est imposé, faute de quoi les pays risquent une suspension des fonds européens. La Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie ont déjà mis en place des mesures de consolidation bien avant la décision de la Commission européenne, même si celles-ci étaient de faible ampleur. La priorité va consister à mettre en place des mesures de plus forte envergure à court terme.
Les pays peuvent aussi compter sur le profil plutôt solide de leur dette, largement contractée à taux fixe et en devise locale, à l’exception de la Roumanie (52% de la dette totale en devises étrangères). La maturité moyenne est relativement élevée, ce qui limite le risque de liquidité. Par ailleurs, la détente observée sur les marchés obligataires devrait se poursuivre à court terme, ce qui contribuerait à atténuer la charge de la dette. Au sein des PECO, le ratio de dette publique sur PIB reste largement en dessous du seuil de 60% du PIB, ce qui laisse une certaine marge budgétaire, sauf en Hongrie où ce ratio avoisine 70%.
Achevé de rédiger le 1er juillet 2024