Le mandat dual de la Réserve fédérale (Fed) confie à cette dernière, de jure depuis une réforme de 1977, les objectifs d’emploi maximal et de stabilité des prix (attendu que le second favorise le premier à long terme). Néanmoins, il peut advenir que les objectifs entrent en contradiction et imposent, comme c’est le cas depuis mars 2022, à la Fed de nettement prioriser la réduction de l’inflation au risque de léser l’emploi et la production. Ceci renvoie à la notion de ratio de sacrifice[1] ou d’arbitrage (trade-off[2]), c’est-à-dire la détérioration cumulée attendue de ces derniers pour favoriser le retour de l’inflation à sa cible (2%).
Jusqu’ici, la baisse de l’inflation (-5,2 points de pourcentage entre mars 2022, début du resserrement monétaire, et mai 2024, dernier point disponible) et de l’inflation sous-jacente (-3,1 pp), mesurées par l’IPC, est allée de pair avec une augmentation assez contenue du taux de chômage (+0,4 pp sur la même période, toujours en deçà de son niveau neutre selon le Congressional Budget Office). Dans le même temps, la croissance s’est maintenue à un rythme robuste de +2,5% en 2023 en moyenne annuelle et de +1,3% en rythme annualisé au T1 2024.
La seule évolution du taux de chômage ne donne toutefois qu’une information parcellaire de la situation du marché du travail. Le taux d’activité des 25-54 ans (prime age) est un autre indicateur pertinent et il se situe actuellement à un plus haut depuis 2001, tandis que le taux d’emploi s’est maintenu au-dessus de 60% depuis le début du resserrement monétaire, et ce, en dépit de la détérioration du taux de chômage. Le rééquilibrage du marché de l’emploi (au sens de diminution des difficultés de recrutement) a été permis par une amélioration de la composante offre - ce qui n’était pas le scénario central de la Fed – prévenant, pour l’heure, un hard landing du travail et de l’économie. Toutefois, l’évolution du taux de chômage tend vers le seuil de déclenchement de la loi de Sahm. Cette dernière relie une augmentation de +0,5 pp de la moyenne mobile sur 3 mois du taux de chômage à son point le plus faible sur 12 mois à une récession.
Par ailleurs, dans un papier de recherche[3], Robert J. Tetlow, économiste et conseiller au Board de la banque centrale, met en avant la pression exercée à la baisse par l’ancrage des anticipations d’inflation et la crédibilité de la politique monétaire sur le niveau du ratio de sacrifice. Ce dernier reste toutefois compliqué à estimer et aurait plutôt augmenté au fil du temps. Or, nous n’avons pas constaté de dérapage des anticipations d’inflation à long terme (10 ans), mesurées par la Fed de Cleveland (+2,5% en mai 2024), au cours du cycle actuel, en dépit d’une appréciation certaine. Cela pourrait avoir un lien avec la fermeté affichée par la Réserve fédérale sur la nécessité de maintenir sa politique à un niveau restrictif, y compris lorsqu’un consensus existait, en 2023, au sein de la communauté économique sur l’occurrence à venir d’une récession.