Traditionnellement, la remontée des taux d’intérêt influe considérablement sur les revenus des banques. Ces effets varient néanmoins d’un système bancaire à l’autre selon la structure des bilans des établissements. Au Royaume-Uni, les grandes banques en ont, sans conteste, bénéficié jusqu’à présent, ainsi qu’en témoigne le niveau inédit, pour la deuxième année consécutive, de leurs résultats agrégés. Ainsi, la dynamique de leurs revenus a été largement portée par la hausse des taux d’intérêt en 2023. Ces effets, toujours positifs, pourraient toutefois s’essouffler en 2024. Les charges d’exploitation, si elles devraient rester maîtrisées, pourraient encore pâtir durant quelques trimestres des effets retardés de l’inflation. Le coût du risque continuerait d’être affecté par la récession qui a frappé l’économie britannique au deuxième semestre 2023 et par des taux d’intérêt qui resteraient élevés. En dépit de l’amorce de l’assouplissement de la politique monétaire attendu au deuxième semestre 2024, ces derniers devraient, en effet, se maintenir à des niveaux relativement hauts au regard de ceux en vigueur entre 2009 et le relèvement des taux directeurs opéré par la Banque d’Angleterre, en 2022.
Des résultats records en 2023
La hausse des taux a stimulé les performances des banques britanniques
2023 a été, pour les principales banques britanniques[1], une nouvelle année exceptionnelle. Leurs profits agrégés, après avoir déjà atteint un niveau record en 2022, ont encore progressé de 31%, pour s’établir à GBP 37 milliards. Leur rentabilité financière[2] a atteint 11,0% après 8,3% en 2022, soit des niveaux bien supérieurs à leur moyenne 2009-2022 (4,1%). Elle a même dépassé celle des grandes banques américaines en 2023 (10,2%, après 9,9% en 2022), et devance toujours celle des grandes banques de la zone euro (8,1% et 7,5%, respectivement).
Cette performance est principalement attribuable à l'environnement de taux d'intérêt. Les revenus nets d’intérêts agrégés des cinq grandes banques britanniques, qui constituaient 57% de leur PNB, ont ainsi augmenté de 12% en 2023, portés par la poursuite de la hausse des taux au premier semestre, puis leur stabilisation à un niveau élevé en fin d'année.
Les banques britanniques ont continué de bénéficier de la part importante des prêts indexés sur les taux de marché dans leurs portefeuilles. Au Royaume-Uni, les prêts aux entreprises sont octroyés principalement à taux variables (79,5% des encours en moyenne en 2023).
Dans le cas des ménages, la majorité des prêts contractés depuis 2011 l’ont été à taux fixe, mais la période initiale de fixité des taux est généralement comprise entre deux et cinq ans. Au-delà de cette période, les termes du contrat sont renégociés ou, le cas échéant, les taux deviennent variables.
Dans son dernier rapport de stabilité financière en date de décembre 2023, la Banque d’Angleterre estimait que près de 55% des contrats de prêts hypothécaires aux ménages à taux fixe en cours en 2021 avaient déjà franchi la période initiale de fixité du taux. Ce sont autant de ménages affectés par une hausse de leurs mensualités au cours des deux dernières années.
En moyenne, sur l’année écoulée, la marge nette d’intérêt (MNI) agrégée des établissements bancaires (i.e., les revenus nets d’intérêts rapportés aux actifs générateurs d’intérêts) s’est élargie de 16 points de base (pb) par rapport à 2022, pour atteindre 1,48%. L'augmentation de la MNI agrégée des banques a néanmoins été constatée principalement au quatrième trimestre 2022 (cf. graphique 1). Celle-ci a ensuite stagné à un niveau élevé au cours des deux premiers trimestres 2023 avant de diminuer légèrement au second semestre.
Plusieurs éléments sont, en effet, venus contrarier l’augmentation des revenus nets d'intérêt. Les charges d’intérêts des banques, d’abord, ont continué de progresser en lien avec la hausse des taux du marché monétaire, à mesure qu’elles relevaient la rémunération des dépôts et des supports d’épargne proposés à leur clientèle. Les taux sur les nouveaux dépôts à terme des ménages ont ainsi augmenté de 146 pb entre décembre 2022 et décembre 2023, atteignant un point haut en octobre 2023.
La rémunération moyenne des encours de dépôts à terme et des comptes d’épargne individuelle (Individual Savings Account, ISA) des ménages a augmenté de 204 pb entre décembre 2022 et décembre 2023, tandis que celle des encours de dépôts à vue rémunérés des ménages augmentait de 119 pb sur la même période. Pour les entreprises, la hausse sur un an de la rémunération moyenne des encours de dépôts à terme et à vue rémunérés était de 141 pb et 195 pb respectivement.
Ensuite, la transmission de la hausse des taux directeurs et des taux de marché au coût moyen des ressources bancaires a été amplifiée par la déformation de ces dernières en faveur des dépôts les mieux rémunérés.
Les ménages et les entreprises britanniques ont, en effet, cherché à réduire le coût d’opportunité lié à la détention d‘avoirs liquides, peu ou non rémunérés. Ils en ont ainsi transféré une partie sur des produits d’épargne mieux rémunérés.
S’ils ont débuté en 2022, ces arbitrages se sont, pour l’essentiel, concentrés en 2023. L’encours des dépôts à vue totaux, rémunérés et non rémunérés, a ainsi diminué de GBP 144 milliards entre décembre 2022 et décembre 2023[3], soit environ 8% de l’encours de décembre 2022. Dans le même temps, l’encours des dépôts à terme a augmenté de GBP 96 milliards, soit une hausse d’un tiers par rapport à décembre 2022 (cf. graphique 2).
Ces évolutions se sont finalement accompagnées d'un resserrement des marges d’intérêt apparentes sur les prêts hypothécaires.
Les statistiques fournies par la Financial Conduct Authority (FCA), le régulateur financier britannique, mettent ainsi en évidence un rétrécissement de l’écart entre les taux des prêts hypothécaires avec le taux directeur de la Banque d’Angleterre au cours de l’année 2023.
La proportion de prêts dont le spread avec le taux directeur était inférieur à 200 pb s’établissait à 96,1% et 95,1%, respectivement, aux troisième et quatrième trimestres 2023, alors qu’elle était de 86,1% au premier trimestre 2022.
Les conclusions vont dans le même sens lorsque la référence est constituée des taux swaps[4] à cinq ans (S&P, 2024). En outre, le taux moyen sur encours des dépôts à terme des ménages a dépassé celui des prêts hypothécaires à partir d’août 2023, toutes maturités et types de taux confondus (cf. graphique 3).
Cette érosion des marges apparentes sur les prêts hypothécaires est le reflet d’une concurrence accrue entre établissements de crédit, dans un contexte de modération de la demande de la part des ménages. Les encours de crédits hypothécaires aux ménages au Royaume-Uni n’ont en effet augmenté que de 0,3% en 2023 (+GBP 3,9 milliards, pour s’établir à GBP 1 455 milliards en décembre), après avoir connu une progression moyenne annuelle +4% entre 2015 et 2022, et alors qu’il s'agit d’une composante centrale de l’activité de crédit des banques. Le constat peut être étendu à l’ensemble des prêts à la clientèle, dont la demande a pâti de leur renchérissement et de la détérioration de la conjoncture économique. Ainsi, l’encours des prêts aux sociétés non financières britanniques s’est contracté de 1,5 % (GBP 6,7 milliards), et celui aux sociétés financières non bancaires de 4,8% (GBP 33,2 milliards). Seul le crédit à la consommation a bien résisté : alimenté par l'inflation des biens et services financés, l’encours a augmenté de 5,5 % en 2023. Néanmoins, sa part dans l'encours total du crédit bancaire au secteur privé résident est faible (4,4% en moyenne en 2023), et, ainsi, la production nouvelle en 2023 n’a représenté que GBP 6 milliards.
Un léger rétrécissement des marges nettes d’intérêt est attendu en 2024
Un peu plus de deux ans après le début du resserrement de sa politique monétaire en décembre 2021, le taux directeur de la Banque d’Angleterre devrait baisser pour la première fois au cours du troisième trimestre 2024[5], et pourrait, selon nous, terminer l'année à 4,50% (75 pb en deçà de son niveau actuel). Cet assouplissement de la politique monétaire interviendrait dans un contexte de poursuite de la désinflation et une croissance économique très modeste. Ce faisant, le contexte de taux deviendrait moins favorable aux MNI des banques britanniques qui opèrent largement à taux variables ou fixes sur des maturités limitées à deux ou cinq ans, même si elles pourraient bénéficier d’une baisse du coût des ressources. Si des écarts pourront être observés entre les banques selon leur modèle économique, leur diversification géographique et leur stratégie de couverture, l’ajustement de leurs MNI dépendra dans une large mesure de l’évolution des pressions concurrentielles.
Or, en 2024, l’activité de crédit pourrait se redresser graduellement à mesure que l’assouplissement de la politique monétaire se répercutera sur les conditions appliquées aux ménages et aux entreprises. L’amélioration des capacités d’emprunt devrait notamment soutenir de nouveau la demande de prêts hypothécaires. Le marché immobilier a récemment commencé à montrer des signes de redémarrage, mais celui-ci demeure pour le moment fragile. Le nombre de prêts immobiliers signés a ainsi augmenté pour le sixième mois consécutif pour s'établir à 61,3 milliers en mars 2024, après avoir atteint en janvier 2023 son plus bas niveau (39,8 milliers) depuis 2013, abstraction faite de la période de pandémie. La production nouvelle s’est établie à GBP 56 milliards au premier trimestre 2024, en hausse par rapport au trimestre précédent (GBP 50,3 milliards), mais en deçà de sa moyenne entre 2016 et 2022 (GBP 68,3 milliards). Enfin, si février 2024 marque le huitième mois consécutif de baisse des prix moyens sur douze mois glissants des logements au Royaume-Uni[6], le point bas des prix (novembre 2023) est désormais passé. Pour le mois d’avril, les indicateurs avancés de prix des logements font état d’évolutions disparates[7], lesquelles reflètent notamment la réticence de certains vendeurs à diminuer leurs prix et les évolutions erratiques de la demande des acheteurs. Après 20 mois de baisse, cette dernière avait recommencé à augmenter au cours des trois premiers mois de l’année 2024 avant de légèrement fléchir à nouveau de 1 % en avril (RICS, 2024).
Du côté des entreprises britanniques, la conjonction de la baisse des taux d'intérêt et de besoins accrus en investissements numériques et verts devrait les encourager à emprunter davantage. La production nouvelle de crédit aux entreprises pourrait, par ailleurs, augmenter et se substituer en partie aux financements non bancaires[8] qui ont crû considérablement au cours de la dernière décennie. En effet, les financements non bancaires ont assuré la quasi-totalité de l’augmentation nette de la dette des entreprises britanniques depuis la crise financière de 2007-2008. Ainsi, en 2023, la moitié du financement des entreprises britanniques était intermédiée par des institutions financières non bancaires ou provenait directement des marchés financiers. Or, dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés, que les marchés anticipent durablement à des niveaux bien supérieurs à ceux pré-pandémie malgré l’assouplissement de la politique monétaire à venir, les acteurs non bancaires subissent de nouvelles contraintes. Les clients qui ne parviendraient pas à lever des fonds auprès de ces intermédiaires non bancaires pourraient alors solliciter à nouveau les banques britanniques.
Pour autant, appréhendée dans son ensemble, l’augmentation de l’activité de crédit des banques devrait rester modérée. La croissance des encours de crédit hypothécaire aux ménages, en particulier, devrait se maintenir en deçà de la moyenne observée durant les années précédant la pandémie, lorsque les taux de crédit étaient bas et les prix de l’immobilier moins élevés. Cela continuerait d’alimenter la concurrence entre les établissements de crédit, tant en matière de tarification de leurs prêts (plus faible) que de rémunération des dépôts de la clientèle (plus élevée).
La concurrence en matière de dépôts devrait, en outre, être renforcée par le resserrement quantitatif entamé par la Banque d'Angleterre. À l’instar de la Réserve fédérale américaine et de la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre a mis fin à sa politique d'achat d'actifs (QE) en février 2022, d’abord en cessant de réinvestir les montants des titres acquis dans le cadre du QE qui arrivent à échéance, puis en cédant des titres. Or, cette politique a pour conséquence notamment la diminution des encours de dépôts des agents non bancaires qui se portent acquéreurs des titres nouvellement émis par le Trésor ou vendus par la Banque centrale.
Ces différents facteurs devraient contribuer à maintenir les MNI des banques britanniques à des niveaux inférieurs à ceux qui prévalaient en début d’année 2023.
La progression des autres revenus s’est poursuivie, mais son ampleur demeure limitée
En 2023, les commissions des banques britanniques sont restées stables, tandis que les autres revenus nets d'exploitation ont progressé de 15%. Alors que la hausse des autres revenus nets d'exploitation procède essentiellement de gains nets sur les instruments financiers et d'éléments exceptionnels positifs pour certaines banques, la stabilité des commissions perçues par les banques masque des disparités selon les métiers. Les services de paiement ont bénéficié de la hausse du volume de transactions, tandis que les activités de gestion d’actifs ont profité de l’augmentation des placements financiers, que la hausse des rendements a rendus plus attractifs. En revanche, les opérations sur titres et dérivés ont souffert de la moindre volatilité des marchés et de la baisse des volumes négociés, en particulier sur le marché des actions et, dans une moindre mesure, de produits de taux (FICC[9]). Les commissions sur les activités de prestation de conseil et les opérations de financement et d’investissement ont également diminué. Dans un contexte de coût de la dette plus élevé et d’incertitudes autour de l'évolution des taux d'intérêt et des perspectives économiques, le volume d’opérations de financement (introductions en Bourse, fusions-acquisitions, levées de fonds) est resté faible. Pour l’essentiel, ce sont les émissions obligataires, celles des émetteurs institutionnels en particulier, qui ont soutenu l’activité des banques de financement et d'investissement.
Ces évolutions s’inscrivent sur des tendances de plus long terme, caractérisées par la relative stabilité des commissions depuis le milieu des années 2010 et la croissance des autres revenus nets d'exploitation depuis 2016 (cf. graphique 4).
Par comparaison avec 2014, la part des commissions dans le produit net bancaire agrégé a diminué de 6 points de pourcentage (pp), essentiellement au profit des autres revenus nets d’exploitation qui ont augmenté de 4 pp.
Globalement, ces deux composantes continuent de représenter près de la moitié du PNB agrégé des banques britanniques (43% en 2023), reflétant la diversification de leurs sources de revenus.
Au demeurant, les principales banques britanniques conservent une forte présence dans les métiers de banque de financement et d'investissement (BFI). HSBC et Barclays figurent presque systématiquement dans les dix premières places des principaux classements mondiaux (cf. tableau 2), tandis que Lloyds, NatWest et Standard Chartered demeurent relativement bien placées en matière d’émissions obligataires et de métiers de financement.
Le classement général, relativement moins favorable, de Lloyds et NatWest dans les activités de BFI est en partie la conséquence des restructurations entreprises à la suite de la crise financière de 2007-2008, en contrepartie de la recapitalisation publique dont elles avaient bénéficié alors (autorisée par la Commission européenne). Au regard de 2016, l’année du vote en faveur du Brexit, les banques britanniques ont perdu des parts de marché au profit des banques américaines et, dans une moindre mesure, asiatiques. L’adaptation rapide des BFI aux changements réglementaires induits par la sortie du Royaume-Uni de l’UE (cf. encadré) a cependant permis de limiter l’ampleur du phénomène.
En 2024, les commissions et autres revenus nets d'exploitation devraient être stables ou en légère hausse, la baisse des taux d’intérêt prévue pour la fin de l’année pouvant se révéler légèrement plus favorable aux activités des BFI génératrices de commissions.
Les banques britanniques ont bien résisté aux vents contraires
Malgré le contexte inflationniste, les charges d’exploitation des banques restent maîtrisées
Les très bons résultats des banques britanniques en 2023 découlent non seulement de la progression de leurs revenus mais également de charges d’exploitation maîtrisées, en dépit du retour de l’inflation. Leurs frais de gestion ont ainsi augmenté moins fortement (+5,9%) que les prix à la consommation au Royaume-Uni (+7,3%), dont la progression a dépassé celle des autres économies du G7.
En effet, l'inflation sous-jacente, qui exclut les éléments volatils tels que l'énergie et l'alimentation, et l'inflation des prix des services a connu sa plus forte hausse en plus de 30 ans dans le pays. À l’instar de ses voisins européens, le Royaume-Uni a été confronté à des déséquilibres entre l’offre et la demande et à une hausse des prix de l’énergie. À ces facteurs communs sont venues s’ajouter des spécificités telles que des freins aux importations et une pénurie de main-d’œuvre provoquées ou aggravées par le Brexit, ou encore une forte dépendance de l’économie britannique aux importations de gaz naturel pour produire de l'électricité et du chauffage domestique. Finalement, les difficultés de recrutement et les anticipations d’inflation élevées des ménages britanniques ont soutenu la hausse des salaires qui a, à son tour, alimenté celle des prix.
La maîtrise des frais d’exploitation des banques britanniques en 2023 traduit la poursuite de leurs efforts d'optimisation des coûts, ainsi que la baisse des provisions pour restructuration, litiges, amendes et pénalités.
Ainsi, à la faveur d’un effet de ciseau positif[12], le coefficient d'exploitation[13] s’est replié à 55%, son niveau le plus bas depuis 2008 (cf. graphique 5).
Si HSBC continue d’afficher la meilleure efficacité opérationnelle, Barclays, Lloyds et NatWest ont significativement amélioré leurs coefficients d'exploitations depuis la dernière décennie, de sorte que les différences entre banques se sont réduites.
Pour mémoire, les coefficients d’exploitation de leurs rivales européennes et américaines se situaient, respectivement, à 59% et 65% en 2023. Il convient toutefois de garder à l’esprit que ces écarts doivent être interprétés avec précaution, notamment en raison de leurs modèles d’activités différents.
Cependant, les provisions pour litiges des banques britanniques pourraient augmenter en 2024, ce qui aurait pour conséquence de gonfler leurs frais d’exploitation. La FCA a ainsi ouvert une enquête sur les pratiques commerciales dans le financement automobile qui pourrait conduire certaines banques à indemniser des clients jugés lésés. Pendant des années, au Royaume-Uni, certaines banques ont incité les courtiers et concessionnaires automobiles à fixer des taux d’intérêt sur les prêts automobiles accordés à des niveaux plus élevés afin d’accroître leurs commissions. La FCA interdit depuis janvier 2021 ce type d’accords portant sur des commissions discrétionnaires. L’enquête, qui devrait s’achever en septembre 2024, déterminera si, et à quelles conditions, les clients concernés auront le droit à une indemnisation et quelles en seront les modalités[14]. Selon HSBC, les banques britanniques concernées pourraient être amenées à débourser jusqu’à GBP 16 milliards d’indemnisation.
La qualité du portefeuille de prêts des banques britanniques s’est maintenue malgré la dégradation de la conjoncture économique
En 2023, les conditions macro-économiques et financières se sont dégradées au Royaume-Uni dont l’économie est entrée en récession technique en fin d’année[15]. Le coût du risque pour les banques a augmenté de 37% en 2023 (partant certes d’un niveau historiquement faible en 2022). L’augmentation a principalement concerné les banques exerçant d’importantes activités à l’étranger, pénalisées par leurs expositions en Chine (en particulier à l'immobilier commercial et aux banques locales), ainsi qu'aux États-Unis, où les impayés sur les cartes de crédit ont augmenté. Le coût du risque s’est toutefois maintenu dans des limites relativement basses au regard des précédentes années (cf. graphique 6), traduisant la qualité du portefeuille des banques britanniques.
Dans l’ensemble, la part des créances non performantes (i.e. en phase 3 selon la norme comptable IFRS9) dans l’encours total des prêts accordés par les banques britanniques est demeurée stable à 1,9% en 2023, tandis que la part des créances ayant enregistré une hausse significative du risque de crédit, mais qui n’ont pas enregistré de défaut (i.e. en phase 2 selon la norme comptable IFRS9), a légèrement diminué (-160 pb[16]). Pour sa part, le taux de couverture des prêts par les créances douteuses a également légèrement diminué en 2023 (cf. tableau 3).
En matière de solvabilité des ménages britanniques, la hausse des taux et la révision des conditions des prêts hypothécaires ayant atteint la fin de la période de fixité des taux, ont alourdi, en moyenne, les mensualités dues aux banques.
Toutefois, la détérioration a été limitée grâce à la progression de leurs revenus et au maintien d’un taux d'emploi élevé. Les salaires nominaux ont ainsi augmenté de 5,5% entre décembre 2022 et décembre 2023, tandis que le taux de chômage moyen en 2023 s’établissait à 4% (versus une moyenne de long terme, entre 2000 et 2024, de 5,6%).
Le taux d'effort des ménages, qui mesure la proportion du revenu après impôt consacrée au remboursement des emprunts (y compris les intérêts), a légèrement augmenté depuis 2022, mais demeure historiquement faible (cf. graphique 7).
Au demeurant, le ratio de l’endettement des ménages à leurs revenus est toujours sensiblement plus élevé que ceux observés dans les principaux pays de la zone euro mais a continûment reculé depuis le pic de 2007 (cf. graphique 8). Dans ce contexte, les retards de paiement ont augmenté de façon marginale : le poids des arriérés sur les prêts hypothécaires dans l’encours total des prêts hypothécaires aux ménages a augmenté de seulement 22 pb[17] pour atteindre 1,07% au quatrième trimestre 2023. D’autres facteurs ont également contribué à limiter l'impact de la hausse des taux sur le coût du risque, tel que le profil des emprunteurs hypothécaires (en 2022, 68% d’entre eux se situaient dans les deux quintiles de revenus les plus élevés).
En parallèle, le nombre de défaillances d'entreprises a atteint un niveau inédit en 2023, à 25 158 défaillances, contre une moyenne annuelle de 14 800 environ entre 2015 et 2021 (cf. graphique 9).
Jusqu’à présent, les petites entreprises[18] ont été les plus touchées. Toutefois, l’impact sur le coût du risque des banques est resté limité, le poids de leur dette dans les créances bancaires étant faible.
Au demeurant, les banques britanniques sont plus largement exposées à des grandes entreprises qui représentent environ les deux tiers de l’encours de prêts aux entreprises non financières (65% au 31 décembre 2023).
Le coût du risque des banques britanniques a, en outre, bénéficié du fait que la hausse des taux d'intérêt n'a pas encore été entièrement répercutée sur le coût moyen de financement des entreprises. Selon la Banque d’Angleterre, une part importante des dettes à taux fixe des entreprises britanniques n’arrivera à maturité qu’à compter de 2025 (Banque d’Angleterre, 2023). Il s’agit essentiellement de dettes négociables, les prêts bancaires aux entreprises étant surtout accordés à taux variable. Dans le cas de la dette high yield, plus de 80% des obligations d’entreprises à haut rendement et des financements à effet de levier arriveront à maturité après 2025 (Banque d’Angleterre, 2023). Ainsi, certaines des entreprises les plus vulnérables ont été épargnées par la hausse des taux, ce qui a sans doute permis d’éviter que certaines d’entre elles soient en proie à des difficultés financières qui, par effet de domino, auraient eu des répercussions plus larges sur le tissu économique britannique en 2023.
Dans un contexte économique toujours dégradé et de taux d’intérêt plus élevés en moyenne sur l’année, le coût du risque pourrait encore légèrement augmenter en 2024. Le Fonds monétaire international entrevoit une croissance du PIB en volume du Royaume-Uni à 0,5% en 2024[19], une hausse certes supérieure à celle de 2023 (0,1%), mais moindre que la croissance potentielle du pays estimée à 1,5% (World Economic Outlook, Avril 2024). Le chômage devrait légèrement augmenter pour atteindre 4,5% en 2024. Enfin, si l’inflation devrait continuer de refluer en 2024, elle resterait supérieure à l’objectif de la Banque d’Angleterre de 2%. Cela devrait inciter la Banque centrale à se montrer prudente dans l’assouplissement de sa politique monétaire, et contribuer à maintenir les taux du marché monétaire à des niveaux relativement élevés. La hausse du coût du risque devrait néanmoins demeurer contenue, à la faveur de la qualité des portefeuilles, qui s’est améliorée depuis la crise financière de 2007-2008, et de l’amorce de la baisse des taux directeurs et du marché monétaire attendue au second semestre 2024.
Conjuguée à nos prévisions macroéconomiques, l'analyse des résultats des banques britanniques en 2023 laisse entrevoir un tassement de leurs revenus en 2024. Ce dernier s'inscrirait dans un contexte de reprise économique fragile et de taux d'intérêt plus élevés qui devrait alimenter les pressions concurrentielles. Et ce, alors même que l’assouplissement de la politique monétaire, attendu au second semestre, pourrait exercer de légères pressions sur les marges nettes d’intérêt des banques. Si les commissions et les autres revenus nets d’exploitation devraient continuer de progresser, ils ne constitueront probablement pas un relais de croissance suffisant pour compenser la faible dynamique du crédit et la probable légère érosion des marges nettes d'intérêt. Les résultats du premier trimestre 2024 peuvent être vus comme les prémices de ces évolutions : quatre des cinq principales banques britanniques ont fait état d’une diminution, en variation annuelle, de leur produit net bancaire au premier trimestre 2024, imputable principalement à la baisse de leurs revenus nets d’intérêt. Dans le même temps, les banques pourraient voir leurs charges d'exploitation augmenter, essentiellement du fait des litiges en cours. Au-delà de 2024, le coût du risque devrait se maintenir à des niveaux supérieurs à ceux observés durant la période de taux bas. Les taux d’intérêt devraient en effet demeurer plus élevés que ceux qui prévalaient durant les années qui ont précédé la pandémie, y compris à l’issue de la baisse des taux directeurs. La Banque d’Angleterre a conforté ce scénario lors de la réunion de son Comité de politique monétaire du 9 mai 2024, au moins jusqu’à la fin de l’année 2026.
Bibliographie
Asimakopoulos P. (2021), Driving growth: the New Financial Global Financial Centres Index, Analysis of the size & growth of financial centres in 65 markets around the world, New Financial
Banque d’Angleterre (2023), Financial Stability Report – December 2023
Banque d’Angleterre (2023), Financial Stability Report – July 2023
Banque des règlements internationaux (2022), London as a financial centre since Brexit: evidence from the 2022 BIS Triennial Survey
Barclays, Annual Report 2023
Barkema J. (2024), Bank Underground, Three facts about the rising number of UK business exits
Barkema J., Froemel M. et Piton S. (2024), Bank Underground, Corporate insolvencies reaching record highs: a look under the hood
Crundwell A. et Bennett W. (2024), Bank Underground, Stressed or in distress? How best to measure corporate vulnerability
Enria A. (2023), Le Brexit et le secteur bancaire de l’UE : des libertés fondamentales du marché intérieur au statut de pays tiers, Contribution au numéro spécial de la Revue d’économie financière consacré au Brexit
EY (2022), EY Financial Services Brexit Tracker: Movement within UK financial services sector stabilises five years on from Article 50 trigger
Fernandez-Bollo E. (2021), Banking regulation and supervision after Brexit, Speech at the eighth Brussels EU/UK Dinner Discussion held by the Representation of the State of Hesse to the European Union
Gov.uk (2023), English Housing Survey 2022 to 2023: headline report
Gov.uk (2024), National statistics, UK House Price Index summary: February 2024
HSBC, Annual Report 2023
Lloyds, Annual Report 2023
NatWest, Annual Report 2023
Office for Budget Responsibility (2024), Economic and Fiscal Outlook – March 2024
S&P (2024), Six Takeaways from U.K. Banks' Full-Year 2023 Results
Standard Chartered, Annual Report 2023
Wright W. (2016), The potential impact of Brexit on European capital markets, a qualitative survey of market participants, New Financial
Z/Yen Group et CDI (2023), Global Financial Centres Index 34, Long Finance & Financial Centre Futures, septembre 2023