Graphiques de la semaine

L’allongement des maturités d’emprunt est-il un levier efficace d’amélioration de l’accès à la propriété ?

23/12/2024
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L’exemple britannique tend à suggérer le contraire. Son impact sur les mensualités demeure modeste comparé à celui des taux et de la hausse des prix de l’immobilier, et se fait en contrepartie du renchérissement du coût total de l’emprunt. En outre, l’allongement des maturités d’emprunt est susceptible d’alimenter la hausse des valeurs immobilières.

Évolution de la mensualité moyenne d’emprunt hypothécaire au Royaume-Uni

Les maturités des emprunts hypothécaires au Royaume-Uni se sont considérablement allongées au cours des quinze dernières années. Une part croissante des nouveaux emprunts atteint désormais des horizons difficilement envisageables en France, où les crédits immobiliers sont limités à 25 ans, en vertu des règles fixées par le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) dans une décision de 2021[1]. En 2024, plus de 50% des nouveaux prêts hypothécaires britanniques étaient souscrits pour des durées supérieures à 30 ans, contre seulement 10% en 2005. Ceux d’une durée supérieure ou égale à 40 ans représentaient près de 10% de la production nouvelle de crédits au premier trimestre 2024.

À première vue, l’allongement des maturités semble une idée séduisante pour faciliter l’accès à la propriété. Toutes choses égales par ailleurs, étaler les échéances sur une durée plus longue permet en effet de réduire les mensualités, ce qui améliore la capacité des ménages à les honorer et facilite ainsi leur accès au crédit. Selon nos calculs, en maintenant constants le taux d’intérêt et le montant moyen emprunté, l’allongement des maturités aurait permis de réduire les mensualités moyennes des crédits nouveaux[2]d’environ 10% entre janvier 2013 et septembre 2024. En pratique, ces mensualités sont restées relativement stables entre 2013 et 2019, car les effets liés à la baisse des taux, à l’allongement des maturités et à la hausse des montants empruntés du fait du renchérissement des prix de l’immobilier se sont, en moyenne, mutuellement compensés. Dans le même temps, chaque ménage britannique a bénéficié, en moyenne, d’une progression de son revenu disponible brut moyen de 23% environ, et le taux d’effort à l’origination du prêt a reculé pour s’établir à 18% en moyenne en 2019 (contre 20,3% en moyenne en 2013).

Depuis 2021, l’effet de l’allongement des maturités sur les mensualités de crédit s’est néanmoins révélé insuffisant pour neutraliser celui inhérent à la remontée des taux d’intérêt. Entre décembre 2021 et septembre 2024, les mensualités moyennes des nouveaux crédits ont ainsi augmenté de 44%, passant de GBP 870 à GBP 1260. Leur part dans le revenu disponible brut d’un ménage britannique moyen a également augmenté, pour s’établir à 23% en septembre 2024. Au total, l’allongement des durées d’emprunt augmentant mécaniquement le nombre total d'échéances, le coût total du crédit s’est accru de manière significative.

De surcroît, l’allongement des maturités tend à soutenir la demande exprimée, ce qui, sur un marché marqué par une insuffisance structurelle de l’offre, participe à la hausse des prix immobiliers et rend son effet sur le pouvoir d’achat immobilier des ménages illusoire. Pour mémoire, le prix moyen d’un logement au Royaume-Uni [3] a augmenté de 74% entre janvier 2013 et septembre 2024, atteignant un niveau record en août 2024 à environ GBP 292 700 (contre environ GBP 167 500 en janvier 2010). Les mesures annoncées par le gouvernement britannique travailliste dans son budget d’automne pour tenir son engagement de construire 1,5 million de logements durant son mandat pourraient, à terme, s’avérer plus efficaces pour faciliter l’accès à la propriété[4]. Elles devraient en effet concourir à atténuer les tensions sur l’offre, qui demeurent le principal défi du secteur immobilier, et contre lesquelles les mesures de soutien de la demande sont le plus souvent contre-productives.


[1] La maturité des prêts immobiliers constitue l’un des deux critères établis par la décision du HCSF du 29 septembre 2021 relative aux conditions d’octroi de crédits immobiliers et que doivent appliquer les établissements de crédit en matière de crédit immobilier. Ladite maturité du crédit ne doit pas excéder 25 ans (avec une tolérance de 2 ans de différé d’amortissement dans des cas où l’entrée en jouissance du bien est décalée par rapport à l’octroi du crédit).

[2] Ces mensualités moyennes sont déterminées à partir des valeurs moyennes du montant des approbations de prêts hypothécaires, du taux d’intérêt effectif et de la durée des nouveaux crédits accordés au cours de la période de référence.

[3] Source : UK House Price Index, HM Land Registrery (UK Governement). Cet indice inclut les transactions immobilières sur les logements neufs et anciens.

[4] Guillaume Derrien (2024), Le manque de logements, un défi de taille pour le parti travailliste, revue Graphiques de la semaine.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE