Selon une étude non publiée menée au sein du mécanisme de supervision bancaire unique (SSM) de la zone euro[1], s’il exerçait ses fonctions dans la zone euro, le superviseur américain serait plus sévère, en matière d’exigences de fonds propres pondérés, à l’égard des banques d’importance systémique (G-SIB) qui y sont établies que ne l’est le superviseur unique de la zone euro. La méthodologie de l’exercice qui fonde cette conclusion n’a pas été partagée. Or, elle semble bien complexe à définir.
Les exigences et orientations globales de fonds propres pondérés des établissements bancaires sont constituées d’un empilement de coussins : un socle minimum commun (exigence au titre du pilier 1, coussin de conservation des fonds propres), des matelas spécifiques à chaque établissement selon ses caractéristiques[2] et ses expositions (coussin de fonds propres contracyclique, coussin pour le risque systémique, coussin pour les banques d’importance systémique mondiale, coussin pour les autres établissements d’importance systémique), des exigences au titre du pilier 2 fixées par le superviseur (Pillar 2 requirement P2R définie dans le cadre du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels SREP de la BCE, Stress Capital Buffer SCB déduit des stress tests de la Fed[3]) et des recommandations au titre du pilier 2 (Pillar 2 guidance P2G basée sur les tests de résistance menés par la BCE). Depuis le 1er janvier 2025, l’exigence moyenne (y compris P2G) de fonds propres durs pondérés par les risques des 7 G-SIB de la zone euro s’établit à 11,58%, soit à un niveau quasiment identique à celui des 8 G-SIB américaines (11,54%).
Certes, cette simple comparaison des exigences en capital ne renseigne pas sur le degré de sévérité relatif des cadres prudentiels. Les modèles d’activité, l’intensité en risque et les structures de bilan des établissements diffèrent ; les attentes des superviseurs, les cadres institutionnels, le rôle des banques et les modalités d’intermédiation sont spécifiques à chacune des deux juridictions.
Mais évaluer les exigences en capital des G-SGIB de la zone euro si elles étaient soumises au cadre prudentiel américain actuel pose d’autres difficultés. L’une d’elles serait d’estimer l’exigence au titre du pilier 2 spécifique à chaque établissement, puisqu’elle dépend des résultats des stress tests de la Fed, difficilement réplicables aux banques de la zone euro. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs du SSM ont assigné, dans leur simulation, un SCB fictif à chaque G-SIB selon son profil de risque, en s’appuyant sur les exemples américains testés par la Fed[4], une hypothèse ad-hoc relativement forte. Surtout, les besoins en fonds propres qui découlent des ratios imposés dépendent étroitement de l’encours des actifs pondérés par les risques. Or, aux États-Unis, les exigences CET1 des G-SIB s’appliquent à une base de calcul qui : 1) privilégie l’approche standard pour la mesure des risques de crédit (tandis que dans l’Union européenne et la zone euro, le recours aux modèles internes, encouragé par Bâle II et la CRD afin d’inciter les banques à réduire leurs risques, sera progressivement limité par la mise en œuvre de l’output floor), 2) repose sur des approches avancées pour la mesure des risques de marché (mais, contrairement à la zone euro, sans qu’il ne soit prévu pour l’heure d’appliquer les dernières recommandations de Bâle III) et 3) fait l’impasse (contrairement à la zone euro) sur les risques opérationnels. Des écarts de mesure qui, selon nous, altèrent la comparabilité des exigences CET1 et limitent la portée de l’exercice.